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Le discours du 9 Mars 2011, six ans après…
Publié dans La Vie éco le 08 - 03 - 2017

En sept points, en plus de la régionalisation, le discours annonçait un processus de façonnage des institutions. Cinq mois après des élections libres, le gouvernement n'est toujours pas en place et le Parlement reste paralysé. La commémoration du 20 février a été terne cette année, pourtant on continue à lui donner plus d'importance qu'il n'en a vraiment.
Jeudi 9 Mars 2011, SM le Roi adressait un discours historique à la nation. Après avoir salué le travail de la commission chargée de la réforme de la régionalisation, il avait annoncé qu'une autre commission, la Commission royale de la réforme de la Constitution, allait s'atteler à préparer une réforme constitutionnelle globale. Laquelle devait être présentée pour approbation au peuple marocain lors d'un référendum le 1er juillet. Outre le renforcement du pluralisme, des droits de l'homme et des libertés individuelles, le Souverain avait promis que le statut du premier ministre, en tant que chef d'un pouvoir exécutif effectif, et celui des partis politiques devraient être renforcés dans le cadre de cette réforme constitutionnelle. Six ans plus tard, le sort de la formation du gouvernement est aujourd'hui entre les mains des partis politiques représentés au Parlement, principalement celui arrivé en tête des dernières élections du 7 octobre 2016. Et à environ cinq mois du blocage des négociations engagées par le chef de gouvernement désigné, le Souverain n'est intervenu qu'une seule fois pour rappeler à ce dernier, par le biais de ses deux conseillers, l'urgence de former le gouvernement. Bien plus, certains dirigeants politiques, dont Saâdeddine El Othmani, président du conseil national du PJD, considèrent même ce blocage comme un exercice démocratique sain, un exercice par lequel les partis apprennent à négocier et imposer leurs conditions, un exercice qui renseigne combien sont importants l'enjeu électoral et la conduite d'un gouvernement avec bien plus de pouvoirs qu'auparavant. Pendant ce temps, acculé, le chef de gouvernement désigné ne cesse de brandir l'épouvantail du 20 février et de «la rue». Pas plus tard que le 20 février dernier, sous la coupole de la deuxième Chambre qui a organisé un forum sur la justice sociale, Abdelilah Benkirane a laissé entendre que «les conditions qui ont permis la naissance du mouvement sont toujours lû. C'est le secrétaire général du PJD qui avait interdit à ses militants de participer à ce mouvement, crée un «mouvement baraka» pour le contrer, mais qui n'a pas hésité à l'approche des élections de faire sienne la plupart de ses slogans et ses revendications, notamment le combat de la corruption ou le «fassad». Il en a fait une tactique qui a sensiblement contribué à sa réussite électorale. Ce même PJD qui, cinq ans plus tard, a usé de la même tactique.
Le discours royal du 9 Mars avait également annoncé un certain nombre de réformes, consacrées moins de quatre mois plus tard par la Constitution, comme la séparation, l'équilibre et la collaboration des pouvoirs.
Séparation et complémentarité des pouvoirs
Pour la première fois, les pouvoirs du Roi ont été clairement énoncés et, veillant au strict respect de la Constitution dans son esprit et dans son texte, la monarchie en tant qu'institution est la seule à avoir scrupuleusement respecté les termes de la loi suprême. A ce jour, le conseil supérieur du pouvoir judiciaire n'étant pas encore installé, le ministre de la justice assure toujours la tutelle du parquet, alors que dans le texte, une loi organique, votée par le Parlement, mais non encore entrée en vigueur, cette tutelle n'existe plus et les deux pouvoirs, exécutif et judiciaire, sont complètement indépendants. On pourrait en dire de même pour les pouvoirs législatif et exécutif. Le discours du 9 Mars parle ainsi, dans son quatrième point, de «la consolidation du principe de séparation et d'équilibre des pouvoirs et l'approfondissement de la démocratisation, de la modernisation et la rationalisation des institutions». Et cela à travers notamment «un Parlement issu d'élections libres et sincères, au sein duquel la prééminence revient à la Chambre des représentants, avec une extension du domaine de la loi, tout en veillant à conférer à cette institution de nouvelles compétences lui permettant de remplir pleinement ses missions de représentation, de législation et de contrôle». Cela en plus d'un «gouvernement élu, émanant de la volonté populaire exprimée à travers les urnes, et jouissant de la confiance de la majorité à la Chambre des représentants». Le premier ayant été démocratiquement élu, pour la deuxième fois après l'adoption de la Constitution de 2011, mais peine encore à entrer en fonction. Quant à la méthodologie démocratique, il aura suffi au Souverain de trois jours après l'annonce des résultats pour désigner le chef de gouvernement. Ce dernier, s'accrochant à sa propre vision de cette «méthodologie», n'arrive toujours pas, à l'heure où nous mettions sous presse, à former sa majorité. Par ailleurs, dans les textes, notamment la Constitution, on parle de séparation et collaboration de ces deux pouvoirs. Dans les faits, sans l'impératif de ratifier l'Acte fondateur de l'UA pour que le Maroc puisse la réintégrer, la première Chambre n'aurait probablement pas encore élu son président et ses autres instances dirigeantes, faute de gouvernement.
