Faute d'une Loi de finances, les crédits nécessaires pour le fonctionnement de l'Etat seront débloqués comme en 2012. Le PJD continue de bombarder les autres partis tout en leur reprochant de refuser de s'associer à lui. Le mandat de Benkirane à la tête du parti arrive bientôt à terme et un congrès aura lieu dans quelques mois. Jeudi, le gouvernement d'expédition des affaires courantes a tenu sa dernière réunion. Deux décrets étaient à l'ordre du jour. Les deux textes portent sur le déblocage des crédits pour assurer le fonctionnement des institutions de l'Etat en attendant la formation d'un nouveau gouvernement. Ce n'est pas un fait nouveau, le gouvernement sortant de Abbas El Fassi a déjà réagi de la sorte, en décembre 2011, alors que le nouveau gouvernement d'Abdelilah Benkirane n'était pas encore constitué. Le projet de Loi de finances n'avait, d'ailleurs, été promulgué qu'en mars de l'année suivante. Le gouvernement sortant n'avait fait qu'appliquer les dispositions de l'article 75 de la Constitution et celles prévues par la loi organique de Finances au cas où le projet de Loi de finances n'a pas été adopté dans les temps par le Parlement. Concrètement, il s'agit de débloquer les fonds nécessaires pour assurer le fonctionnement normal des institutions et de l'administration et continuer à percevoir les impôts. Mais rien sur l'investissement. Cependant, la non-adoption de ces deux décrets pourrait, au contraire, plonger le pays dans une crise. C'est donc un geste normal vu les circonstances actuelles, ce qui n'empêche pas certains analystes politiques à afficher leur pessimisme, maintenant que le chef de gouvernement désigné s'est défait du lourd fardeau du projet de Loi de finances, il se libère de l'une des principales contraintes. En même temps, le ministère de l'intérieur vient de lancer la procédure d'actualisation des listes électorales. L'opération est prévue par la loi 57-12 adoptée en 2011 et amendée par la loi 02-16 qui précise que les listes électorales sont actualisées chaque année. Cette révision annuelle des listes électorales générale qui a lieu en décembre ne concerne essentiellement que les jeunes qui auront atteint l'âge de 18 ans au 31 mars de l'année suivante, en plus bien sûr des électeurs non inscrits ou ceux ayant changé de lieu de résidence. Autrement, l'article 9 de ladite loi précise d'ailleurs que «les demandes d'inscription sur les listes électorales sont présentées pendant une période de trente jours qui débute et prend fin à des dates fixées par décret pris sur proposition du ministre de l'intérieur». Une opération routinière donc, mais à laquelle la jeunesse du PJD et le parti, lui-même, viennent de donner une dimension particulière. Le parti a, en effet, lancé une campagne d'inscription sur les listes électorales sur le thème : «Inscrivez-vous et participez, vous allez fortifier la démocratie de votre pays», laquelle campagne initiée par la jeunesse a été relayée par les médias du parti. Elle a eu pour effet de faire naître chez le simple citoyen une impression que de nouvelles élections seront organisées dans l'immédiat. Pas de nouvelles élections Il est de notoriété publique que les tenants d'un certain courant au sein du parti, n'ont jamais cessé, depuis les premières prémices du blocage, d'appeler à organiser de nouvelles élections pour sortir de l'impasse que connaît le processus de formation du gouvernement. Le RNI a également appelé les jeunes et ceux qui ne sont pas encore inscrits sur les listes électorales à accomplir cette formalité dans leur intérêt et celui de la nation, mais sans en donner cette lecture biaisée. Le slogan de la campagne lancée par le parti de la Colombe est «votre voix est importante pour l'avenir de votre pays». Le RNI s'étant bien entendu fixé comme objectif, entre autres, d'intéresser les abstentionnistes aux élections et à l'action politique. La nouvelle direction du parti l'a d'ailleurs précisé à plusieurs reprises, le RNI n'a pas l'intention de puiser dans les réservoirs électoraux des autres partis, sa cible sont ceux qui ne votent pas encore pour une raison ou pour une autre. Mais c'est là un autre sujet. Pour l'heure nous n'avons pas encore de gouvernement et, d'après les proches de Benkirane, à l'heure où nous mettions sous presse, aucune rencontre, dans le cadre des négociations de formation du gouvernement, n'avait été programmée. En attendant, les pronostics vont bon train quant à l'issue de ces pourparlers. Le dernier en date à avoir abordé la question est l'ancien député PJD, Abdellatif Berrouhou. Selon lui, les seules issues qu'offre la loi suprême, après l'échec de formation du gouvernement sont la dissolution du Parlement selon les conditions précisées dans l'article 96 de la Constitution