Les Etats-Unis vont demander l'extension du mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l'homme au Sahara et à Tindouf. Un cinglant désaveu du « processus de réformes » marketé par Rabat depuis le déclenchement du printemps arabe. Même si la France va probablement opposer son véto, cette décision constitue un tournant majeur sur la question du Sahara. L'information a été confirmée à Lakome par plusieurs sources proches du dossier : les Etats-Unis vont présenter un projet de résolution au Conseil de sécurité de l'ONU pour demander l'extension du mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l'homme au Sahara et à Tindouf. Le texte est actuellement en préparation au sein du « Groupe des Amis du Sahara Occidental » (Etats-Unis, Royaume Uni, France, Russie et Espagne), en vue de la réunion du Conseil de Sécurité prévue à la fin du mois pour examiner le renouvellement du mandat de la Minurso. « Cette proposition innovatrice faite par les Etats-Unis intervient après des décennies de silence de la part de la communauté internationale sur cette crise persistante des droits de l'homme », commente le RFK Center, ONG proche des démocrates américains et des activistes indépendantistes. L'Etat marocain y échappe depuis plusieurs années La question de l'extension du mandat de la Minurso fait pourtant l'objet de débats depuis plusieurs années au sein du Conseil de sécurité mais les autorités marocaines - grâce notamment à la France et son droit de véto - ont toujours réussi jusqu'à présent à faire reporter la décision. En avril 2010, c'est justement le véto français qui avait permis « d'éliminer » toute référence à la question des droits de l'homme dans la résolution du Conseil de Sécurité. L'année suivante, en avril 2011, Rabat y avait une nouvelle fois échappé de peu malgré l'épisode Gdim Izik fin 2010, durant lequel la Minurso avait été interdite d'accès au camp par Rabat. Une première version du rapport annuel 2011 de Ban Ki Moon demandait en effet cette extension du mandat de la Minurso mais le rapport final avait été modifié au dernier moment sous la pression du Maroc, qui s'engageait en échange à "accueillir" au Sahara les Représentants spéciaux de l'ONU. Cette année, le rapport annuel de Ban Ki Moon est clair : le Secrétaire Général de l'ONU demande la mise en place d'un mécanisme indépendant pour surveiller le respect des droits de l'homme au Sahara (et à Tindouf), reprenant ainsi les recommandations du Rapporteur spécial sur la torture, Juan Mendez, et celles du Conseil des Droits de l'homme de l'ONU, toutes deux émises en 2012. Seule la France pourra s'y opposer en y mettant son véto ou en minimisant la portée de l'extension, Paris contrôlant à New York la Direction des opérations de maintien de la paix de l'ONU (DPKO) depuis quatre mandats successifs. En quoi consisterait le nouveau rôle de la Minurso ? Une extension du mandat de la Minurso signifierait la présence au Sahara et à Tindouf d'une équipe d'agents onusiens chargés de promouvoir et de surveiller les droits de l'homme dans le territoire, à travers des actions de sensibilisation et de formation auprès de la population et des autorités locales, mais aussi des rapports réguliers transmis au siège de l'ONU. Les militants indépendantistes, souvent harcelés et passés à tabac par les forces de l'ordre marocaines, seraient donc « protégés » dans leurs actions militantes pour l'indépendance du territoire et bénéficieraient d'un espace politique sans précédent : meetings, discours publics, création d'associations et de médias pro-indépendance, etc. Un tournant de la diplomatie US Cette proposition américaine constitue ainsi un tournant majeur de l'attitude de Washington concernant le Sahara. Alors que jusqu'en 2008, la diplomatie US soutenait fermement Rabat, allant jusqu'à proposer de qualifier l'option d'indépendance « d'irréaliste », le vent a tourné depuis. En cause : l'arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche mais surtout les nombreuses promesses non-tenues de Rabat concernant l'amélioration des droits de l'homme dans le territoire. Certains câbles diplomatiques rédigés par l'ambassade US à Rabat (et révélés par Wikileaks), comme les rapports annuels du département d'Etat, notaient la nette amélioration des droits de l'homme au Sahara jusqu'en 2008 mais un inversement de tendance à partir de 2009. La déconvenue du palais, à travers le PAM, aux élections municipales à Laâyoune en juin 2009, l'arrestation des 7 militants indépendantistes à leur retour d'Alger en septembre puis l'affaire Aminatou Haidar dénotaient une crispation du Palais, reflétée dans le discours agressif du roi Mohammed VI de novembre 2009, qualifié de «populiste » par la diplomatie américaine. Paris prévient Rabat dès 2010 En 2010, alors que l'Etat marocain s'inquiétait de la possible extension du mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l'homme, Paris avait pourtant prévenu Rabat, selon un câble diplomatique daté de février 2010 : « les officiels français ont expliqué à leurs homologues marocains l'importance de mener des réformes en interne afin de permettre à la France et aux amis du Maroc de s'opposer à toute extension du mandat de la Minurso ». Or, les promesses de réforme, non-tenues par Rabat, semblent avoir fini par exaspérer Washington. L'exemple de l'association sahraouie pro-indépendance ASVDH est significatif : les diplomates US expliquent en 2009 dans un câble diplomatique avoir fait du lobbying pendant près d'un an auprès des autorités marocaines pour qu'elles reconnaissent le statut légal de l'association. Malgré un verdict du tribunal administratif puis de la cour d'appel d'Agadir favorables à l'ASVDH, Rabat refuse jusqu'à présent d'autoriser sa création ! La nouvelle constitution ne change rien pour Washington Aujourd'hui, la position américaine peut donc être considérée comme un désaveu des réformes promises par Rabat après le déclenchement du printemps arabe. Ni la création du CNDH ni les avancées constitutionnelles de la nouvelle loi fondamentale ne semblent suffisants aux yeux de Washington et de la communauté internationale pour garantir en pratique le respect des droits de l'homme au Sahara. Le rapport de Juan Mendez, établit suite à sa visite dans le territoire en septembre 2012, parle de torture quasi-systématique envers les militants indépendantistes. Que la France s'oppose ou non à l'extension du mandat de la Minurso dans les jours qui viennent, la décision des Etats-Unis a d'ors et déjà une conséquence politique majeure : l'éloignement de Washington de la proposition d'autonomie, une attitude qui fait aujourd'hui paniquer le Palais. Lors de son « pot de départ » jeudi dernier à Rabat, l'ambassadeur américain Samuel Kaplan a été on ne peut plus clair : la proposition marocaine d'autonomie « ne peut pas servir de seule base dans les négociations avec les autres parties du conflit » (1). 1 L'Economiste, 15 avril 2013, page 36