En toute logique, si l'on s'en tient aux résultats de la première enquête des revenus des ménages du HCP, les Marocains gagnent mieux leur vie. Ce sont eux qui le déclarent. Et si l'on s'en tient aux statistiques des comptes nationaux (puisqu'une comparaison des revenus ne peut se faire en l'absence d'enquêtes antérieures), il s'avère que depuis 2001, le revenu disponible des ménages a augmenté en moyenne de 5,5% chaque année. Mais attention, il ne faut pas prendre ce chiffre au premier degré. Il est important de le rapprocher de l'inflation, du pouvoir d'achat… Dans ce cas, il s'amoindrit, mais sans toutefois devenir nul ou négatif. Heureusement. Les Marocains devraient alors se réjouir ? Pas si sûr. Car la nouvelle enquête a surtout montré que le Maroc reste un pays inégalitaire et dont les revenus sont encore modestes. Analyse. Il y a des réalités qui ne trompent pas. Et les chiffres sont là pour les confirmer. La société marocaine est marquée par des gaps socio-économiques importants. Les inégalités ne sont pas tant à relever entre la ville et la campagne qu'au sein de la ville elle-même. Elles proviennent aussi de la distinction des sexes, qui permet à la gent masculine de gagner mieux sa vie, ou des différences d'âge. C'est ce qui ressort très sommairement de l'enquête que vient de publier le Haut Commissariat au Plan (HCP) sur les revenus des ménages. C'est une première, car jamais auparavant, une institution publique (et même privée d'ailleurs), ne s'était penchée sur ce volet. Malgré quelques critiques, tout le monde salue cette fois-ci le travail du HCP en la matière. C'est un pas qui a été franchi, mais le travail doit être affiné. Dans le détail, on y apprend qu'un peu moins de la moitié des ménages a un revenu mensuel de moins de 3.500 DH (en net). Par personne, cela donne un revenu de 819 DH en milieu urbain et 501 DH en milieu rural. Le revenu national par personne se situe dans les 663 DH. Ces niveaux-là représentent la médiane et non la moyenne des revenus, qui, elle, est située à 5.308 DH par ménage. Ils sont beaucoup plus précis que les chiffres calculés sur la base de la moyenne. La médiane représente en effet la valeur du revenu qui partage la population en parts égales. Elle est donc insensible aux valeurs extrêmes sur les limites de certaines classes. Ce niveau de revenus appelle à des commentaires. D'abord, au niveau de l'approche même utilisée par le HCP. Les informations, collectées entre décembre 2006 et juin 2007, proviennent de la bouche des personnes sondées. Ce sont leurs propres déclarations qui ont été prises en considération. D'autant que l'enquête n'a pas porté sur les actifs ou le patrimoine des ménages. Une méthode approximative aux yeux des économistes. «Ces niveaux de revenus représentent à mon sens une approximation grossière de la réalité. Ils ne tiennent pas compte des informations que la CNSS peut donner, des revenus de l'informel… mais des déclarations des citoyens. Le plus étonnant, c'est que ces niveaux-là ne me semblent pas s'approcher de ceux fournis par des institutions internationales comme le Pnud, la Banque Mondiale… L'enquête du HCP révèle un revenu moyen par tête d'habitant de 1.029 DH. En le multipliant par le nombre de mois et en le convertissant en euros, on se retrouve avec une moyenne qui pourrait tourner aux alentours de 1030 euros annuellement contre les 1.600 annoncés par ces organismes. Le revenu est délaissé d'environ le tiers», explique Mehdi Lahlou, économiste. La question est de savoir comment le HCP aurait pu intégrer dans ses calculs l'aspect informel sachant qu'il est difficile à coincer. «Dès qu'il s'agit de toucher le «noir», les gens deviennent moins loquaces. Certains ne répondent pas aux questions et d'autres préfèrent donner de fausses déclarations. L'informel est un phénomène qui ne peut être cerné, et encore moins dans le temps. L'activité fluctue tellement qu'il est difficile de l'apprécier », confirme Abdel Wahab Chaoui, co-fondateur du cabinet C&O Marketing. Le HCP, lui, avant même de donner les résultats de l'enquête, a précisé que les données des comptes nationaux confirment la structure des revenus donnée par l'enquête et qu'en termes globaux, la différence entre le revenu agrégé issu de l'enquête et celui donné par les comptes nationaux est de 5,6%. Ceci expliquerait-il en partie cela? La moitié des revenus va aux 20% les plus riches Parmi les résultats annoncés mardi dernier par Bennani Mekki, le chef de la division des enquêtes auprès des ménages du HCP, il y a lieu de s'attarder d'abord sur la concentration de la masse des revenus. 