100 jours après les élections, les instances dirigeantes de la première Chambre sont enfin installées. L'élection de Habib El Malki ouvre pour certains la voie à une rapide formation du gouvernement et, pour d'autres, à une aggravation de la situation. Même en soutenant le quartet RNI-UC-MP-USFP le temps d'un vote, le PAM reste dans l'opposition. Habib El Maki, de l'USFP, le seul candidat qui s'est manifesté depuis le lendemain des élections du 7 octobre, a donc été élu président de la première Chambre. Il a remporté 198 votes contre 137 votes blancs (du PJD, PPS et de la FGD) et 7 bulletins nuls. Ainsi, la première Chambre a désormais, depuis lundi, un président. Le lendemain a été consacré à l'élection des autres instances. Il s'agit d'abord de la formation des groupes parlementaires. Aujourd'hui, ils sont au nombre de six, le groupe du PJD avec 125 sièges, le groupe du PAM (103 sièges avec le député du Parti de la gauche verte), le groupe du Rassemblement constitutionnel (RNI-UC-MDS-PUD, 60 sièges), le MP(27 sièges) et l'USFP avec 20 députés. Etant donné que le nombre de sièges nécessaire pour former un groupe est de 20 parlementaires selon le règlement intérieur de la Chambre, le PPS, avec ses 12 sièges, ne peut prétendre qu'à un groupement parlementaire. Ce dont il se contentera. Dans les coulisses du Parlement, on affirme que le parti aurait souhaité que la majorité gouvernementale soit formée avant l'élection du président de la Chambre, qui devait être forcément issu d'un parti de la majorité. Ainsi, il aurait été plus facile de pousser vers un amendement du règlement intérieur de manière à revoir à la baisse le seuil de formation des groupes parlementaires. Cela s'est déjà passé, l'année dernière, au sein de la deuxième Chambre où le nombre nécessaire pour former un groupe est passé de 12 à 6 parlementaires. Mais il faut dire que le nombre total des sièges de la Chambre est également passé de 270 à 120. Le PPS a d'ailleurs toujours soutenu, et proposé aux futurs partenaires de la majorité gouvernementale, que le président de la Chambre soit désigné parmi celle-ci ou du moins parmi un parti qui s'engage à la soutenir sans faire partie du gouvernement. Pour le moment, seul l'Istiqlal se trouve dans cette position. Bref, après la formation des groupes, il a été procédé à l'élection des instances de la Chambre, le bureau d'abord et les présidents des commissions, ensuite, quitte à élire plus tard les bureaux qui dirigeront ces dernières. La première Chambre ainsi constituée, a tenu, mercredi, une séance plénière pour voter le projet de loi portant ratification du traité relatif aux statuts de l'Union Africaine. Il va de soi que les députés ne vont pas examiner et voter le traité en lui-même, contrairement à ce que certains pourraient croire, mais juste le projet de loi par lequel ils entérinent l'accord en question. Bientôt, de nouveau les vacances Bien sûr, le projet de loi devrait d'abord être présenté en commission des affaires étrangères présidée par Mohamed Yatime (PJD), par le ministre des affaires étrangères et adopté par celle-ci avant d'être proposé pour vote en séance plénière. C'est donc une semaine chargée pour les députés qui viennent de passer trois mois de congé forcé. Ils reprendront leurs vacances après puisque rien ne devrait être programmé pour le reste de la session qui prend fin, théoriquement, début février. A moins que la formation de la majorité et la nomination du gouvernement n'interviennent dans les quelques jours à venir, ce qui, vu les circonstances, reste peu probable. Les quelques jours qui restent pourraient très bien être consacrés au renouvellement des représentants de la Chambre et, éventuellement, du Parlement marocain, dans différentes instances de coopération et de partenariat : la commission parlementaire mixte Maroc-UE, l'assemblée parlementaire de l'Europe, de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'OTAN, le Parlement africain… Plusieurs parlementaires s'activent dans différentes instances législatives internationales en tant qu'associés ou partenaires. Cela en plus des nombreuses structures interparlementaires comme les groupes d'amitié qui sont au nombre d'une soixantaine et dont l'objectif est de tisser des relations diplomatiques avec les parlementaires de différents Etats. Pour revenir à l'élection du socialiste Habib El Malki au perchoir et du point de vue purement arithmétique, les partis qui ont voté pour lui forment déjà une majorité parlementaire, puisque les 198 députés qui ont voté pour lui forment la majorité absolue (50% plus un). Cela signifie, en outre, qu'Abdelilah Benkirane ne pourrait plus disposer de majorité absolue pour voter l'investiture de son gouvernement (art.88 de la Constitution). Ceux qui font la promotion d'un gouvernement minoritaire avec la possibilité de faire voter son programme devraient désormais revoir leur position. Après ce vote, un gouvernement minoritaire n'a