L'absence de ce dernier empêche toujours les deux Chambres d'exercer pleinement leur pouvoir législatif, même par le biais de propositions de loi qui ne peuvent être programmées pour débat et adoption qu'après l'aval du gouvernement. Cela au point où certains parlementaires évoquent déjà la possibilité que les présidents des deux Chambres invoquent l'arbitrage royal, dans le cadre de l'article 42 de la Constitution pour lever ce gel imposé à l'institution parlementaire. «La session d'automne a déjà été sacrifiée, et, au stade où en sont les choses, on risque également une session de printemps blanche», affirme une source parlementaire. Ce qui empêche justement que, six ans après le discours du 9 Mars, certaines réformes majeures n'ont pas encore été concrétisées. Le gouvernement sortant a, certes, déposé, à la dernière minute, les derniers projets de lois organiques qui complètent l'arsenal prévu par la Constitution, mais ces textes restent encore bloqués. C'est le cas de la loi organique portant mise en œuvre de l'article 133, relative à l'exception d'inconstitutionnalité dont les débats se sont arrêtés en phase finale avant son adoption. On peut également citer la loi organique relative à l'officialisation de la langue amazighe qui n'a même pas encore été programmée pour débat en commission, mais dont la mouture présentée par le gouvernement est loin de satisfaire tous les intervenants dont, en premier lieu, les parlementaires. Pourtant, c'est le premier point abordé par le discours du 9Mars, après la question de la régionalisation. En plus d'être laissé à la dernière minute, le projet de loi relatif à l'officialisation de la langue amazighe a été, pour de nombreux observateurs, «bâclé», en tout cas bien en deçà des attentes. En ce sens, le PAM qui vient de consacrer une journée d'étude à la question promet de faire barrage à ce texte. Une décision qui, selon des sources du parti, a déjà recueilli l'adhésion des élus du RNI, du MP et même du PPS. La mise en place du Conseil national des langues et de la culture marocaine, le Conseil national pour la jeunesse et l'action associative, également annoncés par le discours du 9 Mars et consacrés par la Constitution n'ont toujours pas vu le jour. Le discours avait en outre prévu «le renforcement des organes et outils constitutionnels d'encadrement des citoyens, à travers notamment la consolidation du rôle des partis politiques dans le cadre d'un pluralisme effectif, et l'affermissement du statut de l'opposition parlementaire et du rôle de la société civile».
Une carte politique de plus en plus claire
Une loi sur les partis politiques a été adoptée en 2011, leur mode d'organisation est devenu relativement plus transparent de même que leur financement. Bref, les partis, au risque de perdre le soutien financier de l'Etat qui représente plus de 90% des revenus pour certains, sont obligés de se mettre à niveau. Le pluralisme politique étant garanti par la Constitution, mais les élections, et donc le citoyen électeur, ont pu faire le tri au cours de ces deux derniers scrutins. Ainsi, seuls 12 partis politiques (en comptant la FGD formée de trois partis pour un seul) ont pu accéder au Parlement, huit d'entre eux totalisent plus de 98% des sièges et seuls six ont pu former un groupe parlementaire (20 députés). Les alliances politiques claires ont pu être dégagées facilement, avec trois tendances : le PJD-PPS-Istiqlal, le RNI-MP-UC (avec éventuellement l'USFP) et le PAM. L'opposition désormais conduite par un parti politique fort, en l'occurrence le PAM avec ses 102 sièges, est appelée à jouer un rôle majeur lors de l'actuelle législature. Aux côtés des acteurs politiques, les citoyens peuvent également, à travers les associations, participer à l'élaboration et l'amendement des lois dans le cadre de la législation populaire. Une loi organique qui précise le mode d'exercice de ce droit, prévue dans l'article 14 de la Constitution, a été adoptée. Les deux Chambres du Parlement planchent actuellement sur une proposition d'amendement de leur règlement intérieur pour mettre en place les mécanismes d'exercice de ce droit.
Au delà de ce côté institutionnel, le discours du 9 Mars avait également évoqué un aspect de la vie publique dans lequel le Maroc a concédé bien des efforts, mais où beaucoup reste encore à faire. C'est un aspect aussi méconnu que porteur de potentiel électoral, la lutte contre la corruption et la prévarication. Le PJD en a fait son cheval de bataille et continue à en user et abuser à chaque fois qu'il se retrouve à court d'arguments.
Or, le Souverain dans son discours du 30 Juillet de l'année dernièrel'a encore une fois précisé : «Comme nous l'avons souligné à maintes reprises, assumer une responsabilité exige de chacun de respecter le nouveau concept d'autorité que nous avons lancé dès notre accession au Trône. Notre conception de l'autorité est une doctrine de pouvoir qui, contrairement à ce que pensent certains, ne se limite pas uniquement aux walis, aux gouverneurs et à l'Administration territoriale. Elle concerne aussi quiconque détient un pouvoir, qu'il soit un élu ou qu'il exerce une responsabilité publique, quelle qu'elle soit».