52,6% des revenus globaux sont entre les mains de 20% des ménages ayant les revenus les plus élevés. Les 20% qui disposent des revenus les plus faibles se partagent seulement 5,4% de la masse totale des revenus. Les inégalités sont plus accentuées dans le milieu urbain, 9,5 fois contre 8. En substance, Mehdi Lahlou estime que le gap serait encore davantage aggravé si l'analyse portait plutôt sur la comparaison des ménages à revenus élevés (60.000 DH et plus), qui représentent une proportion très faible du total, avec les 5 ou 10% touchant le moins. Il peut même être visible à l'œil nu. Mais plus concrètement, et selon des données officielles, il est difficile encore de déterminer avec exactitude les écarts entre les classes du «haut » et celles qui touchent le plancher, tant les informations abondent sur les plus pauvres, mais pas concernant les plus riches. Au finish, en combinant le tout, l'on se rend facilement compte que les revenus moyens au Maroc restent encore faibles. Des classes moyennes plutôt qu'une Sur le plan de la distribution mensuelle des revenus des ménages, nous pouvons constater qu'elle est asymétrique, d'après les statistiques du HCP. Une majorité de ménages dispose en fait d'un revenu qui oscille dans une fourchette allant de 1.000 à 6.000 DH, ce qui donne plus précisément une part de 80% des ménages qui ont un revenu inférieur à 6.650 DH. Dans cette tranche, de l'avis d'observateurs, l'on retrouve une classe moyenne en train de « renaître». « Elle se fait lentement. Mais on le ressent. Cependant, il ne faut pas croire que cela soit le fruit des politiques économiques de l'Etat mais plutôt d'une dynamique de la société », précise Driss Benali, universitaire. Cette classe commencerait donc à se développer mais selon différentes strates. «L'enquête montre à juste titre qu'au Maroc, il n'y a pas une mais des classes moyennes caractérisées par une forte hétérogénéité du revenu moyen par ménage par mois », clarifie Samir El Jaafari, président de la Confédération des Associations des Consommateurs CAC-Maroc. Il existe la catégorie supérieure, qui représente 28 % du total et dispose d'un revenu mensuel dépassant la moyenne nationale, égal à 5.308 DH. La catégorie intermédiaire (42 %) a un revenu qui se situe entre la médiane (3.500 DH/mois) et la moyenne nationale. La catégorie inférieure (c'est-à-dire le premier palier des classes moyennes) qui représente 30%, dispose, elle, d'un revenu inférieur à la médiane. En dépit de leur relative importance numérique, les classes moyennes, ou les personnes qui les composent, n'exercent pas toutes une activité rémunérée : 48% sont des actifs occupés, 8,3% des chômeurs et 43,7 % des inactifs (femmes au foyer, étudiants, personnes âgées et infirmes, retraités et rentiers et autres). Qui s'endette ? Qui épargne ? Ces classes moyennes, elles, dépensent mensuellement et par ménage entre 2.848 et 6.850 DH. Un graphique illustre bel et bien leur mode de consommation. Dans la courbe qui représente la convergence des distributions des revenus et des dépenses des ménages réalisée par le HCP, plusieurs phases sont alors à relever (cf courbe). Les ménages dont le revenu est inférieur à 3.000 DH dépensent moins que ce qu'ils gagnent. « Moins on a des revenus limités et moins on a accès au crédit, donc moins on consomme », fait remarquer le co-fondateur de C&O Marketing. Avec un revenu d'environ 3.500 DH de revenus, les dépenses équivalent à peu près au niveau des revenus. Ce qui est gagné est déboursé. Par contre, dans la fourchette des revenus