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Faut-il fermer les orphelinats ?
Publié dans L'observateur du Maroc le 01 - 07 - 2013

MAUVAIS TRAITEMENTS – MALVERSATIONS – échec de la RéFORME – sous financement
Un orphelin au Maroc a 5,5 DH pour vivre. C'est ce qui lui réserve le budget de l'Etat. Révélations sur les conditions de vie de 12.000 enfants, nés sous une mauvaise étoile.
Scène 1 : A l'entrée de la Maison des enfants de Hay Hassani à Casablanca, des gosses jouent aux gardiens, d'autres bénéficiaires de cet établissement s'amusent sur un terrain de sport. On a pu entrer et sortir sans croiser sur notre chemin un seul encadrant. L'orphelinat est orphelin ! « Il est vendredi, les membres de l'administration sont partis faire la prière », nous expliquent les enfants. Qui peut contredire l'appel de Dieu ?
Scène 2 : Dans un couloir de cet établissement, deux adolescents sortent de leurs poches des téléphones portables et un cutter, visiblement leur butin de guerre cueillis auprès des élèves des lycées et collègues voisins. Notre présence ne perturbe pas les deux apprentis larrons. Allô, y-a-il un pilote à bord ?
Flash back : En septembre 2012, Le procureur du Roi ouvre une enquête avec la direction de cet établissement. Plusieurs personnes sont arrêtées par la PJ. Ils sont poursuivis actuellement pour « détournement des deniers publics et mauvais traitements à l'égard des enfants». La Justice tranchera...
Saida Ait Moussa, artiste et éducatrice, a mené un combat sans relâche pour dénoncer les abus subis par ces enfants. Elle ne crie pas victoire. «Mon objectif ce n'était pas de voir ces personnes en prison. La réussite est de voir ces enfants bien traités. Huit mois après rien n'a changé», constate-t-elle. En attendant, la nouvelle direction prend largement son temps pour mettre l'établissement à niveau. Les enfants devront d'abord patienter, le temps que ces responsables terminent la prière du vendredi...
Le cas de l'orphelinat de Hay Hassani est la règle. Très rares sont les établissements de ce type qui ne connaissent pas de multiples dysfonctionnements, des contestations de bénéficiaires, des accusations de responsables de fraudes ou pire encore d'abus sur les enfants. La gestion de ces établissements tourne à la catastrophe nationale. Et pourtant, nous sommes passés tout près d'une réforme historique de ce secteur.
Une réforme qui joue l'Arlésienne
Le 2 avril 2005, le roi Mohammed VI visite l'orphelinat d'Aïn Chock. Il constate de visu la situation désastreuse de cet établissement. Des têtes tombent et la réforme de ces établissements devient une priorité nationale. Premier acte de cette réforme, la mise en place d'un texte législatif réglementant ce genre d'établissement, la loi 14-05, publiée au BO en juillet 2006. Les associations caritatives islamiques annoncent leur mue. L'association caritative islamique d'Aïn Chock est dissoute et est remplacée par l'Association Nour qui gère trois établissements à Casablanca : La Maison des Enfants à Aïn Chock, la Maison des filles sise Bd Moulay Idriss 1er et La Maison des personnes âgées. Le terme « orphelinat » est banni des textes. Désormais, on ne parle plus que d'Etablissement de protection sociale (EPS). Un cahier des charges est produit pour fixer les règles d'une gestion humaine et de qualité des 1.347 EPS existantes. De l'ensemble de ces établissements 45 sont dédiés aux enfants en situation difficile. S'y ajoutent 59 Maisons de l'enfant et 43 pour enfants en situation difficile. Selon l'Entraide nationale (EN), ces centres bénéficient à 120.000 personnes dont 10% d'orphelins et 9% d'enfants issus de divorces, de père ou de mère inconnu ou en prison.
Des enveloppes budgétaires conséquentes sont mobilisées à travers l'EN et l'Initiative nationale pour le
développement humain (INDH) pour soigner ce « corps malade ». Ce « chantier de règne » permet d'injecter d'importantes sommes d'argent dans ces établissements. D'ailleurs, 44% d'entre eux (586) ont vu le jour après le lancement de l'INDH !
A titre indicatif, la Maison des enfants d'Aïn Chock bénéficie, à elle seule, d'une ligne de financement de 4 millions de DH rien que pour la réfection des murs. Et pourtant, ce n'est pas l'argent qui a réglé les problèmes.
Aïn Chock, symptôme d'un malaise
Huit ans après le scandale d'Aïn Chock, la nouvelle direction a des difficultés à convaincre les 66 bénéficiaires adultes de quitter l'établissement comme le stipule la nouvelle loi 14-05 régissant ces institutions. Sur les 6 hectares de cette ancienne caserne militaire, seuls les adultes vivent toujours. Les moins de 18 ans ont dû quitter ces lieux en 2009, après une affaire de pédophilie. Un scandale de plus dans cette histoire qui vire au feuilleton interminable.
La direction de la Maison d'Aïn Chock est priée de remettre 149 enfants à la Maison des enfants de Hay Hassani.
« Sans nous consulter et en plein milieu de l'année scolaire, ils décident de déplacer les enfants à un autre établissement », regrette Mohamed Saïdi, directeur général de l'Association Nour. Et de renchérir :
« J'ai des locaux dans un état impeccable. L'Etat a mis de l'argent pour les rénover mais ils sont à l'abandon. Alors que dans d'autres établissements, les enfants souffrent de surpopulation, j'ai des centaines de places disponibles. C'est un vrai gâchis ».
