Le ministère de l'Intérieur nie les violences sur les manifestants sahraouis, constatées sur place par l'AMDH et Amnesty International. Un «voyage de presse» réservé aux médias nationaux a été organisé à Laâyoune pour relayer la version officielle. Les manifestations qui secouent Laâyoune depuis jeudi dernier étaient un premier test pour les autorités marocaines depuis l'adoption de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU sur la Minurso. Dès le lendemain du vote, vendredi 24 avril, une centaine de sahraouis avaient manifesté dans les rues de Laâyoune, sous haute présence sécuritaire, pour revendiquer leur droit à l'auto-détermination. Selon les observateurs sur place (l'AMDH-section Laâyoune et une équipe d'Amnesty international), les forces de l'ordre ont fait un usage disproportionné de la force pour déloger les manifestants. Siren Rached, membre d'Amnesty international, explique à Lakome avoir elle-même rencontré une dizaine de blessés parmi les participants de vendredi dernier. Répression des manifestations Les manifestations se sont poursuivies tout le weekend et ont atteint leur apogée lundi, avec la participation de plusieurs centaines de Sahraouis à trois manifestations simultanées dans les quartiers de Laâyoune. L'AMDH et des activistes sahraouis contactés par Lakome affirment que les forces de l'ordre ont frappé les participants sans sommation. «A l'heure du rendez-vous, avenue de Smara, nous avons expliqué aux gens que nous allions faire un sit-in et non une marche, qui n'aurait pas été autorisée. Nous leur avons aussi demandé de se mettre sur les trottoirs afin de ne pas bloquer la route. Les policiers en civil sont alors intervenus et ont commencé à frapper les manifestants pour les déloger. Puis les forces auxiliares sont arrivées elles-aussi.», raconte à Lakome Djimi Ghalia, vice-présidente de l'Association sahraouie des victimes de violations graves de droits de l'homme (ASVDH, non-autorisée). Plusieurs centaines de Saharaouis au total ont participé aux différents rassemblements de lundi. Des jeunes, des chômeurs, des retraités, des fonctionnaires aussi selon les témoignages recueillis par Lakome. «Les revendications étaient purement politiques. Certains réclamaient l'auto-détermination, d'autres l'indépendance», explique Djimi Ghalia. Selon le rapport des membres de l'AMDH-section Laâyoune, qui ont assisté aux manifestations, ce sont les forces de l'ordre qui ont provoqué les participants alors que les rassemblements étaient pacifiques. Des manifestants ont été traînés dans les petites ruelles adjacentes à l'avenue Smara pour y être tabassés à l'abri des regards et des caméras. Certains policiers en civil auraient même usé d'armes blanches et de pierres contre les manifestants selon le rapport de l'AMDH. «Ce sont les policiers qui ont commencé à jeter des pierres. Les jeunes ont alors répliqué», affirme de son côté Djimi Ghalia. Le rapport de l'AMDH a identifié au total une trentaine de blessés parmi les manifestants. L'ONG demande l'ouverture d'une enquête officielle et crédible pour faire toute la lumière sur ces événements. L'Intérieur réagit et...nie en bloc La réaction des autorités marocaines, qui ne s'est pas faite attendre, est riche en enseignements. Dès le weekend dernier un premier communiqué de la wilaya de Laâyoune indiquait qu'une douzaine de policiers avaient été blessés par des jets de pierre après la tentative de «certains individus» de bloquer la voie publique pour perturber la circulation. Trois jours plus tard, le préfet de police de Laâyoune, Abdelbaset Mahtat, présentait le bilan des trois jours de manifestations : 70 blessés parmi les forces de l'ordre, aucune mention de blessés parmi les manifestants... Mercredi 1er mai, le ministère de l'Intérieur est allé plus loin en publiant un communiqué pour démentir la totalité du contenu du rapport de l'AMDH : «L'objectif des auteurs de ce rapport est de dévaloriser l'action des forces de l'ordre et de les accuser d'actes abominables, tout en leur attribuant l'entière responsabilité de ce qui s'est passé à Laayoune», affirme le communiqué. «Visite guidée» pour les journalistes nationaux Afin d'appuyer leur version des faits, les autorités marocaines ont organisé dimanche dernier une visite express de