Un projet de loi relatif à la protection sociale devrait structurer le secteur et instaurer «l'Alternative Care». En attendant, une centaine d'établissements hébergent les orphelins, les enfants abandonnés ou en situation de précarité, le plus souvent dans des conditions difficiles. Les initiatives privées se multiplient. Une visite inopinée de S.M. le Roi Mohammed VI, en avril 2005, à l'orphelinat d'Ain Chock avait levé le voile sur l'état catastrophique de l'institution gérée par l'Association musulmane de bienfaisance. Mais pas seulement. Car outre l'insalubrité des bâtiments, c'est tout le mal-être du secteur de la protection sociale qui est remonté à la surface. Et principalement, le défaut de la non-préparation de l'après-prise en charge sociale des enfants et l'absence de relais pour les pensionnaires adultes. En effet, sur les 149 pensionnaires de cet orphelinat, 67 étaient adultes, âgés de 18 à 40 ans et, faute de relais, continuaient à y vivre. Une anomalie, selon les spécialistes, car les jeunes de plus de 18 ans ne sont plus éligibles à une quelconque prise en charge sociale. Si la Hiba royale de 30 000 dirhams par personne avait alors pu régler le problème des pensionnaires adultes d'Ain Chock, aujourd'hui, l'orphelinat de Sidi Bernoussi, géré par l'Association de bienfaisance de Bernoussi, souffre du même mal. En effet, sur les 200 pensionnaires, 124 sont âgés de plus de 18 ans et le gestionnaire dépassé a jeté l'éponge. Pour éviter le scénario d'Ain Chock, l'Entraide nationale, dont relèvent les établissements de protection sociale, la nouvelle appellation des orphelinats, est en passe de mettre en place un modèle de prise en charge alternative avec un partenaire social à Casablanca en vue d'une prise en charge à distance. Les pourparlers sont actuellement en cours. Un concept nouveau que le Maroc compte développer, à l'instar de ce qui se fait à l'étranger, en vue de réduire la prise en charge institutionnelle. «Aujourd'hui, la tendance à l'étranger, notamment dans les pays d'Amérique Latine, d'Europe de l'Est et certains pays d'Afrique, est de mettre en place l'Alternative Care. Et l'objectif de performance dans le secteur au niveau mondial est d'avoir zéro établissement institutionnel. D'ailleurs, aujourd'hui, et contrairement à ce qui se passe chez nous, les pays étrangers communiquent sur le nombre de fermetures des établissements de protection sociale», explique Abdelghani Madani, directeur de l'Entraide nationale. Au Maroc, c'est la tendance inverse que l'on observe puisque, depuis le lancement de l'Initiative nationale de développement humain (INDH), plus du tiers des établissements de protection sociale ont été créés. Le Maroc compte, selon les statistiques 2016 de l'Entraide nationale, 1 029 établissements de protection sociale (EPS) dont une centaine destinée à la prise en charge des enfants abandonnés, en situation difficile ou encore les enfants avec handicap et abandonnés. Ainsi, sur une population globale de 94 786 pensionnaires des EPS au niveau national, on compte 10165 enfants pris en charge. Comment fonctionne cette prise en charge dans les établissements de protection sociale? En quoi consiste-t-elle? Et surtout quelle alternative sociale après l'âge de 18 ans ? Le projet de loi 15-65 devrait organiser la prise en charge à distance Historiquement, c'est en 1907 qu'a été créé, par feu Mohammed V, le premier orphelinat au Maroc et précisément à Tanger. S'en est suivi une vague de créations d'institutions et d'orphelinats pour la prise en charge des enfants orphelins, abandonnés et donc en situation difficile, et ce, grâce à des initiatives de notables animés par des valeurs de solidarité. On citera alors à titre d'exemple la création de l'orphelinat de Rabat en 1922 et celui de Fès en 1928. La prise en charge des orphelins relevait essentiellement, voire exclusivement, de l'initiative communautaire et était gérée par des familles de notables en l'absence de tout cadre juridique. Mais la création en avril 1957 de l'Entraide nationale a permis, indique son directeur général, de fédérer les associations et de prendre en charge plusieurs missions d'assistance aux populations nécessiteuses. L'Entraide nationale a pu ainsi soutenir ces initiatives communautaires d'un point de vue organique en affectant par exemple des ressources humaines. L'Entraide nationale est en quelque sorte, selon M. Madani, l'écosystème de la bienfaisance. Le financement des institutions se faisait grâce à des mécanismes de solidarité spontanée non réglementés. Des dons royaux, des dons des notables et de la taxe d'abattage dont 80% de son produit était affecté, sur décision de feu Mohammed V, pour lutter contre la précarité des enfants orphelins. Aujourd'hui, avec le développement de la fiscalité locale, seulement une faible quote-part de la taxe d'abattage est servie aux EPS. Selon les chiffres de l'Entraide nationale, le montant s'élève à 25 millions de dirhams par an. Aujourd'hui, selon des sources proches du dossier, le secteur souffrirait d'un déficit annuel de 10 millions de dirhams en dépit de l'effort fait, sur les trois dernières années, par l'Entraide