Plus vitale que l'accès des marocains à la santé et à l'éducation, plus indispensable que leur sentiment de sécurité sur la voie publique, plus importante que la préservation de notre patrimoine culturel, l'image du Royaume à l'échelle internationale a été érigée au stade de sacralité intouchable, qui mobiliserait à elle seule, et pour elle seule, tous les efforts de la Nation. Il en va non seulement de notre fierté nationale - péché mignon des peuples vaniteux - mais aussi de notre économie, depuis que l'on a décidé que notre pays est le plus beau d'entre tous, et que tous les habitants de la planète rêvent secrètement de venir s'enquérir d'eux même de notre pittoresque indice de développement humain, résolvant au passage nos problèmes de réserves de devises et ceux du chômage. Jaloux de la sagesse et de la justesse du choix de ce modèle de développement, nombreux sont ceux qui s'appliquent avec cette rigueur que seule une profonde haine est capable d'animer, à ternir l'image du pays et à couvrir de leur crasse grossière le rayonnement délicat de notre civilisation. A cette vile tache s'attellent, chacun à sa manière, Human Righs Watch, le présent journal, Aminatou Haidar, Reporters Sans Frontières, la météo, le parlement suédois ainsi que le facteur humain. Mais le véritable ennemi n'est pas celui qui se bat à terrain découvert, là où il peut être défait par la seule force de notre patriotisme. Le véritable ennemi, mes chers frères marocains, est du même sang que nous. Le véritable ennemi se cache honteusement parmi nous, se fait passer pour nous, agit avec les moyens de l'Etat, au nom de l'Etat (ou presque) dans le but ultime de faire de notre pays une bouffonnerie dont rient grassement et concert les autres nations. Le plus insidieux de ces ennemis n'est autre que le brillant Brahim Fassi Fihri. Diplômé auprès de son père, le jeune Brahim s'est lancé dans une aventure intellectuelle d'envergure, qui aurait pour but apparent de permettre à l'intéressé de marcher dans la rue tu vois, et de dire [qu'il] est président d'un "tingtang", et tout de suite ça claque et le mec il vous prend a sérieux tu vois.* De plus, le tingtang en question organise un évènement unique dans la région, l'équivalent d'un Davos du Sud, qui participerait au rayonnement du Maroc, donc à son tourisme, donc à son développement. Vu ainsi, on ne peut qu'applaudir vaillamment le courage et l'audace de jeune compatriote au service de la Nation et de ses intérêts suprêmes. Mais qu'en est-il des véritables intentions de M. Fassi Fihri ? Une prestation peu brillante de ce talentueux compatriote au JT de la deuxième chaîne nous a mis la puce à l'oreille. On y voit Brahim balbutier quelque platitude, trébucher sur chaque mot et ne se relever que pour sombrer à nouveau dans ce qui semble être une mélasse boueuse de vains et incohérents propos malgré toute la bonne volonté du journaliste qui l'interviewait. A l'époque, cette performance n'avait suscité que quelques moqueries restées, fort heureusement, confinées à l'intérieur du territoire national. Mais qu'en est-il de ses allocutions publiques lors des évènements internationaux ? La présente officine a déniché cette harangue du jeune mais factice héros lors - tenez-vous bien - du Newyork Forum of Africa, autant dire devant le monde entier. On y voit un boutonneux étouffant dans un costume trop cher, à la manière d'un jeune étudiant en marketing qui se présente pour la première fois à entretien de stage, s'avancer faussement confiant en face d'une audience intriguée par son âge. Soudain, on ne sait par quel miracle, le jeune stagiaire rajeunit pour se métamorphoser en élève de collège, présentant un travail plagié plusieurs fois depuis cinq promotions, haletant, la voix indécise, assénant à tout va l'interjection "euh"et s'approuvant ses phrases en pointant, que dis-je, en se retournant carrément vers ses slides qu'il cache de son corps juvénile. Parfois, on entend le pauvre soulager le fardeau de sa respiration qu'il retient chaque fois trop longtemps sur le microphone. En somme, ce que nous voyons n'est pas un piètre orateur, loin de là, mais une performance caricaturale à but pédagogique de ce qu'il ne faut surtout pas faire lors d'un discours. Et puis, soudain, le powerpoint argumentatif de l'orateur disparaît de l'écran. Incapable d'improviser quelques phrases avant de se retirer honorablement, il se fait chasser de la tribune par la modératrice, et entame alors une interminable retraite ridicule vers l'ombre de la salle sans que personne ne semble le regretter. La caricature est à ce stade parfaite. Or, ce que l'on serait tenté de qualifier de médiocrité oratoire et intellectuelle n'en est pas une. En vérité, Brahim Fassi Fihri est un génie, le plus brillant de sa génération. Il agît sciemment de la sorte, maîtrisant parfaitement sa locution et sa gestuelle, pour paraître le plus ridicule possible. Porte-parole de ses compatriotes le temps d'un discours, il nous fait tous passer pour des bouffons, des gugusses, des imposteurs, des clowns, devant le monde entier. En vérité, il n'a nulle intention de marcher dans la rue, tu vois, et de dire qu'il est président d'un "tingtang", et que ça claque, loin de là. Sa seule volonté est de venir à bout de notre fierté nationale, que nous ayons honte d'arborer notre passeport marocain à l'étranger, car Brahim Fassi Fihri possède le même document. Et cela, il l'a réussi. Incontestablement. * La citation est en substance véridique.