Il conviendrait donc de former les magistrats afin de leur inculquer les bases d'une Justice rationnelle, juste, mais sévère aussi quand il le faut : simple question de discernement! Les voies du Seigneur sont impénétrables, dit-on, mais on pourrait dire la même chose de la justice au Maroc. Rendons-nous au palais de justice d'Ain Sebaâ, là ou sont jugés les dossiers correctionnels. Hassan est un jeune ouvrier, un tâcheron comme on dit, c'est-à-dire qu'il est payé en fonction de la tâche accomplie. Les temps sont durs, nous sommes en automne, qui est cette année particulièrement rigoureux : il fait froid, il pleut et il y a beaucoup de vent, ce qui ne favorise pas la multiplication des chantiers de construction. Hassan n'a pas travaillé depuis une semaine, n'a pas d'argent, il a faim, et donc il chaparde trois pommes à l'étal d'une épicerie. Poursuivi par l'épicier, il est vite rattrapé, déféré au parquet, poursuivi pour vol à l'étalage et condamné en audience de flagrant délit à trois mois de détention ferme. Direction la prison de Oukacha : circulez ! Mais quelques salles plus loin, dans le même tribunal, est jugé M. T. Lui est un respectable homme d'affaires, qui brasse de l'argent par millions. Sauf que les affaires ont périclité pour diverses raisons, et, à son corps défendant, le brave homme a émis quelques chèques sans provision, une broutille à son niveau, quelques centaines de milliers de dirhams. Pas de quoi fouetter un chat, nous sommes dans le monde impitoyable des affaires…n'est-ce pas ? Il comparaît devant une autre Chambre correctionnelle, celle spécialisée dans la délinquance dite «en col blanc», c'est-à-dire les infractions à la loi commises par des patrons. M. T. sera reconnu coupable d'abus de biens sociaux, falsification de comptes...et faillite frauduleuse. Il sera condamné à deux ans de prison ferme, mais le tribunal, dans sa mansuétude n'a pas émis de mandat d'arrêt, ce qui permet à M.T. de rentrer tranquillement déjeuner chez lui, avant de reprendre le cours de ses affaires. Deux poids, deux mesures ? C'est ce que l'on pourrait penser, en voyant ces deux jugements, mais c'est hélas une réalité courante dans tous les palais de justice. Curieusement, la justice est moins sévère avec les hommes d'affaires qu'avec le tout-venant de la petite délinquance. Les raisons sont variées et discutables. Les magistrats arguent du fait que la petite délinquance doit être sévèrement réprimée, car il en va de la stabilité de l'ensemble du corps social. Accepter ces petites déviations reviendrait, selon eux, à encourager cette forme de délinquance, et partant ouvrir la voie à de nombreux abus : par exemple, untel sera absout pour le vol d'une moto car il devait ramener des médicaments à sa vieille mère malade ; un autre ne sera pas poursuivi pour vol d'aliments car ses enfants avaient faim, et ainsi de suite. Et effectivement, une telle approche des événements, au sein d'une population non entièrement alphabétisée, ne pourrait qu'encourager la multiplication des délits mineurs. La problématique existe certes mais devrait être évaluée à l'aune des statistiques qui montrent que, finalement, ces petits délits ne menacent guère la stabilité d'une société. Quant à M. T., pour lui l'approche judiciaire est différente. Le tribunal admet, certes, qu'il a commis des actes frauduleux, mais ne voit pas la nécessité de l'incarcérer, car ce serait contre-productif pour la Société en général. Qu'irait faire un diplômé des grandes écoles dans une prison, au contact direct de malfrats endurcis ? S'amendera-t-il vraiment, prendra-t-il conscience des faits qu'on lui reproche, les évitera-t-il une prochaine fois ? Rien n'est moins sûr, car ne dit-on pas que la prison est l'école de la délinquance ? C'est donc la sempiternelle question que se posent en permanence les magistrats en charge du volet pénal : prison ou pas prison ? L'interrogation est toujours en vigueur, et la politique pénale officielle peine à choisir une voie définitive, tant il est vrai que le débat est récurrent. Privilégier les incarcérations revient à suivre et appliquer une politique répressive, laquelle n'est jamais vraiment appréciée par les citoyens. Favoriser les peines avec sursis ou l'application de mesures alternatives n'est pas non plus vu d'un bon œil : aussitôt la vox populi crie au scandale, arguant que l'on est trop laxiste avec les criminels, voleurs et autres violeurs ! Il conviendrait donc de former les magistrats afin de leur inculquer les bases d'une justice rationnelle, juste, mais sévère aussi quand il le faut : simple question de discernement !