Comparé aux autres régimes autoritaires d'Afrique du nord, le Maroc a longtemps été qualifié de « meilleur élève de la région » par l'UE en termes de gouvernance et de droits de l'homme. Mais le processus de démocratisation enclenché en Tunisie et en Egypte risque de changer la donne. « Îlot de démocratie » selon Khalid Naciri, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, le Maroc capitalise depuis une décennie sur les « avancées » réalisées par le Palais pendant le processus de transition monarchique. Tirant à son avantage la comparaison avec les régimes les plus autoritaires de la région, l'Etat marocain a toujours bénéficié de la bienveillance de ses interlocuteurs occidentaux, notamment européens, malgré l'accumulation ces dernières années de promesses non-tenues en termes d'amélioration de la gouvernance, de démocratisation et de respect de ses engagements internationaux. Mais le processus de démocratisation engagé en Tunisie et la nouvelle politique de l'Union européenne envers ses partenaires méditerranéens viennent changer la donne. Le Maroc et la Jordanie (autre monarchie bénéficiaire du « statut avancé » avec l'UE) ne peuvent plus se contenter d'effets d'annonce. « Ces pays doivent être conscients que le statut privilégié dont ils bénéficient actuellement avec l'UE pourrait être remis en question avec l'émergence des pays en transition démocratique », note l'Institut d'Etudes de Sécurité de l'Union européenne dans son dernier rapport (mars 2011). L'UE va durcir le ton L'Union européenne développe des relations politiques et économiques avec le Maroc et les autres pays de la région dans le cadre de la politique européenne de voisinage, dont la programmation actuelle (2007-2013) arrive bientôt à échéance. L'année dernière, dans un bilan de mi-parcours¹, la Commission européenne notait déjà – avec un brin de cynisme - que « davantage de résultats ont été obtenus dans le domaine économique […] que dans celui de la gouvernance démocratique ». Une évidence, au vu des bonnes relations (économiques) entretenues par les capitales européennes avec les pires régimes de la région. «L'objectif de l'UE, qui consiste à aider à la consolidation des droits de l'homme, est réel. Mais lorsque ces mesures remettent en cause ses intérêts, notamment économiques, là, on retombe dans la raison d'Etat», expliquait fin 2009 Catherine Schneider², alors directrice du Centre d'Etudes sur la Sécurité Internationale et les Coopérations Européennes (CESICE), à l'Université de Grenoble. Prise de court par les événements survenus en Tunisie, en Egypte puis en Libye, l'UE a cependant décidé d'en tirer des leçons et de redéfinir ses relations avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. En témoigne le mea culpa de Stefan Füle, Commissaire européen à l'élargissement et au voisinage, devant la commission Affaires étrangères du Parlement européen, le 28 février dernier : « Trop d'entre nous avons cru que les régimes autoritaires étaient une garantie de stabilité dans la région. Ce n'était même pas de la realpolitik. C'était, au mieux, une vision court-termiste. Le genre de vision qui rend le long-terme encore plus difficile à construire ». Pression pour des réformes concrètes Concrètement, l'UE va façonner un nouveau cadre de coopération pour la prochaine programmation 2014-2020 de la politique européenne de voisinage, qui conditionnera l'aide financière accordée par l'UE à la réalisation de réformes spécifiques et mesurables de la part des pays partenaires. Au-delà des effets d'annonce, l'Etat marocain devra donc retrouver le chemin des engagements concrets, après avoir déçu les européens sur un certain nombre de promesses non-tenues, notamment celle de la réforme de la justice. « Nous étions prêts à l'accompagner à hauteur de 100 millions d'euros. Mais on a dû les retirer car rien ne s'est passé. L'argent est là. Si demain on nous présente un programme de réforme qui soit crédible à nos yeux, nous le ferons », expliquait en avril dernier l'ambassadeur de l'UE au Maroc, Eneko Landaburu³. Le « statut avancé » au point mort Si la Commission européenne et le service diplomatique européen (SEAE) ont jeté les bases de ce nouveau partenariat entre l'UE et ses voisins méditerranéens le 8 mars dernier, ils