plus lieu d'être. De toutes les manières, c'est Abdelilah Benkirane, le chef de gouvernement désigné, qui demeure chargé de la formation de la majorité gouvernementale. Le PAM n'est sorti de son retranchement volontaire que le temps d'une élection, pour porter main forte aux partis qui soutiennent El Malki. Il a aussitôt après regagné les bancs de l'opposition, le camp qu'il a choisi depuis le début. Et depuis le début, il a également déclaré ouvertement qu'il ne se voit pas en alternative au cas où Benkirane n'arrivait pas à former sa majorité. Du reste, la Constitution ne prévoit pas ce cas de figure, a-t-il laissé entendre. La séparation des pouvoirs strictement respectée Cela dit, l'élection d'une personnalité appartenant à un parti non encore membre de la majorité consacrera une coutume constitutionnelle. Cela s'est déjà passé en 1997, sous la Constitution de 1996, lorsque le président de la première Chambre a été élu, Abdelouahed Radi de l'USFP en l'occurrence, avant que le gouvernement ne soit formé. Le président de la Chambre a été élu le 3 mars 1997 et le gouvernement d'Abderrahmane Youssoufi (USFP) n'a été nommé que l'année suivante, le 14 mars 1998. Cent jours après les élections, Habib El Malki vient donc d'être élu avant que les contours de la future majorité gouvernementale ne soient précisés. Demain, et peu importe les conditions et la conjoncture, l'élection du président et des instances dirigeantes du Parlement avant la nomination et l'investiture du gouvernement sera entrée dans les mœurs. La séparation des pouvoirs, consacrée par la Constitution, est ainsi strictement respectée. Le fait est que, d'après certains observateurs, contrairement à ce que certaines parties laissent entendre, ce n'est pas un drame si le président et les instances de la Chambre sont élus avant la formation de la majorité gouvernementale. Le bureau a été formé et les présidents de commissions ont été élus en mettant de côté le camp de chaque parti. Le Parlement peut fonctionner ainsi jusqu'à la formation du gouvernement en attendant, s'il y a lieu, leur réorganisation. En fait, seule la commission de la justice, de la législation et des droits de l'homme pose problème. Elle a été confiée au PAM, avec le poste de questeur au bureau de la Chambre qui revient également de droit à l'opposition. Autrement, cela n'aurait pas posé problème puisqu'elle pourrait très bien revenir à un autre parti, quitte à y renoncer s'il se retrouve dans la majorité une fois le gouvernement formé. D'ailleurs, le règlement intérieur de la Chambre prévoit bien ce cas de figure. Certes, les groupes parlementaires choisissent leur camp et en font une déclaration écrite au bureau provisoire, mais présidé par le nouveau président de la Chambre. Ce n'est qu'après que démarre l'élection des présidents des commissions. Ensuite, si un groupe parlementaire change de camp, il le notifie, également par écrit, au bureau. Que faire de l'USFP ? En 2013, le RNI assurait la présidence de la commission de la justice, mais une fois passé au gouvernement, il s'est retiré et un nouveau président a été élu parmi les partis de l'opposition. De même, l'Istiqlalien Karim Ghellab, qui a été élu président de la Chambre en 2011, a continué à assumer cette responsabilité même alors que son parti est passé à l'opposition. Ce n'est qu'en avril 2014 qu'un nouveau président a été élu en la personne de Rachid Talbi Alami du RNI. Naturellement, les deux groupes ont fait une déclaration écrite du changement de camp en son temps. Question : Et si l'USFP restait dans l'opposition ? Cela aurait tout au plus gêné légèrement le bon fonctionnement de la Chambre, mais ne peut en aucun cas déboucher sur une crise institutionnelle. Hormis ses attributions clairement définies dans la Constitution et le règlement intérieur, le président de la Chambre pourrait, pour ainsi dire, être cerné par la majorité. La plupart des initiatives de la Chambre sont prises au sein du bureau dans lequel siègent les partis de la majorité. Les présidents des commissions ont également leur mot à dire aussi bien pour ce qui est de la direction des travaux de leur commission ou dans le cadre de la conférence des présidents dans laquelle siègent également les chefs de groupes parlementaires. Cela sans parler des pouvoirs du chef de gouvernement dans le cadre de l'initiative législative. C'est pour dire, avance cet analyste politique, «si elle le veut, la majorité peut ainsi réduire le poste de président à un poste purement protocolaire». Bref, plusieurs lectures ont été faites de ce vote qui suscite, au demeurant, certaines interrogations. La première étant pourquoi l'Istiqlal s'est-il retiré ? L'évènement qui a marqué, et de loin, cette séance d'élection du président de la Chambre a été le retrait de l'Istiqlal. Pourtant, malgré l'habillage sous lequel on a présenté cette décision, il s'avère, selon des sources istiqlaliennes, que le parti projetait de présenter