On a beaucoup parlé de l'aspect neuf du mouvement du 20 février, sous l'angle des nouvelles technologies, largement utilisées par les militants. Mais, dans la rue aussi, le militantisme change, aux mains d'une jeunesse qui se mobilise sans forcément de tradition militante. Dimanche 6, à Rabat, devant le Parlement, entre 50 et 80 jeunes s'immobilise cinq minutes durant après un strident coup de sifflet. Ca se nomme un « freeze ». Plutôt beau à voir mais est ce vraiment efficace pour réclamer un changement de constitution ? En Europe, le freeze est utilisé par des militants esseulés, qui ont déjà tout essayé (ou presque) pour faire entendre leur voix, à propos de sujets généralement moins majeurs qu'un chamboulement constitutionnel. Nizar Bennamate, militant du mouvement du 20 est un des cerveaux de cette gentille action, qui n'a pas enchanté certains militants de gauche, très accroché à la forme la plus simple et selon eux la plus efficace de protestation : la marche. Nizar défend son idée : « l'intérêt n'est pas dans le nombre, mais dans le symbole. Le principe, c'est de créer le ‘buzz', une fois la vidéo de l'action mise en ligne. » Il assure ne pas avoir eu tant de mal à proposer l'action, malgré quelques gentilles moqueries et réticences de quelques « anciens ». Pour convaincre, il a montré des vidéos de freez réussis en Europe. A-t-il pensé à la vulnérabilité des participants, isolés, immobiles ? « Au contraire, c'est plutôt la police qui est vulnérable, les agents ne savent pas toujours quoi faire, les autorités vont mettre du temps à s'adapter à ces nouvelles formes de contestation. » Youssef Raïssouni, siégeant au bureau de l'AMDH et militant de la Voie Démocratique concède être quelque peu conservateur dans ses réflexes militants et avoir été, au départ « perturbé par la proposition de freeze ; il y a une conscience collective chez les militants marocains, une action, c'est un sit-in ou une marche, point. » Pourtant, le 6, comme les autres, il s'est figé quelques minutes : « il faut tuer le conservateur qui est en nous ! » Une participante au freeze rend à César ce qui lui appartient : « le Mouvement alternatif des libertés individuelles (MALI) a été un précurseur. » La poignée de militants, en organisant un pique nique en plein ramadan l'été 2009 avait prouvé que, au Maroc aussi, un petit groupe, par une action symbolique forte pouvait jeter le pavé dans la mare. Mezzi, militant alter mondialiste (il tait, sur consigne du comité du 20, l'organisation où il est encarté), actif au sein du comité casablancais de lutte, assure lui aussi de l'importance de diversifier les actions pour que le mouvement « garde un souffle ». « Le Parti socialiste unifié (PSU) nous laisse la salle, le local est complètement libre, ils n'ont gardé aucun droit de regard sur ce que nous y faisons. Nous y avons organisé une activité culturelle : un concert de rap et de chanson engagé le samedi 5 mars. » Lors des rassemblements à Casa, des jeunes du 20 ont déclamé de la poésie, d'autre ont fait du rap. « Des militants de la gauche traditionnelle sont venus nous voir, ils n'appréciaient pas trop » concède t-il. Ces quelques réticences n'empêchent pas le comité casablancais de prévoir pour bientôt un happening : le procès symbolique de la corruption, appelant à la barre de nombreux acteurs politiques et économiques connus. Ultimes résistants à des actions sympas, venues du Nord, des militants d'Al Adl Wal Ihsan, ont manifesté très classiquement leur solidarité avec le peuple libyen, vendredi 4 mars, dans des dizaines de mosquées du pays : après la prière, les adlistes se sont rassemblés dans un tradi « waqafat al masjidiya. »