Encore un glouton, un dévoreur au sein de l'hémicycle. Il ne passe pas une semaine sans qu'on entende parler de ceux, parmi tous les pigeons voyageurs sortis des urnes, qui nous font sortir de l'indifférence. Lui, c'est Aberkan (dans le Rif, on prononce Aberchane), l'élu qui, sans crier gare, a fait sortir toute une famille à la rue. Droit devant la coupole où siègent ses pairs. Un exploit, dites-vous ? C'en est un, évidemment, car d'habitude, on n'arrive même pas à faire sortir un électeur de son logis, même pas une fois tous les six ans. Faire sortir quelque 42 citoyens, et du même sang, c'est vraiment une affaire de culot. De quoi s'agit-il en fait ? Les membres de la famille Haj Lahcen, dont la majorité passe ses jours dans l'Hexagone, ont dû faire le déplacement au pays pour s'indigner publiquement des faits et actes de Aberkan que l'on accuse de faire main basse sur leurs terres. Le député de Nador est accusé de s'être emparé de quelque deux cents hectares dans la région de Béni Boughfer. Une région, pour l'information, prisée par les Espagnols de Mellilia. Comme preuve, il n'hésite pas à étaler le titre de la conservation foncière et l'acte d'acquisition. Voilà donc pour l'histoire, Aberkan, lui, ne pipe pas mot. Personnellement, je le comprends, il n'est pas conseillé de parler la bouche pleine. En plus, un député, ça ne perd pas de temps. Occupé qu'il est par le sort de la démocratie, il ne doit pas être dérangé ou même chercher à se défendre ? Ces "trucs", on les laisse aux désœuvrés et traînards et autres pleurnichards. Un député, ça se tait quand tout le monde bat le haut du pavé. Lui, il bat des records. Il n'est pas du genre à se contenter d'une parcelle de terre, un lopin dans une ceinture périphérique puante ou déserte ; non, c'est là le choix de gens non ambitieux. Ces derniers temps, on ne parle justement que de notables politiques et députés ou chefs de partis qui cumulent les terres. Il devrait y avoir des trésors, sans doute, c'est ce que je me disais hier dans la nuit. Je n'arrivais pas à dormir, tellement je ne trouvais pas à quoi peuvent servir, par exemple, trois hectares à Oulmès, convoités et finalement acquis par Aherdane. Ou quelque quatre cents autres que Omar Boutaghwan a fini par acquérir. Je faisais tous les calculs possibles et il me restait toujours quelques dizaines de hectares… Tiens, pourquoi pas un terrain de foot ? Raté. Mon ami que je devais appeler tard dans la nuit, et j'en profite pour lui demander pardon, m'a rabattu le caquet. Va dormir, un terrain, c'est moins que ça. Je n'arrivais pas à dormir, mais je suis sûr que messieurs les députés se sont endormis comme des anges. Ils ont du zèle, les élus. Je pensais, entre autres, à une spécialité où les représentants de la nation, c'est-à-dire de toi et moi, ou encore tous ceux auxquels ils peuvent ravir des terrains, se surpassent. Nous ravir des voix pour nous ravir les quelques biens de la famille. Génial, avouez-le. Un député à Settat a, lui, "embrassé" mille deux cents hectares pour un prix dérisoire. Franchement, je me demande comment peut-on bâtir une école, par exemple, ou un hôpital, si on est à court de terrains. Je ne vois pas comment on peut le faire et, surtout, on ne peut pas donner, gracieusement, à un député de la terre fraîche et songer en même temps à la bigoterie de nos instituteurs, il faut choisir. Il paraît même que les dés sont jetés. Amen.