L'enquête menée par l'équipe de Lakome sur la liste des bénéficiaires d'agréments de carrières, publiée récemment par le gouvernement, montre d'abord une évidence : les copains et les coquins du régime en profitent allègrement. Pour ne rien arranger, la quasi-totalité des entreprises dont Lakome a pu consulter les comptes ne déclarent pas de profits. Elles ne paient donc pas d'impôt sur les bénéfices. Une étude attentive de leurs comptes révèle le genre d'anomalies qui feraient le bonheur de n'importe quel scrupuleux inspecteur des impôts. On découvre aussi la présence parmi les détenteurs d'agréments, de sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux dont les actionnaires, forcément anonymes, échappent de fait au fisc marocain. Pour compléter le tableau, il s'avère que certaines de ces sociétés sont alliées à des proches du palais dont un membre du secrétariat particulier du roi. Une révélation qui souligne jusqu'à la caricature la corruption du système. En fait, l'enquête recèle trois autres enseignements majeurs. C'est une liste digne d'une « république » bananière, preuve d'une administration publique scandaleusement défaillante. C'est une liste tellement mal ficelée qu'on se demande si tout cela n'a pas été orchestré de connivence avec le ministère de Rabbah pour rendre sa publication inoffensive. Parmi ses innombrables anomalies, des sociétés bénéficiaires d'agréments toujours en cours de constitution, d'autres même pas inscrites au registre de commerce, des sociétés aux dirigeants inconnus et on en passe et des meilleurs. Cette constatation n'est ni anodine ni surprenante. Elle n'est pas anodine car elle contredit dans les faits l'un des arguments principaux des tenants de la constitution actuelle. Ceux-ci justifient le maintien de l'autoritarisme sous la forme d'une institution monarchique qui ne rend pas de comptes malgré ses larges prérogatives, par la nécessité d'un Etat fort. Un Etat qui servirait les intérêts suprêmes de la nation parce qu'immunisé des bassesses politiciennes et des chicaneries partisanes, parce qu'hors de portée de la volonté d'une populace encore trop immature pour choisir ses propres dirigeants politiques. L'étude attentive de la liste montre pourtant que cet Etat largement contrôlé par la monarchie et ses alliées, est médiocre, incompétent. Cette constatation n'est pas surprenante non plus car l'autoritarisme ne peut s'accommoder de l'application scrupuleuse des règles de droit qui gouvernent le fonctionnement d'un Etat réellement fort. Le droit, en l'occurrence, n'est pas ce que le texte écrit et voté dit, c'est ce que le gouvernant et ses affidés décrètent sur le moment. C'est cette vérité que l'on énonce chez nous en ânonnant le sempiternel : « la loi est bonne mais elle est mal ou pas appliquée ». C'est une situation inscrite dans l'ADN du système. Elle n'est pas le résultat de l'incompétence de quelques fonctionnaires. Ces derniers mois ont d'ailleurs démontré qu'il existait au sein de l'appareil de l 'Etat des fonctionnaires à la fois compétents et honnêtes. Les juges de la Cour des comptes ont produit ces deux dernières années des rapports qui honorent leur mission. Ce n'est pas leur faute si, par exemple, rien n'a été fait contre ce chouchou du régime qu'est Anas Sefrioui, PDG d'Addoha, alors qu'ils avaient souligné les passes-droits dont lui a fait bénéficier le gendarme de la bourse, le CDVM. Ce n'est pas non plus leur faute si l'agence de presse de l'Etat, la MAP, continue à insulter l'intelligence des marocains en produisant de l'information «nord-coréenne» alors que les juges de la Cour des comptes en ont courageusement dénoncé la gouvernance. Autre exemple, ce sont des cadres et ex-cadres du ministère des finances qui ont sorti l'affaire Bensouda/Mezouar et leurs primes indues, qui ont exposé le système des « caisses noires ». Ce sont là des cas qui montrent bien que le problème ne réside pas dans la technicité ni l'honnêteté des agents de l'Etat. Le problème réside dans un système qui pour se perpétuer a besoin de générer de la mauvaise gouvernance. Le deuxième enseignement de cette enquête a trait à l'affaire du Sahara. L'une des accusations éculées mais toujours abondamment utilisées par le régime pour discréditer ses opposants est de les accuser de trahir la « cause nationale », d'affaiblir la patrie dans sa lutte pour parachever son intégrité territoriale. Notre enquête permet de lui retourner la politesse. Les sociétés bénéficiaires d'agréments domiciliées au Sahara sont soit les moins transparentes de la liste publiée par le ministère de l'équipement, soit appartiennent à des potentats locaux alliés du Makhzen. Les indépendantistes ne pouvaient espérer mieux pour renforcer leur argument de nation spoliée par un Etat colonial, et mafieux qui plus est. Le dernier enseignement majeur de cette enquête porte le nom d'une commune : Ain Tizgha. A l'image du pays, c'est une commune riche en ressources mais pauvres en services communaux pour cause de corruption et de prébendes. Un rapport récent estime que la commune ne perçoit que 30% du montant des recettes de la taxe sur l'exploitation des carrières qu'elle aurait dû percevoir s'il n'y avait pas fraude. Car les détenteurs d'agréments pistonnés fraudent. Et c'est bien parce qu'ils sont pistonnés qu'ils peuvent aisément frauder. Ces 30 % perçus correspondent à 5 Mdh. Le montant additionnel auquel peut prétendre la commune s'il n'y avait fraude serait donc de 11,7 Mdh. Sachant que son budget annuel total est de 16 Mdh, une gouvernance saine libérée des scories de l'économie de rente lui permettrait d'augmenter ses recettes de plus de 70%. Voilà une petite commune qui sans être des plus démunies du pays est loin d'être des plus riches. Une commune dont une grande partie des habitants vivent encore d'agriculture vivrière, et qui voit ses ressources pillées dans des proportions faramineuses. Voilà un régime qui multiplie les opérations ostentatoires de charité, à travers notamment les actions de la fondation Mohammed V et son grand show de la campagne de solidarité nationale, alors qu'il perpétue un mode de gouvernance qui dépouillent les marocains de ressources qui leur reviennent de droit.