Après avoir attendu l'Istiqlal, le RNI et le MP, ensuite l'USFP, le chef de gouvernement nommé continue à attendre. Dans un discours interne dont la diffusion publique a été différée de 9 jours, Benkirane rejette la responsabilité de son échec sur le RNI. Tout le monde se demande ce qui empêche le PJD de former sa coalition gouvernementale alors qu'il a déjà réuni une majorité de sièges. En temps normal, à cette date le projet de Loi de finances aurait déjà été adopté en première Chambre après environ un mois entre sa présentation, le 20 octobre, devant la Chambre et devant la commission des finances et son adoption en séance plénière. En temps normal, la deuxième Chambre aurait déjà entamé son examen. Ce n'est toujours pas le cas. Depuis son dépôt au Parlement, le 6 septembre, le texte n'a pas bougé. Pour cela, il faut que les instances de la première Chambre soient mises en place et que le gouvernement soit investi pour présenter et soutenir son projet de budget. En temps normal, les deux Chambres auraient déjà tenu au moins cinq séances de questions orales et les députés et conseillers posé au moins une centaine de questions auxquelles les membres du gouvernement, chacun en ce qui le concerne, se seraient efforcés à répondre tant bien que mal. En temps normal, le chef du gouvernement aurait déjà comparu devant les deux Chambres pour répondre aux questions d'intérêt général des députés et des conseillers dans le cadre de l'application de l'article 100 de la Constitution. En temps normal, le gouvernement aurait déjà tenu cinq conseils, adopté des dizaines de textes de loi, entre projets de lois et décrets, et éventuellement procédé à plusieurs nominations aux hautes fonctions. Pire encore, le deuxième mois de la session parlementaire d'automne qui compte quatre mois au total est déjà largement entamé. Nous sommes bien loin de l'atmosphère qui a marqué la veille des élections lorsque, vu comment le PJD a mené sa campagne, distribuant critiques, invectives et accusations, tout le monde s'attendait à ce que le parti, une fois élu, ne tarderait pas à former son gouvernement et se lancer dans la réforme promise. La réalité est que, malgré ses 125 sièges, le PJD ne peut finalement compter que sur un son seul allié indéfectible, le PPS. Il ne peut tabler réellement sur aucun autre parti pour former un gouvernement à sa guise. Du coup, note cet éditorialiste, «hormis un festival de fuites orchestrées par les dirigeants du PJD sur les coulisses des négociations et une guerre déclarée sur internet à tous ceux qui ne suivent pas ses attentes, on assiste à une inertie totale». Donner le temps au temps… A force d'attendre les uns et les autres, les négociations ont viré à un attentisme de plus en plus inquiétant. Abdelilah Benkirane a attendu l'Istiqlal dont le conseil national s'est déclaré favorable à la participation au gouvernement le 22 octobre. Il a ensuite attendu le RNI et le MP. Le premier a changé de direction et accordé en même temps un mandat ouvert à son président pour négocier sa participation à l'Exécutif, le 29 octobre. Le second a agi de même en mandatant, également, son secrétaire général de mener les pourparlers au nom du parti avec le chef de gouvernement désigné. En plus du PPS, qui a désormais scellé son sort à celui du PJD, ce sont quatre autres partis qui ont adopté une position de principe en faveur de la participation au gouvernement. Mais Benkirane a dû attendre de nouveau. Et cette fois c'est au tour de l'USFP qui a fini par réunir sa commission administrative, qui fait office de conseil national depuis le dernier congrès, qui devait se prononcer sur l'éventuelle participation du parti à la majorité gouvernementale. L'organe décisionnel de l'USFP a effectivement pris la décision de principe de participer, sous conditions, au gouvernement et a mandaté le Premier secrétaire de mener les négociations. Ce qui fait qu'à ce jour presque tous les partis représentés au Parlement ont affirmé leur position de principe de faire partie de la majorité gouvernementale. Seul le PAM, pour des raisons évidentes, se dit non concerné par les négociations, mais il n'entend pas pour autant perturber, encore moins entraver ou comploter contre la formation du gouvernement. Au contraire, le PAM hâte le chef de gouvernement nommé de former son équipe pour préserver l'intérêt général. Pourtant, à l'heure où nous mettions sous presse, Benkirane n'avait toujours pas entamé la deuxième phase des tractations de formation du gouvernement. Or, d'un côté comme de l'autre, les partis candidats à l'entrée au gouvernement jouent la même partition. Ainsi, et lors de la dernière réunion de son bureau politique, le RNI rappelle sa totale adhésion à l'esprit, mais également