variant entre 3.500 à 6.500 DH, l'on remarque que les dépenses des ménages dépassent largement leurs revenus. C'est ici qu'on retrouve alors ces classes moyennes dont le revenu représente près de 44% des revenus des ménages marocains et 49% des dépenses de leur consommation. Cette classe moyenne recourt au crédit pour subvenir à ses besoins. Elle s'endette d'abord pour les besoins de la consommation courante (59 % des cas), ensuite pour l'immobilier (25,1 %) et enfin pour l'acquisition d'équipements ménagers et de moyens de transport (15,9%). « Mais ces valeurs varient à l'intérieur des classes moyennes, suivant le palier où se trouve chaque catégorie (inférieur, intermédiaire ou supérieur)», précise El Jaafari. Il ajoute que l'économie marocaine a en fait connu deux cycles d'inflation bien définis : un premier cycle de 1990 à 1995 où l'inflation s'est située au-delà de 5 % et un second de 1996 à 2007 qui oscillait autour de 2%. Paradoxalement, entre 1980 à 2006, le revenu national par habitant n'a connu qu'une multiplication par 3,6. Le pouvoir d'achat du SMIG a connu une érosion en dépit des augmentations nominales depuis 1990. « En effet, sous l'impact de l'inflation, le taux d'accroissement annuel moyen du SMIG se trouve rapporté de 5 % à seulement 1 %, soit un pouvoir d'achat en 2007 quasi-identique à celui de 1989. Partant du fait que les salaires réels n'ont pas connu une réelle augmentation, pendant presque deux décennies, on peut conclure que les dépenses annuelles par habitant s'établiraient au même niveau qu'en 2000-2001 (HCP, 2002), soit 8300 DH (moins de 700 DH mensuellement) avec un maintien du même écart entre les villes (10.600 DH) et les campagnes (5.300 DH)». L'endettement a donc représenté une issue de secours à une classe affamée de consommation. Pourtant, une étude de l'Association Professionnelle des Sociétés de Financement (APSF) révèle que 75 % des Marocains ont contracté un ou deux crédits à la consommation, et que 21 % parmi eux se trouvent dans l'incapacité de paiement. « S'il n'est jamais totalement justifié de dépenser plus qu'on gagne, il n'est pas justifié non plus de ne pas permettre aux ménages à faibles revenus de disposer d'un revenu minimal adéquat pour une vie vivable. Aussi, si les classes dont les revenus varient entre 2.000/3.000 DH et 5.000/6.000 DH dépensent-elles plus que ce qu'elles ne gagnent, c'est parce que plusieurs facteurs les obligent ou les incitent à le faire : manque de culture de gestion du budget familial, exigences liées à la pression sociale et familiale, arnaques des établissements de crédit à travers la publicité mensongère…», explique le président de CAC-Maroc. Chez ceux qui gagnent à partir de 9.000/10.000 DH, la tendance commence à se renverser. Leurs dépenses sont mêmes inférieures à leurs revenus. Cela traduit une chose. C'est qu'à partir de ces niveaux-là, ces ménages peuvent commencer à songer à l'épargne. A partir de 45 ans, vous êtes au-dessus de la moyenne Au vu des résultats de l'enquête menée par le HCP, peut-on en conclure que les Marocains gagnent mieux leur vie? C'est probablement le cas pour une catégorie socioprofessionnelle (hauts fonctionnaires, entrepreneurs, patrons de grands groupes…). Il n'en est cependant pas de même pour les petits fonctionnaires, les petits agriculteurs, les Marocains sans revenus fixes ou incertains… « L'étude révèle une inégale répartition des richesses. 65% des ménages appartenant aux classes moyennes et modestes déclarent que leur niveau de vie s'est amélioré ou a stagné entre 1997 et 2007, alors que cette proportion est de 77% dans les classes aisées », souligne El Jaafari. Les données de l'enquête le confirment. Le revenu mensuel moyen des ménages varie en effet selon la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage, ce qui est normal. Ainsi donc, les directeurs d'entreprises, les hauts responsables publics, les professions libérales…, ramènent à leur ménage 19.903 DH. Alors que les cadres moyens ou les financiers… ramènent un montant de 8.127 DH, les retraités et femmes au foyer… de 