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Occasion manquée
Publié dans Lakome le 30 - 06 - 2011

Cette constitution, comme ses précédentes, établit le tutorat de la monarchie sur le peuple marocain. On connaît l'argument. Le peuple marocain n'est pas assez mûr pour accéder à la démocratie. Il a besoin d'être cornaqué, mené vers cette terre promise des hommes libres qu'est la démocratie véritable. Sauf qu'accepter cet argument et appeler à voter cette constitution est contradictoire. Demande-t-on à un mineur s'il a besoin d'un tuteur? N'est-il pas contradictoire de juger un peuple incapable de choisir, de contrôler et de sanctionner les véritables dépositaires du pouvoir, et lui demander en même temps de se prononcer sur un document aussi vital que la constitution?
L'argument le plus sérieux en faveur de cette constitution est celui du gradualisme. Selon cet argument, la nouvelle constitution est un bon premier pas vers un système démocratique accompli. Le texte répondrait à une volonté de changement en douceur et éviterait un changement trop brusque susceptible de déstabiliser le pays. Séduisant en apparence, cet argument ne tient pas pour plusieurs raisons.
Si la condition principale pour entamer des changements constitutionnels est de le faire dans une atmosphère pacifique et apaisée, qui nous garantit que l'on aura à l‘avenir des conditions aussi apaisées, un mouvement démocratique aussi mobilisateur tout en étant pacifique et articulé pour faire évoluer les institutions du pays vers plus de démocratie?
Cet argument présuppose que les détenteurs du pouvoir, la monarchie et ses réseaux d'intérêts politiques et économiques, vont abandonner leurs prérogatives alors que rien, si ce n'est leur propre volonté de démocratisation, ne les y oblige. C'est une vision pour le moins naïve de la chose politique. Et d'abord, n'est-ce pas sous la contrainte des révolutions tunisienne et égyptienne, la mobilisation populaire autour du mouvement du 20 février, que la monarchie a consenti à entamer le processus de réforme constitutionnel? Le roi aurait-il fait le discours du 9 mars sans toutes ces conditions? Quel genre de crise devrons-nous attendre pour que les détenteurs de l'autorité soient assez faibles pour accepter de changer la constitution? N'est-ce pas cela jouer avec la stabilité du pays?
Enfin, admettons que le peuple soit mineur, quid du tuteur? Est-il qualifié pour prendre en charge, sans répondre de ses actes, l'avenir d'un peuple ? Ce tuteur, ces élites au pouvoir, nous ont donné une croissance économique qui n'était guère meilleure que celle atteinte par les régimes de Benali et de Moubarak. Ce tuteur a laissé la corruption corroder un peu plus l'Etat. Ces élites au pouvoir se sont enrichies en exploitant leurs prérogatives politiques. Sous l'égide de ce tuteur, la situation de la liberté de la presse est pire aujourd'hui qu'elle ne l'était en 1999. On a abusé des outils de l'Etat pour faire taire la dissidence sous ce tuteur. On a torturé sauvagement sous l'autorité de ce tuteur. L'administration fiscale est devenue un outil de répression des réfractaires à la gouvernance de ce régime.
Ce tuteur est-il qualifié pour qu'on lui accorde les pouvoirs religieux exorbitants que cette constitution lui octroie? Ceux qui espèrent qu'il n'en abusera pas ont déjà eu leur réponse: La campagne en faveur du oui dans les prêches de la prière du Vendredi et la mobilisation de la Tariqa Boutchichiya. Et puis, elle est belle l'élite «religieuse» qui soutient la constitution. Un conseil des oulémas qui a toujours pris parti pour le régime, n'a jamais dénoncé ses exactions. Des prêcheurs vedettes qui autorisent le mariage des petites filles de neuf ans (maghraoui) ou encore la nécrophilie (Zemzami), ou enfin un Benkirane qui redevient le Takfiriste qu'il n'a probablement jamais cessé d'être.
Que l'Islam soit dans la constitution est acceptable lorsque l'on sait qu'il constitue un élément structurant de la vie d'une grande majorité de Marocains. Mais quelle insulte pour cette belle religion qu'on la prenne comme prétexte à l'autoritarisme!
Il faut lire et relire cette constitution pour mesurer à quel point ce texte, censé être notre contrat social, notre ciment, le lien qui consacrerait notre volonté de vivre ensemble, CONSACRE plutôt l'autoritarisme. Ce texte reconduit les principes médiévaux d'une monarchie de droit divin qui règne et gouverne. La nouvelle constitution parle de reddition de compte. Mais qui rend des comptes? Pas l'institution qui contrôle directement ou indirectement toutes les institutions de l'Etat: la monarchie. Elle parle de séparation des pouvoirs. Sauf que tous ces pouvoirs sont contrôlés directement ou indirectement par cette même monarchie.
Mais ce texte ne fait pas que consacrer l'autoritarisme: Il est malhonnête. Il ressemble à ces polices d'assurance qui vous promettent monts et merveilles, et lorsque l'accident survient et que vous souhaitez collecter votre dédommagement, vous vous rendez compte que vous n'aviez pas lu le texte en petits caractères en bas de page. En fait, vous n'aviez pas droit à grand chose.


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