nationale pour l'amélioration de sa subvention. Ainsi, l'on retiendra que le nombre d'établissements, notamment «Dour Al Atfal et Dour El Fatate», des orphelins qui ont bénéficié de la subvention est passé de 17 à 19 entre 2013 et 2015. Par ailleurs, le nombre des institutions de prise en charge des enfants abandonnés a atteint 30 en 2015 contre 22 deux années plus tôt. Avec les ressources financières actuelles les EPS ne peuvent assurer que des prestations d'accueil, d'hébergement et de suivi social et éducatif. Des services dont le coût quotidien par enfant s'élève à 66 dirhams. Ce qui, en conviennent des spécialistes du dossier, reste très modique. Les ressources financières constituent donc une première limite du secteur de la prise en charge sociale. Mais elle n'est pas la seule insuffisance. Le profil des bénéficiaires constitue également un problème au bon fonctionnement du secteur. Aide et Secours et Al Mobadara, deux associations impliquées dans la Kafala à distance Normalement, sont admis dans les établissements de protection sociale les orphelins, les enfants abandonnés, les enfants placés par ordre judiciaire et les enfants en situation sociale difficile. Soit ceux dont les ou l'un des parents est atteint de démence ou emprisonné. Mais l'éventail s'est élargi aux enfants interceptés dans les rues et non orphelins. Ce qui a déstabilisé les EPS dont la plupart sont surpeuplés et où cohabitent les enfants orphelins et des adultes ayant atteint 18 ans. Une anomalie que devrait corriger le glissement vers une prise en charge non institutionnelle grâce à l'amélioration du cadre juridique. Avant 2005, le secteur n'était pas réglementé. Ce n'est qu'en cette année, suite à l'affaire de l'orphelinat d'Ain Chock, que fut adoptée la loi 14-05 qui ne réglemente en fait que l'aspect éducatif et de la formation des pensionnaires. Un texte qui a été adopté, de l'avis de certains observateurs, «dans la précipitation et n'a pas abordé le volet du relais social pour la période post-18 ans». Ce qui justifie l'élaboration d'un projet de loi relatif à la protection sociale, aujourd'hui à la Chambre des conseillers. En plus d'une organisation du secteur, notamment doter les intervenants d'un statut juridique, le projet doit, à l'instar de ce qui se fait à l'international, permettre au Maroc de s'insérer dans le programme de l'Alternative Care. Autrement dit, réduire la prise en charge en institution et mettre en place des relais sociaux via, d'une part, la prise en charge à distance des orphelins et enfants en difficulté, et, d'autre part, le placement en famille d'accueil. La prise en charge à distance, ou Kafalat Al Aytame, est une pratique aujourd'hui largement appliquée à l'étranger et a le mérite, selon les spécialistes de la question, «de maintenir l'enfant orphelin dans son milieu naturel. Donc dans sa famille. Ce qui permettra un meilleur taux de réussite éducative et sociale». Aujourd'hui, deux associations, Aide et Secours et Moubadara, respectivement implantées à Tanger et Casablanca sont impliquées dans la prise en charge à distance. L'expérience d'Al Moubadara atteste du succès de ce mécanisme (voir entretien). Il s'agit de prendre en charge un ou plusieurs orphelins grâce au versement d'une kafala de 400 ou 500 dirhams par mois. Cependant, ce don est conditionné par trois choses: l'enfant doit être orphelin, pauvre et scolarisé. Par ailleurs, la famille d'accueil prendra en charge des bébés et enfants abandonnés moyennant une contribution financière octroyée à la famille. «Ces deux mécanismes peuvent garantir une réussite sociale car les enfants restent en famille, ce qui minimise le choc et les déséquilibres dont ils peuvent être sujets», avance un pédopsychologue. Cependant, le risque zéro n'existe pas. Et, selon certains professionnels, «cette formule n'est pas la panacée car les risques encourus par l'enfant dans l'institution sont les mêmes que ceux dans la famille d'accueil». Ce que reconnaît Béatrice Beloubad, directrice de SOS Village Maroc qui, de son côté, a lancé la famille d'accueil pour les bébés abandonnés. Selon Mme Beloubad, «le réseau SOS Village Maroc compte cinq villages au Maroc qui accueillent 600 enfants âgés de moins de six ans et notre stratégie est axée sur la scolarité et la formation car c'est un vecteur social important qui va aboutir à la réinsertion de cette population». Et pour faciliter leur intégration, SOS a lancé en 2003, le programme de recherche des familles biologiques. «Nous avons sur ces 13 ans pu replacer 70 enfants dans leurs familles biologiques. Le taux de réussite est de 91%, ce qui nous a encouragés à poursuivre ce programme car il n'est de meilleur environnement pour un enfant, quelle que soit sa situation, que sa vraie famille», raconte Béatrice Beloubad. Mais, poursuit-elle, «lorsqu'il n'y a plus de liens familiaux, nous plaçons, dès l'âge de 12-13 ans, dans des familles d'accueil. Aujourd'hui, 76 enfants sont dans des familles d'accueil moyennant une subvention de 1 000 dirhams par mois et par enfant pour couvrir l'alimentation et les frais de scolarité sous condition que l'enfant soit maintenu dans le milieu scolaire».