Le post de Omar sur la classe moyenne m'a poussé à reprendre la question persistante de la typologie de cette population. A vrai dire, la seule mesure qui vaille reste la définition statistique de la classe moyenne – la classe médiane. Et les différences de consommation importent peu face aux résultats de la distribution des revenus. Il est convenu bien sûr que cette médiane -dans sa définition la plus large- est assez hétérogène pour en admettre les déclinaisons régionales. Une observation: les chiffres évoqués ici, chez Omar et d'une manière général dans le débat public, datent de 2007, et donc les revenus évoqués (25.000 à 69.000 dhs) doivent être ajustés pour prendre en compte l'évolution du RNDB (soit des chiffres plus proches de 33.100 à 157.800 annuels – sur la base de percentiles entre 25% et 75% de la distribution) Mais le sujet m'intéressant ici est autre: peut-on deviser sur la mobilité sociale au Maroc? En d'autres termes, cette classe moyenne est-elle une majorité? Et les flux d'arrivées et départs de cette population sont-ils réellement observables? En l'absence de données empiriques (les observateurs les plus intéressés par ces thèmes attendent toujours une étude promise par le HCP en 2011) je proposerai une ‘histoire', avec des faits stylisés. En 1955, le Maroc intègre la modernité d'un état souverain, et de ce fait, on cherche à vérifier s'il y a eu mobilité sociale. L'idée est de construire à partir de la distribution des revenus de l'époque, des probabilités de mobilité croissante ou décroissante. Pour garder l'histoire simple, on divise l'ensemble de la population en trois classes – 10% les plus riches, 10% les plus pauvres, et la classe moyenne entre les deux. Ces probabilités sont calculées à partir de la distribution des revenus; à titre d'exemple, la probabilité de déclassement d'un ménage appartenant au décile supérieur vers la classe moyenne était de 41.63%; d'un autre côté un ménage appartenant au décile inférieur a une chance sur deux de rester pauvre, et moins de 10% de progresser vers le décile supérieur. Ces probabilités servent à calculer ensuite la distribution ‘idéale' à très long terme, par exemple comme une prévision de la distribution qu'on observerait en 2007. Le graphe en haut illustre cette projection comparée à la concentration des revenus, et semble conclure notre histoire par un happy ending: la classe médiane définie libéralement s'approprie une part du gâteau plus importante, une bonne nouvelle pour la classe moyenne. Mais encore, la définition retenue était résiduelle, c'est-à-dire que l'attention est concentrée sur les deux déciles extrêmes, et deuxièmement, la part dans le revenu national du décile inférieur est trop basse pour l'interpréter comme un bon signe de l'inégalité des revenus, simplement parce qu'à nombre égal de ménages, une part inférieure du décile signifie un revenu inférieur par ménage. L'histoire continue, cette fois en admettant 5 déciles, et en recalculant les probabilités de mobilité ascendante ou descendante. Les résultats sont radicalement différents: 1/ La part du premier quantile est toujours plus importante pour 2007 que ce qui devrait être observé 2/ La ‘classe moyenne supérieure' (le deuxième décile) ainsi que la médiane sont toutes les deux démunis par rapport à la distribution initiale des revenus par ménages 3/ Les quantiles les plus défavorisés sont encore plus défavorisés avec la présente distribution des revenus. Ce qui était largement résiduel en faveur de la classe moyenne comme preuve d'une certaine mobilité sociale est contredit par la différence défavorable observée pour des compartiments plus détaillés. Je reviens sur le détail de l'hypothèse initiale: la répartition des revenus est supposée suivre un chemin déterministe fonction seulement de la distribution initiale des revenus. Les différences observées seraient ainsi dues à une pléthore de variables exogènes. Il serait intéressant de contrôler pour les effets institutionnels: peut-on faire l'hypothèse que certaines sources de revenus, liées à certaines classes sociales (ou déciles/quantiles) permettent de progresser plus rapidement dans la distribution des revenus?