Une fois n'est pas coutume. Les Assises du Tourisme qui se tiennent ce samedi 14 juin à Tétouan, contrairement au précédentes éditions, se déroulent dans une période de ralentissement de l'activité des professionnels. Une donne qui ne va pas manquer d'animer les débats à l'heure des «derniers comptes publics» de la vision 2010. Même si le secteur marocain du tourisme vit la hantise du ralentissement de son activité pour cette année due à la baisse du volume des nuitées dans la plupart des destinations touristiques du Royaume depuis l'année dernière, les pouvoirs publics marocains et les opérateurs privés n'en ont pas moins démordu quant à la finition des chantiers de l'accord-cadre du secteur du tourisme. Le rendez-vous annuel qu'ils se sont fixé pour évaluer les actions effectuées dans ce cadre se tient à Tétouan, ce 14 juin 2008, le huitième du genre. Au-delà de l'aspect rencontre, on peut dire que la tenue chaque année de ces assises du tourisme, constitue un formidable exercice du «rendre compte public» des engagements pris non seulement dans le contrat programme mais aussi dans l'édition précédente des assises surtout que la vision 2010 touche à sa fin. Cela dit, sept années après le lancement de la Vision 2010, beaucoup de chemins ont été parcouru. Mais, il reste que certains chantiers sont en retard. D'ailleurs, le ministère de Tutelle et les professionnels ne se sont pas trompés d'ordre du jour. Au menu de cette huitième édition, deux principaux chantiers qui ne cessent d'alimenter le débat au sein du secteur : l'aérien et l'hébergement ainsi que les ressources humaines. On est loin des 15.000 lits/an… Certes, toutes les six stations balnéaires du Plan Azur prévues dans l'accord-cadre ont été concédées et devront permettre la création d'une capacité additionnelle de 111.000 lits, dont 70.000 lits hôteliers. Cependant, hormis Saidia dont les premières capacités ouvriront à Saidia durant cet été, les premiers hôtels des autres stations ne seront opérationnels au mieux qu'en 2010 si l'on sait que les échéances fixées par les aménageurs développeurs des stations ne cessent d'être repoussées. C'est à se demander s'il n'y a pas lieu de recalibrer les objectifs de la vision 2010 en termes de capacité hôtelière. C'est à se demander si ce retard pour les arrivées de nouvelles capacités prévues dans le cadre du Plan Azur ne risque-t-il pas de compromettre l'objectif des 10 millions de tourisme en 2010 ? Du côté du ministère du Tourisme, l'on se veut optimiste. «Nous veillerons à ce que les retards ne s'allongent pas. Seulement, il ne faut perdre de vue que nous avons affaire à des investissements colossaux et que les aménageurs développeurs réaménagent souvent leurs plans initiaux pour s'adapter», dit-on. Rappelons que l'objectif du chantier produit dans la vision 2010 est de tripler la capacité d'hébergement commercialisable. Cette augmentation devrait s'accompagner d'un rééquilibrage de l'offre marocaine vers le produit le plus demandé à l'échelle mondiale, à savoir l'hébergement en bord de mer. C'est dans cette optique d'ailleurs que le Plan Azur a fait des «petits». Dénommé «Azur extension», ce nouveau programme a permis l'identification de nouvelles zones qui ont déjà fait l'objet d'appels d'offres pour leur concession à des aménageurs développeurs. Ainsi à fin 2007, deux nouvelles stations de Azur extension ont été concédées. Il s'agit des stations de Oued Chbika (Tan Tan), et Smir & laguna Smir (Tétouan) concédées respectivement à Fadesa et à Orascom. Idem pour «Cala Iris» (10.000 lits) et «Dakhla» (5.000 lits). Mohamed Boussaid, ministre du Tourisme ne veut pas s'arrêter là. Son département envisage pour la période 2008-2012 d'accompagner l'ouverture de nouvelles stations Azur extension. Quoi qu'il en soit, nous sommes toujours loin des 15.000 lits par an fixés par l'accord-cadre car jamais la barre des 10.000 lits/an n'a encore été atteinte. «Il faudra trouver le moyen de doubler la cadence des réalisations. Il faudra aussi apporter des ajustements en matière de réalisation des stations balnéaires et des PDR (plan de développement régional) pour respecter les cahiers des charges. Pour l'aérien, des avancées comme l'Open sky sont à saluer, mais des villes comme Ouarzazate, Fès ou Tanger sont encore très mal desservies», souligne ce professionnel du secteur. En effet, deux après l'entrée en vigueur de l'Open sky, avec l'Union européenne, les professionnels du tourisme semblent partagés sur les bienfaits de cette ouverture du ciel. «Le Ciel libre a tué le modèle business marocain. Depuis l'arrivée en masse des compagnies low-cost, il y a de moins en moins de charters qui sont programmés sur Marrakech et donc moins d'engagement de la part des tours opérateurs vis-à-vis des hôteliers», estime cet hôtelier. Mais cet avis est loin de faire l'unanimité. «Les compagnies low cost sont pour le Maroc ce que les autoroutes ont été pour l'Espagne», tient à préciser Jawat Ziyat, Président du directoire de Jet4You. En tout cas, depuis l'entrée en vigueur de l'Open sky, les compagnies aériennes ont pris d'assaut la destination Maroc, instaurant par ricochet un nouvel environnement concurrentiel féroce