La lutte contre la corruption, une affaire de tous
Il en ressort que le PJD est également et directement concerné, non seulement en ce sens qu'il dirige plusieurs villes et communes, dont les plus grandes, ce qui expose directement ses responsables, mais également dans le sens où chaque poste de responsabilité suppose l'obligation de reddition des comptes. Ainsi, affirme le Souverain, «le nouveau concept d'autorité signifie l'interpellation et l'exigence de reddition des comptes, qui s'opèrent à travers les mécanismes de régulation et de contrôle et l'application de la loi. Pour les élus, cela passe par les élections et la quête de la confiance des citoyens. Notre concept d'autorité se fonde aussi sur la lutte contre toutes les formes de corruption dans les élections, l'Administration, la Justice, etc. Le manquement au devoir est aussi une forme de corruption. Par ailleurs, la corruption n'est pas une fatalité, pas plus qu'elle n'a fait partie un jour du caractère des Marocains. Or la notion de corruption a tellement été galvaudée et quasiment normalisée dans la société. En fait, personne n'en est exempt, hormis les Prophètes, les messagers et les anges. Il faut souligner ici que la lutte contre la corruption ne doit pas faire l'objet de surenchères». Et de conclure que «nul ne peut y arriver tout seul, qu'il s'agisse d'un individu, d'un parti ou d'une ONG. Mieux encore, personne ne doit s'aviser de chercher par ses propres moyens à éliminer la corruption ou à redresser les travers, hors du cadre de la loi». C'est donc l'affaire de tout un pays. A commencer par l'instance mise en place et dont les pouvoirs et les compétences ont été renforcés par la nouvelle Constitution. Et cela au même titre que les autres instances de régulation et en charge de la bonne gouvernance, des droits de l'Homme et de la protection des libertés, également annoncée par ce discours historique. Discours qui, faut-il le préciser, s'était d'abord attardé sur la mise en place de la régionalisation avancée. C'est un chantier qui vient à peine de démarrer, avec l'élection en septembre 2015 au suffrage universel des Conseils régionaux qui ont désigné à leur tour les présidents et les instances dirigeantes des régions, mais qui va transformer complètement le système de gouvernance au Maroc. Il faut dire que, pour certains chercheurs et analystes internationaux, toutes ces réformes annoncées le 9 Mars et entreprises immédiatement après, étaient déjà en maturation. Elle s'inscrivent dans le cadre d'un processus de démocratisation global initié une dizaine d'années plutôt et dont l'un des actes fondateurs est la mise en place de l'IER.
[tabs][tab title ="Pourquoi il n'y aura plus de «20 février»"]Les conditions qui ont permis le déclenchement des protestations du 20 février sont toujours là. Le chef de gouvernement désigné, auteur de cette assertion, n'a peut-être pas tort, mais sans doute pas pour les raisons qu'il a avancées. En réalité, pour reprendre une analyse de Habib Stati Znieddine, chercheur à l'Université de Marrakech, les deux conditions qui pourraient déclencher de pareilles manifestations existent toujours. La première étant l'explosion de la demande sociale face à la limite des ressources et des politiques publiques. La deuxième condition est relative au processus d'ouverture démocratique et les marges de plus en plus grandes des libertés publiques. Ces deux conditions ont fait que le nombre des manifestations a explosé en moins de dix ans. Aussi, les autorités prises de cours en 2011, se sont-elles adaptées, depuis, à ce genre de manifestations. Elles ont pu gérer les multiples mouvements de contestation des diplômés chômeurs, les manifestations et marches des médecins et étudiants en médecine, les stagiaires des centres de formation des académies régionales de l'enseignement, des manifestations à caractère régional comme celles qu'ont connues les villes de Tanger et Tétouan, contre Amendis, et plus récemment à Al Hoceima après la mort atroce du marchand de poisson Mohcine Fikri et bien d'autres. Selon une étude sociologique réalisée il y a un peu plus d'un an pour le mouvement associatif Forum Alternatives, le Maroc a connu, en 2013, une moyenne de 54 manifestations par jour (soit près de 20 000 manifestations pendant toute l'année). Selon cette étude, le nombre de manifestations recensées est passé de deux manifestations par jour (soit 700 manifestations par an) en 2005, à 14 par jour (5 091 manifestations par an) en 2008 et à 18 par jour en 2009 (6570 par an), chiffre qui va tripler en 2012 pour passer à 18 980 manifestations, soit 52 manifestations recensées par jour. D'autre part, les conditions régionales ont changé. Le «printemps démocratique» s'est transformé en «automne islamiste» dans certains pays et a viré au cauchemar de la guerre civile dans d'autres. La prise de pouvoir par les islamistes, la faillite de l'islam politique, les guerres civiles et faillite des Etats ont fait que les populations ne sont plus disposées à courir le même risque. Même dans les pays du nord de la Méditerranée qui ont également connu des mouvements sociaux au cours de cette période, la mayonnaise n'a pas vraiment pris. La Grèce n'est toujours pas sortie de sa crise et l'Espagne où Podemos, le parti issu des mouvements de protestation de mars 2011, qui s'est démarqué en tant que force politique, vit également une situation politique fragile.[/tab][/tabs]


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