Laâyoune, réservée aux représentants des principaux médias nationaux. Au menu : une rencontre dimanche soir avec le Wali et le préfet de police de Laâyoune, à laquelle ont aussi été convoqués des élus et chefs de tribus triés sur le volet. Les articles publiés par les médias marocains à l'issue de cette «réunion d'information» reprennent en cœur le même argument : des «fauteurs de troubles tentent de perturber le quotidien des habitants de Boujdour, Laâyoune et Smara, usent de la violence contre les éléments de police et des forces de l'ordre et s'en prennent aux établissements publics ou privés pour y provoquer le maximum de dégâts.», relève Libération, le quotidien de l'USFP. «Les actes subversifs téléguidés à partir de Tindouf sont au fait destinés à donner une consistance aux prétentions des séparatistes qui veulent faire croire à la communauté internationale que les droits de l'homme au Sahara sont transgressés», note de son côté l'Opinion, le journal de l'Istiqlal. Les troubles seraient donc causés par «des adolescents honteusement instrumentalisés par le Polisario» (L'Opinion). «L'envoyé spécial» du quotidien Le Soir croit même savoir que ces jeunes «prêtent leurs services contre 100DH par jour». Contactés par Lakome, l'équipe d'Amnesty international et les activistes sahraouis affirment pourtant qu'aucun journaliste marocain n'a cherché à les rencontrer pendant leur visite guidée à Laâyoune. Ils ne semblent pas non plus avoir couvert les manifestations de lundi. Le journaliste de l'Opinion qui a fait le déplacement reconnaît dans son article que «la brièveté du séjour à Laâyoune n'a pas permis d'approcher quelques uns de ces adolescents et les jeunes gens qui semblent les encadrer, pour mieux les connaitre»... L'AMDH répond à l'Intérieur L'AMDH de son côté a réagi au démenti de l'Intérieur. «Ce n'est pas la première fois que les autorités tentent de décrédibiliser l'AMDH. La section de Laâyoune est autonome mais nous sommes solidaires et nous leur faisons confiance», explique à Lakome sa présidente Khadija Ryadi. Hamoudi Iguelid, responsable de la section de Laâyoune, également contacté par Lakome, estime que sur la forme, le communiqué de l'Intérieur est plutôt positif dans le sens où c'est la première fois que les autorités marocaines réagissent officiellement à leur travail, alors que la section locale demande depuis 1999 à avoir un vrai dialogue avec les autorités de Laâyoune. Sur le fond du communiqué en revanche, Hamoudi Iguelid maintient l'ensemble des faits publiés dans le rapport de l'AMDH. Il affirme d'ailleurs avoir déjà reçu des requêtes de trois manifestants (deux femmes et un mineur) qui souhaitent déposer une plainte et accusent les forces de l'ordre de les avoir tabassés. Concernant les 70 policiers présentés comme blessés par les autorités, le responsable de la section locale de l'AMDH affirme ne pas les avoir vu et s'étonne du nombre élevé avancé par l'Intérieur. «C'est plus que lors des derbys de football à Casablanca. Est ce que ca veut dire que les manifestants étaient des dizaines de milliers dans les rues de Laâyoune ?», s'interroge-t-il. Siren Rached d'Amnesty international explique de son côté à Lakome avoir fait une demande aux autorités pour rencontrer ces policiers blessés. Demande restée sans suite jusqu'à présent... La militante d'Amnesty international précise à Lakome que le but de leur visite à Laâyoune, autorisée il y a deux semaines après une rencontre à Londres entre Mustafa Khalfi et le directeur régional d'Amnesty, n'était pas de suivre ces manifestations mais de dresser un tableau complet de la situation des droits de l'homme au Sahara. L'équipe d'Amnesty a d'ailleurs rencontré les officiels locaux marocains ainsi que les responsables de Laâyoune TV. «Nous n'avions pas prévu de nous exprimer lors de cette visite préliminaire. Mais les réactions des médias marocains nous y ont obligé», affirme-t-elle. Amnesty publiera un rapport complet sur le Sahara «après avoir terminé le travail de terrain et effectué les vérifications nécessaires». Côté marocain, seule l'AMDH a produit un rapport sur les événements de ces derniers jours. Le CNDH reste étrangement silencieux et d'autres associations comme l'OMDH s'apprêteraient à se rendre sur place dans les prochains jours.