le magistrat explique que les juges sont là pour créer la norme de droit à travers leurs jurisprudences ; alors, si une disposition est ambiguë, un texte imprécis, le juge doit faire preuve d'interprétation au profit de la loi ! Voilà un juriste comme on aimerait en voir plus dans nos tribunaux! S'il est un terme juridique qui suscite bien des interrogations chez tous les citoyens confrontés à un tribunal, c'est bien celui de la «compétence». En langage normal et sans se référer à un dictionnaire, tout le monde comprend que la compétence est le fait de pouvoir réaliser quelque chose de positif ou de mener un projet à son terme ou encore d'avoir des idées innovantes sur tel ou tel sujet. Une personne compétente, dans le sens commun, est une personne réaliste, correcte et digne de confiance. Dans le monde judiciaire, ce n'est plus tout à fait la même chose, et c'est ce qui crée l'étonnement. Mme T. avait emprunté une somme d'argent auprès d'une administration publique (cela se fait sous certaines conditions, sans entrer ici dans les détails pratiques). En garantie de ce prêt, elle avait hypothéqué sa maison au profit de l'administration et effectué toutes les démarches pour inscrire cette hypothèque sur les registres de la conservation foncière. Jusqu'ici, tout va bien, et les démarches administratives s'enchaînent sans problème. Mme T. avait souscrit ce prêt, en s'engageant à le rembourser, selon des échéances mensuelles, échelonnées sur un période de quinze ans. Mais au bout de six années, Mme T. qui a bénéficié d'un confortable héritage familial, décide de rembourser l'intégralité du crédit de manière anticipée. Les banquiers connaissent bien ce procédé, qui consiste à régler à l'avance un crédit qui a encore de longues années devant lui : et ils n'aiment pas beaucoup cette démarche, qui leur fait perdre quelques intérêts, qui bonifiaient leur chiffre d'affaires. Le remboursement se fait donc assez rapidement, et là, Mme T. demande la mainlevée de l'hypothèque sur sa maison. D'interlocuteur en interlocuteur, rien ne se passe, l'hypothèque demeure inscrite, alors Mme T. saisit le tribunal administratif, afin qu'il ordonne la mainlevée de l'hypothèque. Au bout de deux ou trois audiences, le verdict tombe implacable: incompétence du tribunal administratif, circulez il n'y a rien à voir. Et pourquoi donc ? Les attendus du tribunal sont clairs : un litige opposant un civil à une administration doit être soumis à un tribunal civil. Fort bien, alors, Mme T. se tourne vers ledit tribunal, et engage une seconde procédure. Et là, surprise, le tribunal civil se déclare...incompétent, avec des attendus non moins clairs : «Un contentieux entre un civil et une administration relève du tribunal administratif». Le même contentieux, soumis aux deux juridictions, n'a donc pu être tranché, chaque cour se déclarant incompétente, et renvoyant vers la partie compétente. Le citoyen lambda ne comprend donc rien, sinon que des magistrats (en principe hautement qualifiés pour résoudre les problèmes des gens) se déclarent incompétents. Ce citoyen glisse alors vers une autre insinuation cruelle : «Et cette incompétence, ne serait-elle pas générale... ?», manière de suggérer que ces juges sont tout simplement....incapables, dans le sens populaire du terme ! Finalement, le contentieux sera tranché par un tribunal administratif, présidé par un magistrat «compétent» (c'est-à-dire bon juriste et connaisseur des arcanes du droit) qui ordonnera la levée de l'hypothèque sans délais. Plus tard, il expliquera que dans cette affaire, il n'y avait pas lieu de jouer au ping-pong avec un justiciable qui ne comprend rien à ces subtilités juridiques : «Notre rôle, en tant que juges du siège, c'est de solutionner les problèmes, pas de les compliquer outre-mesure». La demanderesse était-elle fondée à présenter sa requête ? Oui ? Alors peu importe le tribunal qui satisfera sa demande, l'essentiel étant que le droit soit appliqué, dans le respect des textes de loi en vigueur, et régissant ce genre de situation. Et, ajouta-t-il, les juges sont là pour créer la norme de droit à travers leurs jurisprudences ; alors, si une disposition est ambiguë, un texte imprécis, le juge doit faire preuve d'interprétation au profit de la loi ! Voilà un juriste comme on aimerait en voir plus dans nos tribunaux! n