5.042 DH et les ouvriers… de 3.050 DH. Les inégalités de revenus se font également ressentir dès lors où les niveaux de scolarisation du chef de ménage diffèrent. Ainsi, celui qui bénéficie d'un niveau d'enseignement supérieur permettra à son ménage de disposer d'un revenu de 9.000 DH de plus que celui qui n'a aucun bagage scolaire. L'âge aussi est un facteur déterminant dans la détermination des niveaux de gains. En début de carrière, un ménage ne gagne forcément pas trop d'argent. Le revenu du chef du ménage qui a entre 15-24 ans va s'établir à 3.244 DH, alors que celui de 25-44 ans s'établira à 4.595 DH, de 46-59 ans à 5.826 DH et de 60 ans et plus à 5.620 DH. Conclusion : ce n'est qu'à partir de 45 ans que le revenu devient supérieur à la moyenne nationale. « Le fait que les chefs de ménage qui ont plus de 40 ans gagnent mieux leur vie s'explique peut-être par le fait qu'ils en sont à un stade plus avancé de leur carrière, que leur entreprise commence à dégager plus de gains, que les lieux de commerce sont amortis…. A partir de cet âge là aussi, les chefs de ménage cherchent d'autres revenus pour arrondir leurs fins de mois en ayant un double emploi ou en faisant des bricoles. Par contre, pour les moins de 30 ans, cela s'explique par le fait qu'ils sont en début de carrière», explique Soumia Naâman Guessous, la sociologue. Une autre inégalité se fait jour cette fois-ci entre les sexes. Les ménages dirigés par les hommes ont des revenus plus élevés que ceux dirigés par les femmes, «mais ils sont de plus grande taille», précise Mekki Bennani. Et de poursuivre: « le revenu par tête est quasi similaire ». Pour la sociologue, «si les hommes chef de ménage ont un meilleur revenu que les femmes, c'est parce qu'ils sont plus scolarisés, qu'ils bénéficient de la formation professionnelle… Ils sont aussi davantage experts dans l'art de la débrouille », confie Guessous. Meilleurs revenus en changeant de politique économique L'enquête sur les revenus des ménages a fourni son lot d'informations. C'est un début de travail qu'il sera nécessaire de peaufiner pour davantage renseigner sur les gagne-pain des ménages. Maintenant, chacun sait quelle place il occupe et ce qu'il représente. Ils sont nombreux à croiser les doigts pour que leur situation ne se détériore pas. Les plus vulnérables (notamment) sont dans la ligne de mire. La Banque Mondiale les classe selon la dépense par tête, qui se situe entre le seuil de pauvreté relative et 1,5 fois ce seuil. Le taux de vulnérabilité (urbain et rural) est passé de 17,3% en 2004 à 17,5% en 2007. Et encore une fois, c'est dans le milieu urbain que la progression est la plus importante. C'est qu'à la campagne, des « progrès » ont été réalisés. Pour Driss Benali, « l'impact de la lutte contre la pauvreté commence à porter ses fruits. La campagne progresse plus vite que l'urbain. La ville a été ruralisée et a hérité des problèmes de la campagne ». Le niveau de vie de certaines classes s'améliore donc. Mais l'Etat doit, selon l'universitaire, fournir davantage d'efforts, notamment en matière d'amélioration de la cohésion sociale. «Il doit s'attacher à booster la demande interne en adoptant par exemple une politique de distribution adéquate à côté de la politique de croissance qu'il mène. Elle peut passer par exemple à travers la révision de la politique fiscale, de la formation, de l'emploi…», poursuit-il. A cet effet, signalons que dans le cadre de l'évaluation des impacts des politiques publiques sur la pauvreté et les inégalités, le Haut Commissariat au Plan a réalisé quelques simulations de quelques politiques économiques (fiscale et d'investissement) qui auraient, si elles étaient instaurées, un impact, entre autres, sur les revenus. Quatre hypothèses ont été étudiées. La première consiste à réduire l'impôt sur les revenus de 20%, la deuxième à baisser de 50% la TVA sur les produits agro-alimentaires, la troisième à augmenter de 10% l'investissement global par rapport à l'année de référence de 2007 (soit l'équivalent de 20 milliards de DH) et la quatrième à accroître