doivent présenter le contenu final de la future politique européenne de voisinage le 20 avril prochain au Conseil et au Parlement européen. Les eurodéputés ont également travaillé sur la question : la commission Affaires étrangères du Parlement a préparé une résolution qui sera votée lors de la séance plénière du 4 au 7 avril prochains. Les eurodéputés demandent notamment plus de transparence dans les négociations (menées par la Commission européenne) pour accorder un statut avancé aux pays partenaires. Ils soulignent aussi la nécessité d'établir des critères précis pour l'attribution de ce statut, à l'image des critères de Copenhague imposés aux pays candidats à l'adhésion de l'UE. Perçu par certains observateurs comme un simple « titre honorifique » sans réelle valeur ajoutée par rapport aux accords d'association déjà existants, le statut avancé accordé au Maroc en 2008 n'a en effet toujours pas été suivi d'actions concrètes, mis à part la tenue du Sommet de Grenade en mars 2010 et un rapprochement progressif avec le Conseil de l'Europe. «On a fait le statut avancé, maintenant il faut qu'on fasse nos devoirs, du côté européen et du côté du gouvernement marocain», prévenait pourtant Eneko Landaburu fin 2009⁴. Le nouveau plan d'action UE-Maroc, sensé justement donner du contenu à ce statut avancé, est attendu depuis juillet 2010, mais les négociations sont toujours au point mort. Les simples « réunions techniques » ne suffisent plus Autre point soulevé par les eurodéputés : le rôle purement « technique » des « sous-commissions des droits de l'homme », espaces de dialogue mis en place par l'UE et les pays partenaires. C'est pourtant un des arguments phares du discours officiel marocain, repris régulièrement quand Rabat est interpellé par les européens sur la question des droits de l'homme, comme lors du passage de Youssef Amrani, SG du ministère des Affaires étrangères, devant le Parlement européen en décembre 2009. Les eurodéputés veulent renforcer le rôle de ces sous-commissions et demandent donc au SEAE « de faire pression pour les rendre plus efficaces et davantage axées sur les résultats ». Les promesses du discours royal A l'issue de sa visite au Maroc, les 7 et 8 février derniers, le Commissaire européen Stefan Füle a tenu une conférence de presse conjointe avec Taïeb Fassi Fihri. Il s'est félicité des réformes déjà lancées mais a souligné la nécessité « que le gouvernement marocain avance davantage sur ces réformes en particulier dans le domaine de l'éradication de la pauvreté, du développement social (l'éducation et la santé), des réformes démocratiques, de la liberté d'expression, du développement du rôle des femmes et de la réforme de la justice qui a été annoncée ». Ce à quoi Taïeb Fassi Fihri aurait sèchement répondu : « Nous n'avons pas attendu l'Europe pour mener des réformes ». C'était bien sûr avant les manifestations du 20 février… et le discours royal du 9 mars, dans lequel Mohammed VI a promis une large réforme constitutionnelle. Ce discours a été salué par la plupart des dirigeants occidentaux et par l'Union européenne, soucieux de préserver la stabilité du royaume en cette période troublée. Mais au-delà du satisfecit général, les responsables de l'UE restent lucides. Dans un communiqué publié le 10 mars, Stefan Füle et la Haute Représentante de l'UE, Catherine Ashton, ont souligné que l'annonce royale constitue désormais « un engagement à une plus grande démocratisation » et qu'elle « ouvre une période de débat politique qui doit inclure tous les acteurs politiques et la société civile, et être une réponse aux aspirations légitimes du peuple marocain ». Des aspirations également exprimées par la jeunesse dans les rues de Casablanca et Khouribga ces derniers jours, mais auxquelles les autorités marocaines n‘ont répondu que par la matraque… ------------------------------------------------------------------------ ¹ Bilan de la politique européenne de voisinage - Communication de la Commission au Parlement et au Conseil – Bruxelles, 12 mai 2010 ²,⁴ « UE-Maroc : un Statut, quelles avancées ? », in Le Journal Hebdomadaire, novembre 2009 (Théodore Christakis a depuis remplacé Catherine Schneider à la tête du CESICE) ³ Conférence de presse à la CFCIM, Casablanca, 6 avril 2010