si les Occidentaux doivent rendre des comptes pour les dégâts engendrés par leurs politiques géostratégiques, ceux qui, au Maroc comme dans les autres pays arabes, ont nourri l'obscurantisme religieux et favorisé son expansion, devraient aussi être convoqués au tribunal de l'Histoire. Au lendemain de l'attentat de Nice (14 juillet), le troisième en un an et demi à avoir endeuillé la France, huit Français sur dix se disent prêts à accepter une limitation des libertés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En Turquie, au lendemain, cette fois-ci, d'un putsch manqué (15 juillet), Reecep Tayeb Erdogan s'est dit prêt à envisager le rétablissement de la peine de mort, demandé à hauts cris par ses partisans pour les putschistes. S'il le faisait, il défierait ouvertement l'Europe qui ne cesse de lui demander des gages de bonne conduite pour l'intégrer en son sein. Mais, redoutable stratège, le président turc, qui sort renforcé de ce coup d'Etat militaire raté, sait que le vent a tourné. Et que les Européens, pris dans la tourmente terroriste, sont aujourd'hui davantage préoccupés de sécurité que de droits de l'homme. En France, l'état d'urgence a été prorogé de trois mois, avec ce que cela signifie de concessions de la justice à la police. Une question lancinante hante désormais les démocrates sur le Vieux continent, celle de la victoire de Daesh. L'organisation terroriste finira-t-elle par gagner ? Sur le terrain, politiques et analystes s'accordent sur le fait que les djihadistes seront battus militairement dans un proche avenir. Mais ils sont tout aussi unanimes à affirmer que l'EI conservera sa capacité de nuisance, qu'au contraire les actes terroristes vont se multiplier et qu'il faudra apprendre à vivre pendant un temps indéterminé avec l'ombre de cette menace. Or, les conséquences d'une telle situation peuvent être redoutables pour le vivre-ensemble en Europe. Ce vivre-ensemble que Daesh s'emploie à faire éclater en montant les non-musulmans contre les minorités musulmanes par le biais de sa terreur. Son objectif déclaré est de saper les bases de la démocratie occidentale en obligeant les Etats à réduire les libertés par nécessité sécuritaire. Or sans liberté, plus de démocratie, le modèle s'effondre, Daesh triomphe et les autocraties peuvent s'épanouir sans contre-modèle pour les remettre en question. Maintenant, il n'est pas dit que ce scénario catastrophe prévaudra. On peut aussi imaginer que l'électrochoc des attentats terroristes va, au contraire, provoquer une prise de conscience nouvelle chez les Occidentaux, les rendre plus sensibles et plus ouverts, briser l'individualisme dans lequel les enferre la société de consommation. Et que, du coup, de nouveaux rapports se construiraient autour d'un humanisme régénéré. Entre les crises économiques à répétition, le réchauffement climatique et la violence terroriste, le sentiment se fait de plus en plus fort d'être arrivé au bout d'un certain mode de vie. Un mode de vie dominé par la prédation et l'exploitation, de la nature comme des peuples et, en leur sein, des individus. Et là, ça déraille et ça part dans tous les sens. Les victimes des actes terroristes commis sur le sol français, belge ou encore américain ont expérimenté la souffrance et l'horreur qui, en Syrie, en Irak ou en Palestine font le quotidien des populations depuis des années, voire des décennies. Preuve s'il en est que les mondes ne sont plus cloisonnés et qu'il finit par arriver le jour où l'addition est présentée. L'addition de la destruction, par exemple, de l'Irak sur les ruines duquel est née Daesh ou encore de cette injustice fichée au cœur des Arabes qui a pour nom Palestine. Mais la responsabilité de la situation actuelle n'est pas juste occidentale. Elle est également celle des Arabes et des musulmans, incapables de s'extirper du sous-développement économique et mental dans lesquels ils continuent à être englués. A Nice, comme à Paris en novembre dernier, on a pu entendre des originaires du Maghreb dire leur honte que le ou les terroristes soient de leur confession et de leur origine. Leur peur également de devoir payer pour les crimes commis par un des leurs. Au cours des derniers mois, la petite Tunisie a payé un lourd tribut à la fureur fanatique. Le Maroc a la chance de bénéficier de services de renseignements performants qui, en déjouant les plans des terroristes, sont arrivés jusqu'à présent à le mettre à l'abri des attentats. Mais jusqu'à quand la chance restera-t-elle de notre côté ? Maintenant, si les Occidentaux doivent rendre des comptes pour les dégâts engendrés par leurs politiques géostratégiques, ceux qui, au Maroc comme dans les autres pays arabes, ont nourri l'obscurantisme religieux et favorisé son expansion, devraient aussi être convoqués au tribunal de l'Histoire. Qu'ont-ils fait de nos sociétés ? Les trouvent-ils belles aujourd'hui avec ce rictus de la violence et de l'intolérance qui déforment leurs traits ? Il est temps qu'ici aussi un nouveau chant se lève qui sacre la vie et remette l'humain au cœur de toute chose.