le stock du capital du secteur agricole. Leur impact a été mesuré sur le plan macro-économique mais aussi micro-économique. Selon Khellaf Ayache, du HCP, les niveaux de vie des classes de ménages dans toutes les simulations seraient améliorés sauf dans le cas de l'hypothèse d'une baisse de l'IR où la classe des modestes connaîtrait une légère détérioration de sa consommation en volume. Mais de manière générale, le troisième scénario (augmentation de l'investissement) permettrait à toutes les couches sociales d'améliorer leurs revenus, et plus particulièrement la couche modeste. Le taux de progression de ses revenus serait de 4,8% contre 4,3% pour la classe moyenne et la classe aisée. Dans les autres schémas, les progressions variaient seulement de 0,08% à 1,6%. « L'augmentation de l'investissement global et l'amélioration des capacités productives seraient favorables à une ascension sociale du bas vers le haut, accompagnée par un élargissement de la classe des ménages moyens», fait remarquer Ayache. Voilà des pistes qui pourraient constituer le début d'un débat national. Ahmed Lahlimi, Haut Commissaire au Plan Comment les Marocains jugent-ils l'évolution de leurs revenus, de leur niveau de vie, de leur pouvoir d'achat ? Ahmed Lahlimi : Il y a la réalité et il y a la perception. L'une, pour une fois, rejoint l'autre. Le revenu disponible par habitant a augmenté de 4% par an entre 1998 et 2007. Avec un taux d'inflation en moyenne de 1,7% par an, le pouvoir d'achat des ménages s'est, globalement, amélioré de 2,3%. Au cours de la même période, plus des deux tiers des ménages considéraient que leur niveau de vie s'était amélioré ou avait stagné contre la moitié entre 1991 et 2001. Et qu'en est-il des conditions de vie ? Globalement, les conditions de vie de la population se sont améliorées de façon significative aussi bien en termes de niveau et de qualité de la dépense qu'en termes d'accès aux commodités de la vie moderne et aux services sociaux de base. Les dépenses de consommation des ménages en termes réels ont augmenté de 3,2% par an entre 2001 et 2007. Dans ces dépenses, la part consacrée à l'alimentation baisse, alors que la qualité de celle-ci s'améliore. Avec l'émergence de nouveaux besoins tels que les transports et communication ou encore les loisirs, la tendance générale va dans le sens d'une modification du profil traditionnel de la consommation. La proportion des ménages équipés de biens durables augmente, par ailleurs, de façon remarquable. Il suffit de relever qu'en milieu rural, par exemple, la proportion des ménages équipés en réfrigérateurs a été multipliée par cinq, par deux pour le téléviseur et par sept pour la parabole. Cette évolution bénéficie, bien entendu, des progrès réalisés en matière d'électrification, aujourd'hui quasi généralisée en milieu urbain et en voie de généralisation en milieu rural. Les niveaux de revenus renseignent aussi sur la capacité des ménages à épargner. Combien les Marocains épargnent-ils en moyenne ? Qui épargne le plus ? Avec un revenu disponible des ménages en augmentation de 5,3% par an, le taux d'épargne a marqué un saut important en 2001, s'établissant à 21,2% contre 11% en 2000. Au cours de la période 2001 à 2006, ce taux a oscillé entre 19% et 21,2% pour se situer à 16,6% en 2007. Le niveau de l'épargne en 2007 s'explique notamment par la faible croissance économique enregistrée en 2007, due aux mauvaises conditions climatiques ayant prévalu au cours de la campagne agricole 2006-2007. Par ailleurs, il ressort de l'enquête de 2007 que la plus forte propension à épargner caractérise les catégories des ménages les plus aisées, où le taux d'épargne est de quelque 28% ainsi que la catégorie supérieure des classes moyennes où ce taux est de l'ordre de 8%. Les classes moyennes inférieures et intermédiaires sont plutôt dans la logique d'un équilibre entre revenus et dépenses avec des recours, comme les catégories sociales modestes, à l'endettement pour assurer leur subsistance et faire face aux dépenses autres qu'alimentaires. Les transferts représentent-ils