Michel Carlier, ambassadeur de Belgique au Maroc Alors que les uns crient hue, d'autres clament dia, et entre les deux discours le coeur balance. D'aucuns tiennent un langage sécuritaire qui veut que l'Europe soit une forteresse s'érigeant pour mieux s'accaprer les richesses, pour d'autres c'est une aire de prospérité partagée qui s'ouvre sur les autres peuples notamment méditerranéens. A l'issue de la visite du premier ministre, A. Youssoufi, à Bruxelles, l'ambassadeur de Belgique, lui, a adressé un signal fort dans nos colonnes pour nous conforter dans l' idée de l'ouverture. La Gazette du Maroc : On a souvent invoqué le fait que les relations économiques bilatérales entre le Maroc et la Belgique sont en deçà des rapports exceptionnels d'amitié et de respect mutuel auxquels les deux pays peuvent prétendre, que les coopérations économique, financière et commerciale actuelles sont en deçà des potentialités réelles des deux pays, qu'en pensez-vous? Michel Carlier: Les relations ont toujours été très étroites dans tous les domaines, politique, juridique, démographique même. Mais au plan économique et commercial, il est vrai qu'on peut certainement mieux faire. Les chiffres sont là pour attester du gap encore flagrant en la matière. La semaine dernière, lors de la visite de votre premier ministre à Bruxelles, nous avons évoqué cette question et tout le monde était unanime pour souligner le manque à gagner en matière de coopération. Comment caractérisez-vous le paysage économique des échanges entre les deux pays? D'abord les échanges commerciaux évoluent de manière lente. Je dois ajouter aussi que côté exportations vers le Maroc il y a plutôt une tendance au repli, c'est-à-dire qu'on vend moins. En revanche du côté marocain, les ventes sur le marché belge sont en croissance. Comment alors expliquer cette tendance lourde? Les produits qui se transforment en Belgique et se vendent à l'étranger, au Maroc notamment, sont très peu absorbés par le marché de celui-ci. La Belgique est certes un petit pays quasi-dépourvu de matières premières mais il y a une tradition commerciale et commerçante très importante, c'est ce qui explique notre capacité de rédéploiement en matière d'échanges commerciaux. Tout dépend donc d'une réactivation de la capacité d'absorption de votre marché. Pourquoi est-ce aujourd'hui seulement que vous vous évertuez à vous ouvrir plus et mieux, qualitativement j'entends, vers le Maroc? A cela plusieurs raisons pointent à l'horizon. Il y a d'abord le contexte européen qui veut que l'on resserre les rangs et les liens avec nos voisins d'Afrique du Nord pour en faire des partenaires à part entière. Par ailleurs, il existe des liens dans tous les domaines et on se demanderait pourquoi il n'y en aurait pas dans le domaine économique et commecial. L'objectif est donc d'essayer de les développer dans la mesure du possible. Il faut aussi mettre un bémol du côté de nos entreprises, nos exportateurs qui ne sont pas suffisamment actifs sur ce pays-ci. Notre tâche à nous les politiques est d'aider nos entreprises privées à mieux se défendre, à mieux prospérer pour faire en sorte que le secteur privé puisse être dans notre pays une source d'accroissement des richesses et non d'appauvrissement. En septembre dernier une mission économique belge s'est rendue au Maroc, le but étant de permettre aux opérateurs belges et à leurs homologues marocains de renouer des contacts et de saisir des opportunités d'affaires. Ont-ils pu débusquer des niches en prospectant le marché marocain? Des niches ils en ont trouvées dans des secteurs comme celui de la nouvelle économie, de la haute technologie et les nouveaux moyens de communication. Dernièrement, une société belge de services technologiques s'est installée au Maroc pour couvrir à partir de Casablanca la totalité de la région d'Afrique du Nord. Elle va permettre aux entreprises privées de bénéficier des nouvelles technologies. Le secteur de la chimie, par exemple, nous tient particulièrement à coeur pour entamer une coopération avec le Maroc. La tradition de notre pays en la matière est très importante et, c'est incontestable, une intéraction en la mmatière est très souhaitable entre nos deux pays. A l'issue de la visite du premier ministre marocain à Bruxelles, quelles sont les recommandations et résolutions économiques auxquelles sont parvenus nos deux pays ? Il faut d'abord mentionner les deux accords ratifiés dans le domaine du transport aérien et maritime. Ce sont des accords formels qui vont permettre d'encadrer les relations et les échanges entre les deux territoires en matière de transport aérien et maritime. Il a égalemement été question d'une nouvelle convention générale de coopération de développement économique. Il s'agit d'un accord cadre qui remplace le dernier qui est du même genre et qui datait de 1994. Ce dernier avait lui-même remplacé un accord de même nature ratifié en 1965. C'est pour vous indiquer la profondeur historique de nos relations et qu'au fil du temps cette coopération a changé de registre pour virer carrément vers le partenariat, que nous mettons en oeuvre aujourd'hui avec le gouvernement du Maroc dans trois domaines : le domaine de l'environnement, de l'eau et la santé publique. Dans le domaine social, il y a lieu de citer la visite chez vous, il y a deux ans, de notre ministre des affaires sociales, de l'emploi et de l'égalité des chances qui avait signé une déclaration commune avec votre ministre Abbas El Fassi. Depuis lors, pas mal de missions se sont échangées dans des domaines pointus, tels que le développement social, le dialogue social, l'inspection du travail, la médecine du travail, la formation de formateurs, l'appui aux ONG, l'appui aux projets de l'Agence pour le développement social, l'emploi et l'égalité des chances, la lutte contre le travail des enfants... L'objectif étant de contribuer à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Quels sont les atouts que le Maroc devrait capitaliser pour attirer l'investissement étranger et notamment belge? Il faut dire que le Maroc est en train de devenir un marché-cible car à n'en point douter les opérateurs s'y intéressent davantage. Plusieurs atouts pointent du nez aujourd'hui: stabilité politique, géographique, proximité linguistique, main- d'oeuvre encore bon marché. Il n'en demeure pas moins qu'il faut assurer à l'investisseur une plus grande sécurité juridique. Il faut mettre l'investisseur en confiance et les moyens à son investissement pour qu'il soit juridiquement protégé et économiquement incité. Donc, il faut créer des conditions du genre de celles que nous avons créées en Belgique après la guerre lorsque l'industrie lourde avait fait son temps et qu'il fallait trouver des investisseurs dans le tertiaire, dans des industries légères moins polluantes et moins lourdes. Il fallait créer les conditions juridiques et législatives d'attraction de l'investissement. Le Maroc est à la veille de devoir se plier à ce genre de réorientation du cadre de l'investissement. Comment envisageriez-vous l'avenir de la coopération entre le Maroc et l'Europe à la faveur d'une éventuelle homogénéisation de l'environnement de l'investissement entre le Maroc et l'Union européenne? La qualité et la fréquence des contacts entre les autorités et la communauté des hommes d'affaires marocains sont telles que je ne vois pas comment on ne peut pas aller de l'avant dans des domaines aussi variés que les infrastructures, les nouvelles technologies, les secteurs sociaux. Les voies et moyens existent, reste à fixer les priorités. Il n'en demeure pas moins qu'il y a des efforts à fournir de part et d'autre.