à la lettre, du discours royal prononcé depuis Dakar. Le parti se prononce pour un gouvernement «cohérent, efficace, harmonieux et homogène» et que «l'Afrique soit au cœur des préoccupations et objectifs du gouvernement». L'USFP rejette la Koutla Le RNI annonce également vouloir œuvrer au profit et au bénéfice des populations pauvres, marginalisées et précarisées. C'est, en principe, ce que souhaite également le PJD, si l'on en croit les sorties, déclarations et annonces du chef du gouvernement désigné. Alors pourquoi ce dernier refuse-t-il d'entamer des discussions sérieuses avec le RNI?, s'interroge cet observateur de la scène politique. Benkirane qui a déclaré n'avoir besoin que de 20 sièges pour boucler sa majorité, espérait-il encore une position franche et tranchée de l'USFP qui n'a justement que 20 sièges ? Laquelle position non seulement n'a finalement pas été annoncée, mais, en plus, l'USFP adopte presque le même discours que le RNI dont il n'a d'ailleurs pas manqué de saluer le sérieux et l'engagement notamment sous le gouvernement d'Abderrahmane El Youssoufi. Ainsi, la commission administrative considère, dans un communiqué publié à l'issue de sa réunion du samedi dernier, que «tout prochain gouvernement doit être homogène sur la base d'un programme de réforme et d'une méthodologie de travail allant dans le sens du développement des relations avec les partenaires sociaux et de l'écoute des mouvements de protestations». Notre pays, ajoute le communiqué de la commission administrative, «a besoin d'une politique de développement planifiée et programmée, conformément à une méthodologie des grands chantiers et des projets structurants ne pouvant être édifiés qu'à travers les grands pôles gouvernementaux, de telle sorte qu'elle englobe, et ce conformément à une approche intégrée et complémentaire, l'ensemble des domaines, secteurs et régions». Ce n'est pas tout, le PJD, qui comptait sur un gouvernement de la Koutla historique (Koutla + PJD), aura été déçu. Non seulement l'USFP n'a pas évoqué la Koutla, encore moins une désormais improbable alliance ou coordination avec l'Istiqlal, mais il rejette en bloc l'esprit de la Koutla. Ainsi, la commission administrative «consent à ce que le parti poursuive les consultations avec le chef du gouvernement désigné pour la participation au prochain gouvernement, sur la base des accords à conclure sur les programmes et sur les principes et les priorités susmentionnées, dans des négociations bilatérales loin de toute bipolarisation artificielle ou conjoncturelle». L'Istiqlal est-il un allié fiable ? En somme, et à l'issue de la tant attendue réunion de sa commission administrative, l'USFP semble plus proche du RNI que de l'Istiqlal, ce qui ne fait que compliquer davantage la mission de Benkirane. Dans l'entourage de Benkirane, on n'a pas hésité à qualifier la décision de l'USFP de «non sérieuse». Et pour cause, «au lieu d'attendre de rencontrer Benkirane pour lui présenter les requêtes de son parti, l'USFP insiste pour voir d'abord l'offre du chef de gouvernement avant de décider de continuer les négociations ou non». L'Istiqlal, lui-même, a réuni la commission préparatoire de son prochain congrès qui devrait se tenir en mars prochain. Ce qui fait dire à cet analyste politique, qu'avec l'Istiqlal le chef de gouvernement désigné se trouve dans la même situation que pendant son premier mandat. Rien n'empêche la nouvelle direction du parti de se rétracter et de rejeter les engagements pris par Hamid Chabat pour participer au gouvernement comme ce fut le cas lorsque ce dernier a été élu à la tête du parti en 2012 et s'est retiré de la majorité et du gouvernement quelques mois après sa prise des commandes du parti. Benkirane est-il disposé à refaire la même erreur qui a valu à son gouvernement une crise d'un an et demi ? Faut-il donner crédit à un parti, même s'il est le troisième sur l'échiquier politique, qui s'est empressé de déclarer son intention de faire partie du gouvernement sans condition aucune, ni sur le futur programme, ni sur l'architecture du gouvernement et encore moins sur l'identité et la qualité des autres co-alliés ainsi que la nature et le nombre des portefeuilles qui seront confiés? A moins que, observent certains analystes, Hamid Chabat ne tienne à participer au gouvernement juste pour la forme et surtout pour pouvoir taire les voix contestataires et les demandes de reddition de compte au futur congrès du parti. Pourquoi le PJD tient-il donc autant à l'Istiqlal ? La question reste posée. Et ce ne sont pas les raisons avancées dans le discours de Benkirane devant la commission nationale de son parti, diffusé avec neuf jours de retard, qui justifient cette attitude. Le timing calculé de la