Déplacement forcé
Ce déplacement a été très mal vécu par les enfants. Nous en avons rencontré quelques uns à l'entrée de la Maison de Hay Hassani. Parmi eux, certains font partie du lot des « déplacés ».
Le visage traversé par des cicatrices, Amine, 10 ans, porte une veste en velours et des souvenirs difficiles. « La première nuit on n'a pas cessé de crier. On voulait retourner à Aïn Chock», se rappelle-t-il ?
Driss Hamri est directeur de la Maison des enfants de Sidi Bernoussi. Il dit avoir tiré la sonnette d'alarme à l'époque contre les conséquences de cette décision : « J'ai dit clairement à la commission qui a pris cette mesure qu'on ne peut pas gérer des établissements de ce type sur des coups de tête ou avec des réflexes sécuritaires. Ça ne marchera jamais ». Ces transferts se font en l'absence de tout cadre légal. La loi 14-05 ne prévoit rien dans ce cas de figure. La révision prévue de ce texte devrait combler ce vide.
Trois ans après ce départ forcé et ayant fui les abus sexuels à Aïn Chock, les enfants ne se portent pas mieux. Encore faut-il les trouver. Seuls 40 des déplacés sont encore à Hay Hassani. Le reste a disparu dans la nature. C'est-à-dire qu'ils sont en ce moment soit en situation de rue ou en prison. Nous avons contacté la nouvelle direction de l'orphelinat de Hay Hassani qui n'a pas souhaité répondre à nos questions.
Le triste souvenir de l'ancienne direction est encore vivace chez les enfants. Quand, on leur demande leur avis sur la nouvelle direction, les réponses sont unanimes : « ils sont nettement meilleurs que les anciens. Juste dites leur de ne pas nous servir de la harira (soupe marocaine) chaque soir ! ».
La réforme de la réforme
Autre Maison, autre drame des orphelins. Nous sommes au quartier chic de l'Oasis à Casablanca. La Maison
d'enfants lalla Hasnaâ, structure d'accueil des enfants de moins de 6 ans, est secouée par un scandale de mauvais traitements. Suite à la diffusion d'une enquête sur Médi1 TV sur la maltraitance subies par les bébés, une enquête judiciaire est en cours et des éducatrices sont placées en garde à vue. Cette structure était pourtant présentée comme modèle en matière de prise en charge des enfants abandonnés. La direction de cet établissement n'a pas souhaité commenter cette affaire.
Les maux dont souffrent ces établissements sont profonds. La réforme juridique et l'effort financier de l'Etat n'ont pas été probants. «Je ne dis pas que tout va bien dans le meilleur des mondes. Au contraire, il y a des points noirs à rectifier mais il y a aussi un travail qui se fait au quotidien dans ce sens», tempère
D. Hamri, directeur de l'orphelinat de Bernoussi. Du côté du département de tutelle, le ministère de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement social, en association avec l'EN, on est encore au chevet du patient. Un long processus de consultation a démarré pour apporter des solutions aux nombreux problèmes posés et réformer les EPS. Le département que dirige Bassima Hakkaoui a tenu, le 17 juin, la 10e étape de ces consultations. La ministre a mis à l'occasion les gestionnaires des ces établissements face à leurs responsabilités. « Seuls les EPS qui sont en conformité avec les textes sont sous notre tutelle, le reste est hors la loi à mes yeux ». 648 de ces établissements sont conformes au cahier des charges exigé par la loi 14-05.
L'argent, nerf de la guerre
La sortie lapidaire de la ministre fait réagir les gestionnaires des orphelinats. Abderrafiî Debbagh est le président de l'Association de bienfaisance islamique à Kenitra. Cette structure « modèle » dispose d'un budget de 3 millions de DH, dont 200.000 DH proviennent de l'EN. La modeste contribution de l'administration met Debbagh hors de lui : « Avec de telles subventions, il est impossible d'atteindre les objectifs tracés par les autorités. Il faut se donner les moyens de ses ambitions », martèle-t-il. Cette question qu'il pose mérite réponse : « Comment se fait-il qu'une équipe de foot de la ville reçoit un chèque à 7 chiffres, alors que des EPS offrant un service vital à la communauté reçoivent des sommes ridicules ? ». Un chiffre montre affreusement le faible investissement de l'Etat dans ce domaine : 5,5 dirhams par jour sont dépensés, à travers l'Entraide nationale, par orphelin. « L'Etat ne peut pas gérer tous les EPS. Le rôle des associations dans ce domaine est nécessaire. Maintenant, il faut que ce secteur puisse tirer un trait sur son lourd passif. La réforme en cours veut atteindre cet objectif », souhaite Hakkaoui. Pour Béatrice Beloubad, directrice nationale de SOS Villages d'Enfants, « remédier à la situation catastrophique des orphelinats passe par la disponibilité de RH qualifiées et de ressources financières suffisantes. L'INDH a permis d'avoir des locaux neufs mais sans financer le plus dur, la gestion au quotidien». Pour remédier au manque de moyens financiers, le président de l'orphelinat de Kenitra propose cette piste :
« Le ministère des Habous dispose de moyens illimités, je ne comprends pas pourquoi cet argent ne profite pas aux enfants ? Osons lever le tabou sur cet argent !». A bon entendeur...


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