une grosse part dans les revenus ? D'où proviennent-ils? Qui en bénéficie le plus ? D'après l'enquête sur les revenus et les niveaux de vie, les transferts représentent, globalement, 13% du revenu des ménages. Les transferts sociaux d'origine publique représentent 4,7%, ceux provenant des ménages résidents 3,3%, et ceux provenant des ménages non résidents, 2,9%. Qui en bénéficie ? Cela dépend du type de transfert. Par exemple, les transferts sociaux provenant des organismes publics bénéficient principalement aux ménages urbains alors que ceux provenant des ménages résidents profitent plus à la population rurale. Vous avez établi le revenu moyen à 5.300 DH alors que le médian est de 3.500 DH. Lequel est le plus fiable ? Il s'agit des revenus nets. La moyenne comme indicateur du niveau des revenus est surévaluée, du fait qu'elle est tirée vers le haut par les revenus les plus élevés. La médiane, qui représente la valeur du revenu autour de laquelle la population se répartit en parts égales, est insensible aux valeurs extrêmes. Elle est considérée comme plus significative de la distribution réelle des revenus. C'est pour cela d'ailleurs que nous nous sommes basés sur cette dernière et non sur la moyenne dans notre étude sur la stratification sociale dans notre pays. Est-ce qu'on vit bien avec ce niveau de revenu? Le vivre bien est une notion subjective bien entendu. Il dépend du niveau du revenu certes, mais aussi du modèle de consommation et des mutations qu'il connaît en fonction de l'évolution des valeurs de la société et de son ouverture sur le monde extérieur. Ceci étant, l'enquête de 2007 indique que pour 60% des ménages, les dépenses de consommation excèdent, en moyenne, les revenus de 1144 DH par mois et qu'ils recourent, pour combler ce gap, à l'endettement (dont le taux est de 32%) aussi bien auprès de sources institutionnelles qu'informelles. On vit comme on peut mais sûrement toujours pas comme on veut. Dans la distribution des revenus, la tranche des revenus situés entre 900 et 2900 dirhams est la plus prépondérante. Comment l'expliquer ? Effectivement, ce qu'on appelle dans le jargon statistique le mode se situe dans cet intervalle qui concentre 34% de la population. La moyenne qui se trouve à la droite de cet intervalle de revenus est bien entendu plus élevée, elle est de 5308 DH. Estimez-vous normal que 20% des ménages qui disposent des revenus les plus élevés s'accaparent 52,6% de la masse totale des revenus ? Dans tous les pays vivant dans une économie de marché, la croissance crée des richesses qui, même quand elles profitent à tout le monde, ne réduit pas toujours, quant elle ne l'accroît pas, les inégalités sociales. Ceci se vérifie au Maroc également où, en 1998 et 2007, toutes les catégories sociales ont amélioré leur niveau de vie sans pour autant que les inégalités ne se réduisent. Elles sont restées pratiquement les mêmes alors que la pauvreté a baissé de 16% à 9%. Le tiers des ménages constituant les catégories modestes de la population ont amélioré leur niveau de vie de 2,6% par an, les classes moyennes de 2,2%, alors que les catégories aisées de 3,8%. Quelle normalité revêt ce niveau de concentration? Il est difficile de répondre à cette question s'agissant d'une économie en émergence dans un contexte de mondialisation. En Afrique du Sud, par exemple, les données d'une enquête similaire montrent qu'en 2006, 10% de la population détient plus de 50% des revenus. La crise économique et financière mondiale va-t-elle à votre avis avoir un impact sur ces niveaux de revenus? La crise a un impact sur plusieurs secteurs de l'économie. En plus du tourisme, elle affecte les secteurs dont la production est destinée à l'exportation. Le marasme économique et le chômage qui sévissent dans les pays européens en particulier ne sont pas sans affecter les transferts de la communauté marocaine résidant à l'étranger. Tout ceci a évidemment un impact sur l'emploi et donc sur les revenus. 