le député d'Al Hoceima et chef de groupe parlementaire, Noureddine Moudiane. Il comptait principalement sur les votes du PJD, du PPS, mais également sur des voix dans le clan qui soutient El Malki. Un signal positif du PJD Au final, après la décision du PJD de voter blanc, l'Istiqlal, faute de soutien mais également, même s'il ne l'admet pas, par peur de voir certains membres de son groupe voter pour le clan adverse, le parti a décidé de quitter l'hémicycle. Il y est cependant revenu le lendemain à l'occasion de la formation du bureau et de l'élection des présidents des commissions. Et pour le PJD, pourquoi a-t-il voté blanc ? Pourrait-on s'interroger. Pour le parti islamiste, l'enjeu est bien plus important. Le PJD faisait durer, en effet, le suspense jusqu'à la dernière minute. Pour le parti c'était un dilemme, explique cet analyste, s'il avait présenté un candidat et échouait, ce qui était une certitude, «il ne pouvait y avoir d'autre alternative que d'intégrer la majorité formée autour du candidat du nouveau président du Parlement ou remettre les clés». Une source proche du PJD explique la situation dans laquelle se trouvait le parti à la veille des élections du président de la Chambre comme suit : «Le parti s'est dit que s'il présentait un candidat et remportait la présidence, cela reviendrait à éclater les voix des partis politiques et compromettrait les chances de former la majorité gouvernementale. A ce moment, les partis seraient divisés et il ne pourrait plus compter sur une majorité claire et soudée. Par contre, si son candidat était recalé, cela voudrait dire que Benkirane ne disposait pas de majorité. La solution était donc de voter blanc». Les déclarations de Saâdeddine El Othmani à l'issue de ce vote vont dans ce sens. «L'option de présenter un candidat a été évoquée (Ndlr. au sein du secrétariat général du parti), mais nous avons préféré laisser la porte ouverte pour créer des conditions propices à la formation du gouvernement. Nous n'avons pas voulu compliquer nos rapports avec nos amis dans les autres partis», a déclaré le désormais chef de groupe parlementaire du PJD. La désignation d'El Othmani à la tête du groupe parlementaire en remplacement du polémique et frondeur Abdellah Bouanou, député de Meknès, est, en soi, un signe de volonté d'apaisement de la part du PJD. Le parti islamiste a-t-il pris conscience que le fait d'arriver premier aux élections ne signifie par forcément qu'il peut écraser les autres partis et leur imposer sa volonté ? A-t-il fini par comprendre que «la protection du choix démocratique» n'est pas forcément se soumettre à son dictat ? Car, après tout, la réalité est que sur les 6,5 millions de votants, 1,6 million ont certes voté pour le PJD mais 4,9 millions ont voté contre lui et pour les autres partis et leur offre politique. [tabs][tab title ="Formation du gouvernement : quelle est l'étape suivante ?"]Après l'élection de Habib El Malki au score frappant de 198 voix, qui représente le seuil de la majorité absolue, il n'y pas beaucoup d'alternatives qui s'offrent au chef de gouvernement désigné. C'est que, soit Benkirane reprenne ses tractations sur la base de cette nouvelle donne, soit il reconnaît son échec et présente sa démission au Chef de l'Etat. Or dans l'entourage du PJD, c'est plutôt pour la première option que le chef de gouvernement nommé semble pencher. Cependant, il semble que vouloir n'est pas pouvoir. Bien que l'Istiqlal ait réitéré son offre de soutenir la majorité à l'extérieur du gouvernement, Benkirane ne dispose en tout et pour tout que de trois choix. Ou bien il finit par accepter l'USFP à l'Exécutif, ce qu'il continue à refuser à ce jour, dans ce cas il disposera d'une majorité confortable de 240 députés. Le PJD a fini par accepter l'USFP au perchoir, pourquoi ne pas faire un effort supplémentaire ? Au cas contraire, c'est l'impasse. A moins que le RNI et ses alliés acceptent l'offre de Benkirane selon laquelle l'USFP doit se suffire de la présidence de la Chambre, qui vaut deux ministères, et renoncer à faire partie du gouvernement tout en lui accordant un soutien critique. Une offre qui ne semble pas emballer le RNI qui insiste sur le fait que les quatre alliés (RNI, UC, MP et USFP) soient ensemble au gouvernement ou également ensemble dans l'opposition. Le dernier choix étant que Benkirane ressorte son fameux «fin des discussions» et rompe les pourparlers tout en optant pour un gouvernement minoritaire. Dans ce cas, il ne pourra pas passer le stade du vote de confiance. Et si Benkirane avouait son échec à former un gouvernement, ce sera au Roi d'agir en tant que garant du bon fonctionnement des institutions. Et cela soit dans le cadre de l'article 47 en chargeant une autre personnalité du PJD de former un gouvernement ou dans le cadre de l'article 42 en nommant une autre personnalité ou en procédant à la dissolution du Parlement, ouvrant la voie à la tenue de nouvelles élections.[/tab][/tabs]