et l'organisation de nouvelles élections, la nomination par le Roi d'un nouveau chef de gouvernement au sein du PJD ou la reconduction de Benkirane à charge pour lui de revoir la méthodologie et la démarche des négociations. Naturellement, organiser de nouvelles élections est une option que personne, à part une certaine tendance du PJD, ne souhaite. En plus du fait que cela pourrait créer un précédent dangereux et une coutume qui ouvre la porte à tous les risques, car, selon certains politologues, cela reviendrait, notamment, à les ériger en seul arbitre entre les partis et les institutions. En même temps, ce scénario est exclu non pas parce que, comme le laissent entendre certains cadres et les milices électroniques du PJD, ce dernier risque de les remporter de nouveau, voire améliorer son score, mais pour d'autres raisons. La question qui fâche Le PJD a déjà remporté le précédent scrutin du 7 octobre et a même conforté son score en passant de 107 sièges en 2011 à 125 actuellement, mais il ne faut pas oublier que ses deux principaux alliés, le PPS et l'Istiqlal, sont passés de 18 sièges à 12 pour le premier et de 60 à 46 pour le second. A moins d'obtenir à lui seul la majorité des 198 sièges ou, du moins s'en approcher, on risque de retomber encore et encore dans la même situation de blocage. Or, il est tout simplement impossible qu'il atteigne cette performance sous le régime électoral actuel. Et pour changer le régime électoral, il faut en plus de l'accord des autres partis et acteurs politiques, changer la loi et donc que le gouvernement, non encore formé, présente des projets de lois et que le Parlement, que nous n'avons pas encore non plus, les adopte. L'option d'un gouvernement d'union nationale a également été évoquée comme éventuelle solution de sortie du blocage, mais le PJD y est fermement opposé. «Le PJD ne fera pas partie d'un gouvernement d'union nationale», tranche le président de son conseil national Saâdeddine El Othmani. Pour revenir aux déclarations de cet ancien député PJD, c'est la première fois qu'un cadre du parti évoque la possibilité de la nomination d'une personnalité du PJD autre que Benkirane. Le cercle rapproché de ces derniers s'y est toujours opposé formellement. Aziz Rebbah a déclaré très tôt que «remplacer Benkirane par un autre cadre du parti pour diriger le futur gouvernement PJD est inenvisageable». Quant à la députée, étoile montante du parti, Amina Maelainine, elle a été la première à rejeter une telle option. Et ce, en déclarant que «ceux qui font circuler la possibilité de nommer une autre personne du PJD, à part le secrétaire général, pour constituer le gouvernement, sont hors sujet et contre la logique». Selon elle, les promoteurs de cette option ne connaissent pas vraiment le PJD. «Ne vous imaginez pas que remplacer Benkirane changera la logique du parti, ses choix et ses principes». Que l'un de ses cadres évoque la possibilité de recourir à une autre personnalité que Benkirane, dont le mandat à la tête du parti arrive à terme dans quelques mois, est-il un signe que le PJD a commencé à revoir ses positions ? La question reste posée. Chantage à peine masqué Ce qui est sûr, c'est que dans quelques mois le temps nécessaire que l'Exécutif soit mis en place, Abdelilah Benkirane ne pourra plus cumuler les deux casquettes, celle de chef de gouvernement et celle de patron de parti. Son mandat à la tête du PJD a été prorogé d'une année pendant le congrès extraordinaire organisé en mai dernier. Ce qui donne peu de temps à la direction pour régler la question de formation de gouvernement et gérer les ambitions des ministrables et préparer le prochain congrès avec, en prime, une guerre de succession qui s'annonce déjà féroce. C'est sans doute pour cette raison et pour garder sa cohésion interne et une mobilisation soutenue que le parti a choisi justement cette manière de former et gérer ses alliances, estime cet analyste politique. Ce n'est donc pas pour rien que le parti continue à servir pratiquement le même discours, à quelques variantes près, de sa campagne électorale. L'approche du PJD se résume en une seule phrase: «Si vous ne voulez pas participer au gouvernement avec le PJD, c'est que vous êtes un parti qui a perdu son autonomie de décision et qui est soumis au Tahakkoum». C'est visiblement sous cet angle que beaucoup de dirigeants du parti islamiste abordent aujourd'hui la scène politique. Certains se sont même donné pour mission de critiquer à longueur de journée tous les partis qui émettent des réserves sur la vision du chef de gouvernement désigné et la méthodologie avec laquelle il mène ses négociations. Et ce ne sont pas les occasions qui manquent pour distiller leurs messages. Ainsi, et lors de la manifestation organisée par