Le gouvernement assouplit sa position, le blocage concernant le rôle des élus a été levé. Gouverneurs et présidents de communes se partageront finalement le contrôle. Amendes et peines ont été réduites et les infractions hiérarchisées en fonction de la construction. Attendu depuis plus de deux ans, le projet de loi 04-04, destiné à réglementer l'urbanisme et l'habitat – et surtout à lutter contre l'anarchie en la matière – sort enfin du tunnel. Confectionné dans l'urgence à la suite du tremblement de terre qui avait secoué la région d'Al Hoceima le 24 février 2004, présenté à la session parlementaire de printemps de la même année (un record), le texte avait soulevé une farouche opposition des parlementaires, aussi bien les Représentants que les Conseillers, à tel point que l'on parlait de blocage. Le projet, aujourd'hui, se trouve certes toujours en discussion en Commission de l'intérieur, de la décentralisation et des infrastructures de la Chambre des représentants. «Il ne s'agit pas de blocage, mais de rigueur dans la discussion d'une loi qui révolutionne la gestion de l'habitat et de l'urbanisme», explique Ouadie Benabdellah, député RNI et membre de la commission. «Nous avons pris le temps qu'il faut pour passer au peigne fin ce texte législatif important», précise pour sa part Khalil Boucetta, de l'Istiqlal. Une étude minutieuse qui n'a épargné aucun article du projet. Tous ont été discutés, mot par mot. Et les députés, tant de la majorité que de l'opposition (les amendements proposés étant pratiquement les mêmes sur les articles les plus importants), ont tiqué sur quatre grandes dispositions : le caractère coercitif de la loi, le contrôle des chantiers, la responsabilité de chaque intervenant et l'application de plusieurs procédures urbaines aux petites communes rurales. Il a fallu, enfin, que le lundi 5 juin se tienne une réunion officieuse au siège de la primature. Présidée par Driss Jettou, elle a connu la participation des ministres chargés des Relations avec le Parlement, Mohamed Saâd Alami, et celui de l'Habitat et de l'Urbanisme, Ahmed Taoufik Hejira, en plus de représentants des groupes parlementaires de la majorité. A l'ordre du jour, trouver un terrain d'entente concernant le projet. A l'issue de la rencontre, la satisfaction était de mise. Le recours à l'arbitrage du premier ministre a donc porté ses fruits. Aujourd'hui, on connaà®t avec une quasi-certitude ce que seront les règles en matière d'habitat et d'urbanisme. Responsabilité du gouverneur et des élus : dix jours pour fixer exactement les rôles de chacun Première grande révolution du projet de loi initial, une limitation des pouvoirs des présidents des conseils communaux. En contrepartie, les pouvoirs des gouverneurs et walis avaient été renforcés. Et c'est là le plus important motif de réticence du Parlement. Les élus de l'hémicycle ont âprement défendu leurs homologues communaux. Les articles qui ont suscité le plus de mécontentement chez les députés concernent le contrôle des constructions et des chantiers. «Il était inconcevable de revenir sur les acquis en matière de démocratie locale, consolidés ces dernières années. La charte communale de 1976 définit clairement les attributions des instances élues. Il est hors de question de faire passer un texte de loi qui les limite», explique Mohamed Moubdii, député de la Mouvance populaire, par ailleurs président de la Commission de l'intérieur au sein de la première Chambre. Sur ce point important, bien qu'une issue définitive n'ait pu être trouvée, il est certain aujourd'hui que gouverneurs et élus locaux se partageront les prérogatives de contrôle. Une commission a d'ailleurs été instituée et dispose d'une dizaine de jours pour remettre un seul texte d'amendement approuvé par tous les groupes de la majorité. Autre sujet qui fâche, le flou autour de la responsabilisation des différents intervenants au niveau local. «Les amendements proposés par les députés visent la réduction de ce flou», souligne Khalil Boucetta. Et ce sont les élus qui, selon la copie des députés, doivent se charger du contrôle. «En cas d'infraction, la loi prévoit la prison ainsi que l'inéligibilité durant dix ans à toutes fonctions électives locales ou régionales pour le président de la commune. Ce qui est complètement aberrant vu que l'acte de bâtir suppose différents intervenants», souligne le député haraki. Bref, les parlementaires veulent intégrer dans le texte une mention expresse des sanctions encourues par les autorités locales, gouverneurs, caà ̄ds et pachas, par exemple, en cas d'infraction. Ce que le ministère de tutelle juge inutile. «La loi prévoit expressément des sanctions pénales lourdes pour les fonctionnaires à l'origine de l'infraction. Le terme fonctionnaire qualifie toute personne chargée d'une mission publique, même temporairement. Les représentants des autorités locales en font donc partie», souligne pour