896.000 Marocains touchent plus de 20.000 DH Personne ne s'est encore vraiment penché sur la population la plus aisée du Maroc. On ne sait pas grand-chose d'elle. Mais progressivement, l'on apprend qu'à l'évidence, de par ses moyens, c'est elle qui épargne le plus et aussi… dont le niveau de vie s'améliore le plus (3,8% contre 2,2% pour une classe moyenne par exemple). L'enquête du HCP divulgue également qu'ils sont 2,8% de Marocains, soit environ 896.000, à toucher un revenu mensuel supérieur à 20.000 dirhams. Ils sont par ailleurs 8,7% à toucher un revenu compris entre 10.000 et 20.000 DH, 25% entre 5.000 et 10.000 DH et 63,5% de la population ont un revenu inférieur à 5.000 DH. Arrivé à ce stade, il faut savoir que 44,4% de ménages ont un revenu inférieur à 3.500 DH. Une « misère ». 7.000 DH pour vivre décemment Quel est le niveau de revenu d'un ménage marocain lui permettant de vivre décemment ? La réponse dépend de plusieurs facteurs : lieu de résidence (urbain ou rural), nombre de personnes à charge…. Pour la sociologue Soumia Naâman Guessous, un revenu de 5000 dirhams est dérisoire pour couvrir tous les besoins d'une famille qui a deux enfants à charge par exemple. Les parents souffrent aujourd'hui parce que leur budget, infime, ne leur permet pas de réaliser les ambitions qu'ils ont pour leurs enfants : bien les loger, les nourrir, les scolariser… «Une famille qui a un revenu de 5000 dirhams est donc pauvre », affirme la sociologue. Pour Samir El Jaafari, président de la Confédération des Associations des Consommateurs (CAC- Maroc), le revenu moyen de 5.300 (ou 3.500 DH, qui est le revenu médian), ne peut pas correspondre à la réalité des revenus de la grande majorité des ménages ruraux ni à la réalité des revenus d'une frange importante de petits et moyens fonctionnaires dont le salaire ne dépasse pas le SMIG. « Pour pouvoir mener une vie décente, un ménage (un couple avec 2 enfants) doit avoir un revenu mensuel minimum de 7.000 DH. Avec un revenu moyen de 5.300 DH, un ménage urbain peut juste assurer ses besoins alimentaires nécessaires et quelques dépenses de santé et d'éducation, et encore faut-il ne pas devoir payer de loyer (logement fourni par la famille …). En milieu rural, un tel revenu peut assurer une vie plus décente si son titulaire dispose d'autres sources d'autoconsommation ». Saïd Saâdi, économiste La croissance ne profite pas à tout le monde « Mes réactions à chaud. Je me réjouis que l'on puisse s'intéresser à la problématique de concentration des revenus au Maroc. C'est un pas en avant qui nous permet d'avoir une meilleure connaissance des groupes et des classes sociales. Ceci étant dit, j'ai quelques commentaires à faire, d'abord sur la méthodologie. Si j'ai bien saisi, les informations collectées l'ont été à travers les déclarations des revenus des sondés. C'est une méthode qui n'est pas infaillible, car il y a des effets planchers et des effets plafonds dans les réponses. Les riches ont tendance à minimiser leurs revenus et les pauvres à les maximiser. Mon deuxième constat porte sur la forte concentration des revenus. 20% des ménages qui disposent des revenus les plus élevés s'accaparent 52,6% de la masse totale des revenus, alors que les 20% qui ont les revenus les plus faibles se partagent 5,4% de la masse totale des revenus. Il faut déduire toutes les conséquences et les implications en matière de rééquilibrage de la distribution des revenus et des politiques économiques. Ceci démontre aussi que la croissance économique (qui s'est améliorée ces dernières années) a été incapable de créer des retombées sur l'ensemble des couches sociales. Tout le monde n'a pas profité de la croissance. Cette concentration doit donc interpeller les pouvoirs publics, notamment en matière de politique fiscale, de transferts sociaux… Mon troisième commentaire porte sur la part du salariat dans les sources des revenus. Les revenus des ménages proviennent des salaires et autres rémunérations à hauteur de 39%. Dans les pays développés, cette proportion est de l'ordre de 70%. Ce stade de développement du salariat au Maroc démontre les problèmes que nous avons à nous intégrer dans une économie moderne ».