caractérisé par l'arrivée d'une nouvelle offre massive low cost, à bas prix, appuyée sur de nouveaux canaux de distribution par Internet. En termes d'arrivées, cette politique a été une réussite pour le Royaume puisqu'elle a permis, en l'espace de quatre ans (entre 2003 et 2007), de réaliser une progression de plus de 50 % des passagers internationaux vers le Maroc, passant de 5,3 millions à 10 millions ! En effet, les résultats ont été immédiats en termes de progression du nombre de passagers. À titre d'exemples, au cours de la même période, le trafic Londres-Marrakech a quasiment été multiplié pratiquement par cinq (passant de 78.000 à 350.000 passagers) tandis que le trafic entre la France et Marrakech a plus que doublé (passant de 750.000 à près de 1.700.000 passagers). «Ces résultats sont certes considérables, mais les besoins de développement de la desserte aérienne pour les prochaines années, pour accomplir les objectifs de la «Vision 2010» restent très importants. Ainsi, les besoins en lignes aériennes point à point (vols directs vers la province) tels qu'initialement prévus par le ministère de l'Equipement et des transports sont loin d'être satisfaits. Les low cost ne s'intéressent depuis qu'à Casablanca et Marrakech. Les villes touristiques comme Agadir et Fès n'arrivent pas à les attirer », analyse cet expert du transport aérien. Aujourd'hui, avec l'offensive des compagnies low cost, les tour-opérateurs dits «discounters» ne savent plus à quel saint se vouer. Marrakech est devenue une destination de week-end et de plus en plus de touristes achètent leurs voyages par Internet (Transport et hébergement) passer par eux. Mais, ce nouveau comportement a eu une incidence sur le volume des nuitées qui baissent. Le chantier des ressources humaines Face à cette nouvelle donne, les T.O. ne garantissent plus les lits comme ils le faisaient auparavant. Les jeux sont plus serrés pour la simple raison que le tour-operating lui-même est en crise et a vu ces dernières années l'hégémonie qu'il avait sur la commercialisation remise en question par d'autres canaux de distribution, notamment les ventes sur internet. «Sur le Maroc, les tours opérateurs français ont revu à la baisse leurs allotements de 15 %. Ils les ont redirigé sur d'autres destinations comme la Tunisie. Il faut dire qu'une autre grosse difficulté risque de se poser au niveau de ce chantier « Aérien-hébergement ». Avec l'arrivée des capacités hôtelières additionnelles qui seront générées en 2010 par les stations balnéaires, il va falloir réussir l'adéquation entre cette capacité supplémentaire et les sièges d'avions mais aussi consolider les dessertes à partir des marchés traditionnels et d'accompagner la stratégie de ciblage de nouveaux marchés par l'ouverture de nouvelles lignes. Faudrait-il encore que les compagnies aériennes jouent le jeu. Mais s'il y a un chantier pour lequel tout le monde attend son lancement officiel lors de ces assises, c'est celui des ressources humaines. En décidant de prendre à bras le corps le problème, Boussaid s'attaque en fait à un mammouth. Tous les opérateurs, qu'ils soient publics ou privés, s'accordent à affirmer que la formation est le jalon essentiel pour la réussite de la vision 2010. Pourtant, le contrat-programme accorde une large place à la formation. Il faut dire que son prédécesseur se contentait des effets d'annonces sur la question. « C'est un dossier non seulement extrêmement important, mais qui n'est pas du tout facile. Il n'a jamais pris en main», s'empresse de relever Othman Chérif Alami, président de la Fédération nationale du Tourisme (FNT). C'est ainsi qu'un premier contrat programme RH & Formation pour les métiers de l'hôtellerie qui engagera les acteurs privés autour d'objectifs précis, en définissant les moyens nécessaires, en mettant en place les outils de pilotage et de suivi et en adoptant une déclinaison annuelle et territoriale qui serait signée entre le département de tutelle, la FNT et la FNIH (Fédération nationale de l'industrie hôtellerie à Tétouan. «Il s'agit de donner au secteur de l'hôtellerie une stratégie globale et commune pour former 50.000 lauréats et répondre aux besoins du secteur en personnel qualifié », souligne le président de la FNT. Les professionnels et le ministère du Tourisme ne veulent pas s'arrêter en si bon chemin. Ils comptent d'ici la fin de l'année en signer d'autres avec les autres métiers du tourisme comme les transporteurs touristique, les restaurateurs… Rappelons que l'accord-cadre du contrat-programme ambitionne de former 72.000 jeunes dont 18.000 apprentis. L'objectif est de satisfaire les besoins en compétences des entreprises du secteur pour accompagner la vision 2010. Malheureusement, les capacités d'accueil des écoles sont loin de pouvoir satisfaire les besoins. «Le secteur souffre énormément de la professionnalisation du service. Il urge de réagir», martèle un hôtelier. Il faut dire qu'également que les hôteliers sont souvent fautifs. Au lieu de recruter des lauréats des écoles de formation, ils se rabattent sur des «non-initiés», histoire de réduire les charges salariales. Difficile dans pareille situation de s'attendre à de la qualité.