diffusion, lundi dans la soirée, de cet enregistrement du discours prononcé par Benkirane le 5 novembre dernier, soulève lui-même plusieurs interrogations. Le PJD, ce n'est que 27% des électeurs Le problème est, pour reprendre les termes de cet analyste politique, ancien cadre de l'Istiqlal, que «Benkirane veut éviter à tout prix de se retrouver avec un RNI fort». En plus, observe cet analyste, le RNI est un parti de cadres, de technocrates, toujours prêt à servir, qui a toujours servi, et qui «ne s'encombre pas d'états d'âme inutiles et stériles». Aujourd'hui encore le RNI se dit prêt à servir l'intérêt général, «même si les relations avec Benkirane ne sont pas les meilleures du monde». Or, le RNI, ajoute cet analyste, «gêne précisément par cette assurance et par le nombre de ses cadres». Il a cet avantage que ses ministres sont en général bons dans leur domaine, ils l'ont confirmé lors des dernières années qu'ils ont passées au gouvernement. Cependant, «Benkirane se voit en grand chef de gouvernement, qui veut dominer, qui croit davantage en lui après avoir cru en Dieu. Le problème est qu'il n'a pas les moyens de sa politique». Et ces moyens, ce sont au moins 198 députés PJD, analyse la même source. Il faudrait peut-être dire que près de 73% des électeurs n'ont pas choisi le PJD pour les gouverner. En votant pour d'autres formations, ils ont voté aussi contre lui, contre son offre politique, son programme électoral et sa ligne idéologique. En réalité, nous sommes bel et bien devant une situation inédite en politique où ce ne sont pas toujours les grands partis qui mènent le jeu. Ainsi, les deux formations arrivées en tête des élections vivent actuellement une situation d'inertie. Le PAM s'est isolé dans un coin, attendant l'issue des négociations et la formation du gouvernement et le PJD est incapable d'avancer dans ses tractations. Paradoxalement, et comme nous l'avions annoncé au lendemain du scrutin du 7 octobre, ce sont les autres partis, particulièrement ceux du milieu de classement, qui font l'actualité et contrôlent la scène politique du pays depuis cette date. En définitive, un scénario à l'espagnole se profile à l'horizon sans pour autant que le Maroc ne soit disposé à envisager aucune des voies déjà sondées par le voisin du Nord. Malgré que l'Istiqlal en ait évoqué l'inéluctabilité, au cas où le chef de gouvernement n'arrivait pas à former son équipe dans un délai raisonnable, des élections anticipées sont non seulement risquées, mais inenvisageables, en tout cas dans le contexte actuel. L'éventualité d'un gouvernement minoritaire n'est pas non plus réalisable pour des raisons tout aussi évidentes. [tabs][tab title ="Peut-on organiser des élections anticipées ?"]C'est désormais Hamid Chabat qui ne cesse d'évoquer le scénario d'un retour aux élections au cas où le blocage politique perdurait. Dans l'un de ses speechs de campagne Benkirane avait promis de «s'en retourner vers le peuple au cas où il échouerait dans la formation du gouvernement». Hamid Chabat, de l'Istiqlal, ne cesse, ces derniers temps, de parler de refaire les élections. Aucun des deux n'a pris la peine d'expliquer les enjeux d'une telle éventualité ni d'ailleurs comment y procéder. Il faut préciser que la Constitution ne prévoit aucunement l'organisation de nouvelles élections au cas où le chef de gouvernement désigné n'arrivait pas à former sa majorité. De même, appeler à des élections avant terme ne peut se faire que sous la condition de dissoudre la Chambre des représentants. Et, toujours selon la Constitution, seul le Roi a le pouvoir de dissoudre le Parlement. «Le Roi peut dissoudre, par dahir, les deux Chambres du Parlement ou l'une d'elles dans les conditions prévues aux articles 96, 97 et 98», précise l'article 51. Ainsi, selon l'article 96 de la Constitution, le Roi peut, après avoir consulté le président de la Cour constitutionnelle et informé le chef du gouvernement, le président de la Chambre des représentants et le président de la Chambre des conseillers, dissoudre, par dahir, les deux Chambres ou l'une d'elles seulement. La dissolution a lieu après un message adressé par le Roi à la Nation. Une fois dissous, précise l'article 97, l'élection du nouveau Parlement ou de la nouvelle Chambre intervient deux mois, au plus tard, après la dissolution. Et si de nouvelles élections sont tenues et qu'elles aboutissent aux mêmes résultats, le cas de l'Espagne est patent en ce sens, peut-on organiser d'autres élections anticipées ? Selon l'article 98, lorsqu'une Chambre est dissoute, celle qui lui succède ne peut l'être qu'un an après son élection, sauf si aucune majorité gouvernementale ne se dégage au sein de la Chambre des représentants nouvellement élue.[/tab][/tabs]