Au moment où tous les observateurs prédisaient une ruée des partis politiques marocains vers le PJD, celui-ci vient de perdre (à jamais ?) son allié potentiel, le PI en l'occurrence. Il est loin le temps du communiqué tripartite entre PI, PJD et Mouvement Populaire. L'histoire d'un désamour. L'information sur un tir sans merci de la part de Abbas El Fassi sur les islamistes du PJD est un fait qui fera sûrement date. Au cours des débats, parfois houleux et sans complaisance qui ont marqué les travaux du conseil national la semaine dernière, le secrétaire général du PI a définitivement rejeté toute alliance avec les pjdistes. Une tendance bien réelle au sein de la plus haute instance du vieux parti nationaliste a, néanmoins, tenté de reposer le scénario. Que nenni !, a corrigé le chef de file. Un vieux routier du PI, tel Abdelkrim Ghellab, n'a pas su convaincre, en dépit de son aura et de son éloquence. L'ancien directeur de “Al Alam”, qui ne fait d'ailleurs pas un secret de sa fibre traditionaliste et de ses préférences islamistes, s'est vu répliquer que le choix stratégique du parti est au sein de la Koutla. Une manière de couper court à tous les débats sur le sujet. Mais également de répondre au secrétaire général des islamistes. Saadeddine Othmani avait justement exclu toute alliance avec le PI, tant qu'il est membre de la Koutla. Dans une interview fleuve, accordée à l'hebdomadaire parisien “Jeune Afrique”, le patron du PJD avait déclaré que l'alliance avec le Parti de l'Istiqlal n'est pas envisageable, tant qu'il siège au sein de la Koutla. En fait, ce qui a l'allure d'une position politique, presque anodine, est mal vu du côté des istiqlaliens. «Les gens du PJD se prennent pour des donneurs de leçons", a déclaré ce membre du comité exécutif du parti d'Allal El Fassi ; et d'ajouter : «Ils se comportent déjà en vainqueurs des prochaines élections et se permettent de dicter leur comportement à notre parti". Arrogance coupable ? Quoi qu'il en soit, le torchon brûle et les inimitiés ne dureront pas, selon toute vraisemblance, le temps d'un muguet de mai. Un signe parmi d'autres, le groupe parlementaire n'a pas hésité à attaquer le ministre istiqlalien en charge des Relations avec le Parlement et non moins membre du Comité exécutif du parti, Saâd Al Alami. Ce dernier est accusé par les islamistes de "bloquer" leur travail puisqu'il ne daigne même pas prendre leurs questions orales au sérieux. Retour En fait, entre le PJD et Saâd Al Alami, le désamour ne date pas d'hier. Déjà, une affaire similaire a éclaté l'année dernière, quand le ministre a pris à partie les élus barbus en les accusant de faire du clientélisme par le biais d'un moyen institutionnel. En clair, les députés, selon «Al Alam», posent des questions immédiates au gouvernement sur des cas individuels qui leur servent de clients électoraux. Une accusation qui a fait des vagues à l'époque. Depuis, le feu couve et le revoilà qui rejaillit. Par hasard ? Une chose est sûre : le hasard fait bien les choses. La protestation, par une lettre soumise au Premier ministre, tombe à point nommé. Le contexte de tension qui règne entre les deux partis est peut-être voué à faire long feu. Et pas nécessairement par volontarisme belliqueux. Les chemins du PI et du PJD, qui se sont un jour de novembre 2002 croisés pour barrer la route à un USFP bien déterminé à faire l'assaut de la Primature, risquent de marcher chacun de son côté. Pour le Parti de l'Istiqlal, les retrouvailles de la Koutla méritent bien une messe. D'ailleurs, Abass El Fassi l'a clairement déclaré lors de la conférence de presse tenue juste après le conseil national : le PI et l'USFP seront toujours ensemble. "Ensemble, a-t-il déclaré, pour le mieux ou pour le pire". En d'autres termes, on ira ensemble au gouvernement ou on n'ira pas . Les clauses de l'alliance, qui ont commencé par un mémorandum commun soumis au souverain au sujet de l'autonomie, se définissent de plus en plus clairement. Clarté qui a fait défaut lors de la constitution du deuxième gouvernement de l'alternance et qui a pénalisé les deux partis. On comprend mieux la tactique du PJD. Il fait justement miroiter une alliance alternative, en insinuant qu'il sera le gagnant. Plus, sans le Parti de l'Istiqlal, ses chances pour conduire le prochain gouvernement sont minces, et il ne risque pas de convaincre les autres grandes formations politiques. Un enjeu ? Même si rares sont les fois où il est soulevé, l'enjeu est celui de nature socio-électorale, ce qui explique une certaine émulation entre les deux partis se revendiquant du référentiel islamiste. Et l'Istiqlal et le PJD croient aux voix des franges traditionnelles dans la société ? Conscients du dilemme, ils jouent presque dans le même terrain. Le PJD, le cas échéant, peut s'avérer un redoutable concurrent pour le vieux parti nationaliste. Délimiter le champ d'action et les alliances, c'est, pour l'Istiqlal, une question tout aussi cruciale que la ligne de démarcation sera claire.