la jeunesse du parti, le week-end dernier, ces dirigeants qui se sont relayés à la tribune n'avaient que cette expression sur leur langue: «Autonomie de la décision partisane». Pour eux, hormis le PPS et l'Istiqlal, évidemment, qui ont donné très tôt leur accord pour la participation au gouvernement et qui sont traités, en conséquence, de maîtres de leur décision et donc de démocrates par le PJD, les autres partis manqueraient de cette qualité. Slimane El Amrani, secrétaire général-adjoint, va plus loin, en considérant que ces deux partis «ont donné son vrai sens à l'alliance partisane en se rangeant du côté du PJD». Quant à Saâdeddine El Othmani, il estime tout simplement que les alliances des partis ne doivent plus être considérées sous l'angle de l'idéologie, du programme ou du projet de société, mais selon si ces partis sont pour ou contre la démocratie. Les islamistes semblent oublier que les partis politiques sont, par essence, des instruments de l'exercice de la démocratie et qu'ils ne peuvent pas être contre leur raison d'exister. L'article 7 de la Constitution précise, en ce sens, que les partis politiques «concourent à l'expression de la volonté des électeurs et participent à l'exercice du pouvoir, sur la base du pluralisme et de l'alternance par les moyens démocratiques, dans le cadre des institutions constitutionnelles». Pourquoi donc le PJD réagit-il de la sorte? Outre le fait de maintenir la mobilisation interne pour faire face aux imprévus de son prochain congrès, il semble que c'est une stratégie pour faire pression sur d'autres partis afin de les pousser à revoir leurs positions. Ce que certains analystes politiques n'arrivent surtout pas à comprendre c'est comment le PJD et ses dirigeants se permettent-ils d'accuser des partis de ne pas être maîtres de leur décision, entre autres torts, et venir ensuite leur demander, sans ciller, de faire partie de sa majorité gouvernementale? A moins que ce qu'est en train de faire le PJD ne soit, ni plus ni moins, du chantage déguisé. [tabs][tab title ="Quid de l'opposition"]Alors que tous les scénarios possibles et imaginables ont été évoqués pour la formation du gouvernement, personne ne semble se préoccuper de l'opposition. Aujourd'hui on sait que le PAM y est et que la FGD, avec ses deux sièges, s'y positionne également sans pour autant être de son côté. C'est tout ce que l'on sait de l'opposition. Pour l'USFP et vu comment son annonce de participation au gouvernement a été perçue par le PJD, il est fort probable qu'elle se range finalement dans l'opposition. Ce qui pourrait lui donner une nouvelle dimension, étant donné qu'à lui seul le PAM ne pourrait pas jouer pleinement ce rôle. Pour le reste, c'est avec un désintérêt total qu'on l'aborde. Et pourtant, l'opposition est tenue d'apporter une contribution active et constructive au travail parlementaire. L'opposition contrôle également le travail de l'Exécutif via différents mécanismes. Ainsi, selon l'article 10 de la Constitution, celle-ci garantit à l'opposition «un statut lui conférant des droits à même de lui permettre de s'acquitter convenablement de ses missions afférentes au travail parlementaire et à la vie politique». La Constitution garantit, notamment, à l'opposition la liberté d'opinion, d'expression et de réunion, un temps d'antenne au niveau des médias officiels, proportionnel à leur représentativité ainsi que le bénéfice du financement public, conformément aux dispositions de la loi. De même, l'opposition participe effectivement à la procédure législative, notamment par l'inscription de propositions de lois à l'ordre du jour des deux Chambres du Parlement. Elle contrôle le travail gouvernemental, à travers notamment les motions de censure et l'interpellation du gouvernement, ainsi que des questions orales adressées au gouvernement et dans le cadre des commissions d'enquête parlementaires. Entre autres droits, la Constitution accorde à l'opposition une représentation appropriée aux activités internes des deux Chambres du Parlement, la présidence de la commission en charge de la législation à la Chambre des représentants. Elle lui accorde également les moyens appropriés pour assurer ses fonctions institutionnelles et le droit à la participation active à la diplomatie parlementaire en vue de la défense des justes causes de la Nation et de ses intérêts vitaux. Enfin, l'opposition contribue à l'encadrement et à la représentation des citoyennes et des citoyens à travers les partis politiques qui la forment et participe à l'exercice du pouvoir aux plans local, régional et national, à travers l'alternance démocratique. En outre, les groupes de l'opposition sont tenus d'apporter une contribution active et constructive au travail parlementaire.[/tab][/tabs]