sa part Abdessalam Chikri, directeur des Affaires juridiques au ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme. Point inchangé, donc, et unanimité entre gouvernement et députés sur la question. Le projet de loi initial gênait également par son caractère très coercitif. Des peines d'emprisonnement de trois mois à un an et des amendes de 50 000 à 300 000 DH pour l'engagement d'une construction sans avoir obtenu le permis de construire (article 71 du projet) ont été jugées très sévères. Les amendements des députés ont pratiquement divisé les peines de prison et les amendes par trois. Distinction entre habitat individuel et promotion immobilière Sur ce point, il y a unanimité des députés, tant de la majorité que de l'opposition. Ils distinguent entre construction initiée par une personne physique pour y loger et les autres chantiers des promoteurs immobiliers destinés à la vente au public. «Les mêmes peines et amendes ne peuvent être appliquées dans des situations aussi différentes», estime Khalil Boucetta. Ouadie Benabdallah, architecte de profession, estime que cette sévérité risque de freiner l'investissement dans un secteur vital pour l'économie nationale, oà1 le Royaume enregistre un grand déficit. Le gouvernement a donc accepté la révision des amendes et des peines, sous réserve de conformité avec le Code pénal. Les amendements de la majorité et de l'opposition ont touché une autre nouveauté du projet de loi, l'extension du champ d'application de la règle d'urbanisme à l'ensemble du territoire national. Disposition intégrée initialement «afin qu'il n'y ait plus de zones de non-droit», souligne Abdessalam Chikri. Est directement concernée toute commune rurale dont la population est inférieure ou égale à 25 000 habitants. Pour y ériger un bâtiment, l'autorisation de construire est ainsi obligatoire. Ce que les députés trouvent irréalisable sur le terrain. «Les documents d'urbanisme ne sont pas généralisés», précise Khalil Boucetta. Le groupe haraki abonde dans le même sens. Les amendements proposés par les uns et les autres concernent la prolongation de la période de grâce accordée à ces communes de cinq années à dix au minimum, avec possibilité pour certaines communes rurales de décider des périodes de transition qui leur sont propres. Le gouvernement a pris acte et validé l'amendement en question. A noter enfin que les différents amendements présentés par les groupes parlementaires tant de la majorité que de l'opposition seront adressés officiellement au ministère de l'Habitat, dans les jours qui viennent, à charge pour ce dernier de les soumettre aux différents départements ministériels concernés. «L'objectif est de pallier un déficit juridique qui a beaucoup nui à notre pays. Dans l'attente d'un Code de l'urbanisme qui ne pourra voir le jour qu'en 2008 ou 2009, il est nécessaire de se doter d'un arsenal juridique clair et sévère à même de stopper l'hémorragie de l'habitat insalubre», estime M. Chikri. En fin de compte, la loi 04-04 relative à l'urbanisme et à l'habitat devrait voir le jour au plus tard d'ici la session d'octobre 2006, vu qu'il ne reste que 5 semaines pour l'actuelle session de printemps… à moins que l'on ne profite de la session extraordinaire prévue cet été en vue de l'examen du Code électoral pour faire d'une pierre deux coups Imprécision Agences urbaines : entre avis conforme et approbation Avis conforme ou approbation ? Des termes qui gênent beaucoup les députés. Dans les textes actuellement en vigueur, l'Agence urbaine donne un avis conforme en matière d'autorisation de construire ou de lotir. «Mais le terme d'avis conforme demeure vague et mal interprété dans la plupart des cas. C'est pour cette raison que, dans le nouveau projet de loi, nous avons préféré être beaucoup plus explicites en soumettant ces autorisations à l'approbation de l'Agence urbaine», explique Abdessalam Chikri, directeur des Affaires juridiques au ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme. En outre, une commission en guise de guichet unique auprès de ces institutions est prévue «pour éviter atermoiements et pertes d'énergie». Mais les députés ne voient pas la situation de cet Å"il. Leurs amendements vont dans le sens du renforcement des attributions et prérogatives des élus et le gouvernement a assoupli sa position. Focus Le cahier de chantier : un gage de sécurité Autorisation de construire, de démolir ou encore de modifier une construction existante… Tous les actes de bâtir passent, selon les dispositions du projet de loi 04-04, par une autorisation expresse délivrée par les autorités compétentes. Les rédacteurs du projet insistent également sur la tenue d'un cahier de chantier par l'architecte pour la construction, et par le coordinateur des travaux en cas de lotissement. L'objectif en est d'assurer un suivi rigoureux des travaux. Un gage de sécurité : les députés n'ont rien trouvé à y redire .