Lenteurs dans la réalisation des programmes hôteliers, déficit en ressources humaines, prix des prestations élevés dans les hôtels… Les opérateurs pointent plusieurs problèmes. Il reste encore 100 000 lits à créer pour atteindre l'objectif de 230 000 lits à l'horizon 2010. Pour le moment, le ministère de tutelle est satisfait par l'évolution du nombre d'arrivées. Comment évolue le secteur du tourisme, presque six ans après la signature du contrat-programme entre le gouvernement et le secteur privé ? La Vie éco a interrogé les opérateurs (TO opérant au Maroc, hôteliers, voyagistes, transporteurs…) mais aussi les usagers, ou les consommateurs. Chez les opérateurs, les réponses sont souvent mitigées ou dictées par des préoccupations corporatistes. A en croire bon nombre d'entre eux, notre tourisme souffrirait de plusieurs maux. Sont cités pêle-mêle le rythme de réalisation peu soutenu du programme d'augmentation de la capacité d'hébergement, la flambée des prix du foncier, l'insuffisance des ressources humaines en quantité et en qualité, les tarifs exorbitants proposés aux nationaux et, dans certains cas, le prix tout aussi élevé des prestations à l'intérieur des établissements hôteliers, l'incapacité de créer des infrastructures adaptées au tourisme intérieur, l'absence d'animation ou d'une politique des loisirs dans les villes en dehors des hôtels, la déficience des infrastructures et des moyens de transport ainsi que le tourisme sexuel… Les arrivées ont progressé de 7 % par an entre 2000 et 2005 Qu'en est-il en réalité ? En 2000, le Maroc, qui comptabilisait 4,3 millions d'arrivées, s'était fixé pour objectif d'accueillir 10 millions de touristes en 2010, et de mettre les moyens nécessaires. Sur cette question, les chiffres officiels, bien que critiqués, affichent un rythme de croissance soutenu. Selon le ministre du Tourisme, Adil Douiri, l'année en cours sera clôturée avec 6,5 millions de touristes. Ils étaient 5,9 millions l'année dernière à avoir visité le Maroc, 5,5 millions en 2004. Bref, entre 2000 et 2005, le nombre d'arrivées a crû, bon an mal an, à des taux variant entre 2% et 16%, avec une nette amélioration depuis 2 ans. Au final, le rythme moyen de progression des 5 dernières années s'établit à 7%. Ce qui témoigne d'une réelle prise en main des facteurs susceptibles de l'améliorer encore plus. Il se trouvera bien sûr toujours des professionnels pour dire que les chiffres sont plus ou moins revus et que la moitié des arrivées concerne les MRE (Marocains résidents à l'étranger). «Le ministre veut du chiffre, il fait donc du chiffre», commente un professionnel. Un autre rétorque qu'«une politique volontariste pour faire du tourisme une industrie existe désormais, et l'on commence à en percevoir les résultats, même si tout n'est pas parfait». Les hôteliers préfèrent des gens de confiance plutôt que compétents Pour l'hébergement, le Maroc escomptait de faire passer la capacité de 70 000 lits classés en 2000 à 230 000 en 2010. A la fin juin, et toujours selon les statistiques du ministère, le nombre de lits recensés et classés était de 126 556. Au vu des ouvertures prévues durant l'année en cours, cette capacité sera portée à 133 768 lits. Elle aura donc pratiquement doublé en six ans. Mais d'ici 2010, il faudra construire près de 100 000 lits en plus. Est-ce réalisable ? «Difficilement, si l'on considère le rythme actuel d'ouverture de nouveaux lits, qui n'atteint pas le niveau prévu, même si certaines villes comme Marrakech sont en avance», estime Kamal Bensouda, DG d'Atlas Hospitality. «S'agissant du plan Azur, sur les six stations prévues, seule Saà ̄dia semble bien avancer», note-il. Selon cet opérateur, «le Maroc capte de plus en plus de touristes qui s'installent pour de longs séjours, d'oà1 cette ruée sur les riads, les appartements et une spéculation sur les terrains qui est en train de toucher, après Marrakech, des villes comme Tanger ou Fès». Le ministre reconnaà®t d'ailleurs que le rythme de création de lits immobiliers et hôteliers n'est pas ce qu'il devrait être. L'appel à la constitution de fonds de construction hôtelière, lors des dernières assises du tourisme tenues à Tanger, n'était pas motivé par autre chose que ce constat. Passer à la vitesse supérieure est d'autant plus important qu'aujourd'hui, avec la libéralisation du transport aérien, les compagnies low-cost arrivent en force, à l'instar d'Easy Jet ou Ryanair, qui desservent le Maroc avec 14 vols hebdomadaires chacune, sans oublier les TO européens qui ont leurs propres compagnies, au nombre de seize. Mais le talon d'Achille de cette industrie, qui fait l'unanimité chez les professionnels du tourisme, est bien l'insuffisance des ressources humaines en quantité et en qualité. En quantité, car nous avons une seule et unique école qui forme des managers en tourisme, mais dont la plupart des lauréats émigrent vers des cieux plus cléments : Europe, Canada, Dubaà ̄, etc. En ce qui concerne la qualité, il existe, selon la plupart des professionnels, un déficit flagrant dans certains profils (cuisiniers, pâtissiers, gestionnaires d'étage, et d'autres métiers de contact direct avec le client). Aujourd'hui, explique, Kamal Bensouda, «nous sommes en train de perdre même la cuisine marocaine. Beaucoup d'hôtels ont par exemple recours à des femmes au foyer quand il s'agit de préparer un bon couscous, car celui de leur chef cuisinier laisse à désirer, et, sur un autre registre, on a l'impression que le jeune Marocain ne daigne pas servir le client». Selon Said Scally, président du CRT d'Agadir, le secteur «manque de nombreux profils, et tout nouvel hôtel tente de débaucher le personnel compétent des concurrents». Le constat est confirmé par Jamal Belahrach, DG de Manpower. «Nous avons, dit-il, un vrai problème de ressources humaines : l'encadrement est faible, et les effectifs ne sont pas ce qu'ils devraient être. De surcroà®t, les hôteliers préfèrent recruter des gens de confiance plutôt que des gens compétents. Pour le reste, on exploite des petites mains qu'on paie en dessous du salaire minimum». Il est temps, conclut le DG de Manpower, «de valoriser les métiers du tourisme en poussant les hôteliers à signer des conventions collectives avec les travailleurs du tourisme». Marc Thépot, DG d'Accor Maroc, va dans le même sens quand il parle de «donner aux métiers du tourisme une attractivité sociale en proposant aux employés un contrat de travail et un salaire gratifiant». Et de préciser qu'«il est possible d'y arriver par le dispositif de formation, car le Marocain est par nature très accueillant».