Il y a certains dossiers qui connaissent des sorts particuliers, en matière judiciaire s'entend. Les cas les plus simples accouchent de monstruosités juridiques, qui en laissent plus d'un pantois. Exemple classique, mais réel. Mme S., fonctionnaire de son état auprès d'une administration communale, a bénéficié d'un crédit pour se loger, courant sur une vingtaine d'années. La famille s'installe donc, et Mme S. commence le remboursement du crédit. Pendant une dizaine d'années, les échéances sont réglées régulièrement. Et profitant d'un héritage, la dame règle l'ensemble du crédit restant en une seule fois. Hélas, les services communaux ne sont pas assez réactifs, et la demande de la dame, visant à effacer l'hypothèque grevant son titre, reste lettre morte, malgré plusieurs tentatives. Direction donc le tribunal administratif, où une première demande est rejetée pour vice de forme: la préfecture n'aurait pas été citée à comparaître... Curieusement, l'avocat de la Commune soulève l'incompétence du tribunal pour statuer sur ce cas. Demande sèchement refusée, le tribunal s'estimant compétent, mais rejetant la demande. Classique et courant. Les requérants effectuent une deuxième tentative en rectifiant les détails de forme qui avaient «cloché» dans la demande précédente. Le dossier est enregistré au greffe du tribunal administratif et confié à un magistrat instructeur. Les faits sont pourtant d'une simplicité extrême. Une dette est garantie par une hypothèque. Ayant été apurée, l'hypothèque doit être radiée et le titre foncier apuré de toute inscription. Le magistrat mettra tout de même plus de six mois avant de rendre son verdict, qui se résume en «pas de verdict, mais transmission du dossier à la Chambre du conseil», laquelle statue collégialement. Et qui, avant de ce faire, prend aussi son temps, soit quelques mois de plus. On se demande pourquoi tant de temps, pour une affaire aussi simple, mais rien ne peut forcer un magistrat à accélérer une procédure ; il est le seul maître de son agenda, et ne saurait se faire imposer des délais quelconques. Et donc finalement, la fameuse Chambre rend son jugement, lequel est renversant! La Cour se déclare incompétente, en raison de la matière, pour statuer dans ce dossier, et renvoie gentiment les parties vers la juridiction compétente en matière administrative. Qui se trouve être la même Cour ! Perplexité générale dans les milieux judiciaires, et particulièrement chez les avocats. Ce cas est rarissime, car il s'agit d'un véritable «plantage». Le juge a-t-il mal lu le dossier ? Manquerait-il des pièces importantes ? Des délais n'auraient-ils pas été respectés ? Vérification faite, rien de tout cela n'est arrivé, le dossier a connu un cheminement normal. Jusqu'au bug final. Contacté, l'un des juges ne cache pas son embarras, et argumente péniblement qu'il pourrait s'agir d'une erreur du greffe, ce qui est en fait impossible. Le greffier met en forme les jugements qui lui sont transmis par les magistrats, sans en changer un mot ou une virgule. Par ailleurs, l'erreur matérielle n'existe pas : le tribunal administratif est compétent pour connaître toutes les affaires où l'Etat, les Collectivités locales ou établissements publics sont mis en cause. Dans cette affaire, il s'agit bien d'une commune, et une action en justice la concernant ne saurait donc être engagée que devant le tribunal administratif... Sauf, si dans une interprétation hasardeuse le tribunal a estimé qu'il s'agit d'une affaire mi-civile (de par la qualité de la demanderesse), mi-administrative (présence de la Commune), et a donc estimé que cela relevait de la compétence des juges civils. Auquel cas on ne comprend pas bien pourquoi il a renvoyé les parties vers un tribunal... administratif! Autant de curiosités juridiques, qui démontrent en tout cas la capacité de nos juges à créer des situations plutôt loufoques! Les juges, eux, font comme Ponce Pilate : ils s'en lavent les mains, et en cas de contestation, n'est-ce pas, le Législateur dans son infinie sagesse a instauré une voie de recours...mais pour cela il faut se déplacer à Rabat où siège la Cour d'appel administrative.... Et ce n'est pas gagné d'avance !