4 questions à Mohamed Kadri directeur des Régies et des Services concédés au ministère de l'Intérieur La Gazette du Maroc : La gestion des services publics a longtemps posé problème au Maroc. Quelles étaient les difficultés majeures ? Mohamed Kadri : Tout d'abord, il y a lieu de souligner l'insuffisance des ressources financières des collectivités locales pour faire face à la forte progression des besoins et à l'immense déficit accumulé en matière d'équipements urbains. En effet, la forte croissance urbaine, conjuguée à un important flux migratoire a engendré, au fil des temps, un décalage entre l'offre des services publics locaux et celle de la demande sociale. Par ailleurs, la mobilisation des moyens financiers externes, notamment pour des secteurs hautement capitalistiques, était pratiquement impossible pour des collectivités en charge des services publics locaux. De même, l'absence d'un cadre attractif pour encourager les opérateurs privés à intervenir dans un secteur où le temps de retour sur investissements dépasse généralement une décennie. D'où la nécessité de recourir à des solutions alternatives capables de rattraper les retards enregistrés notamment en matière d'assainissement liquide et d'améliorer la capacité des collectivités locales à répondre aux besoins pressants de l'urbanisation. Cependant, et après les premières expériences, certains problèmes ont été soulevés et ont principalement trait à l'absence d'un cadre juridique spécifique, aux difficultés rencontrées dans certains cas pour assurer un suivi régulier et efficace par le délégant, à la difficulté d'assumer la vérité des prix des prestations. L.G.M. : Le projet de loi relatif à la gestion déléguée des services publics vient d'être adopté. Il se veut attractif au niveau international. Répartit-il équitablement les risques importants liés aux projets de partenariats public-privé entre la puissance publique et son partenaire privé ? M. K. : La loi relative à la gestion déléguée des services publics établit les bases d'une répartition équitable des risques liés aux gestions déléguées et des droits et obligations des parties contractantes. Ainsi, l'article 4 de la loi dispose que les parties contractantes doivent veiller tout au long de la durée du contrat, particulièrement longue pour cette catégorie de contrats, au maintien de l'équilibre contractuel en tenant compte des impératifs du service public et de la juste rémunération du délégataire. À cet effet, des revues périodiques pour examiner l'état et les conditions d'exécution des contrats sont prévues pour garantir le maintien de cet équilibre. Les clauses tarifaires ou de rémunération doivent tenir compte, non seulement de l'équilibre financier de la gestion déléguée, mais aussi des gains de productivité, des économies découlant de l'amélioration de la gestion et du rendement du service public délégué qui bénéficie en fin de compte à l'usager. Concernant les droits et obligations, la loi soumet la partie publique délégante à des obligations au même titre que le délégant. Des sanctions et indemnités sont prévues pour sanctionner le manquement aux obligations contractuelles. À ce titre, les contrats de gestion déléguée doivent prévoir le principe et les modalités de l'indemnisation du délégataire en cas de non-exécution par le délégant de ses obligations ou de résiliation du contrat pour une raison non imputable au délégataire. De même, pour sauvegarder les intérêts du délégant, la loi prévoit la fin anticipée du contrat pour manquement aux obligations du délégataire, des pénalités pour retard dans la réalisation des investissements et pour dégradation de la qualité de service (coupures de fournitures, chutes de pression ou de tension, etc). L.G.M. : Croyez-vous que ce projet prévoie les instruments de contrôle suffisants au délégant, notamment en matière de respect des engagements contractuels ? M. K. : La loi traite de dispositions relatives au suivi, aux contrôles interne et externe de la gestion déléguée et au dispositif d'information à mettre en place et aux sanctions au manquement des obligations contractuelles. Les contrats de gestion déléguée doivent préciser les mécanismes et peuvent prévoir des structures dédiées au suivi et au contrôle de l'exécution du contrat. Le recours à ses instruments prévus par la loi et par les contrats de gestions déléguées devra permettre d'assurer un suivi et contrôle efficaces des gestions déléguées à même de garantir la réussite de ces gestions et l'atteinte des objectifs. Toutefois, le renforcement des capacités des structures chargées du suivi et du contrôle devra également contribuer à l'amélioration des conditions d'exécution des contrats de gestion déléguée. L.G.M. : Avec l'adoption du projet de loi relatif à la gestion déléguée des services publics, l'arsenal juridique en matière de passation et d'exécution des contrats a été renforcé. Cela suffit-il pour garantir la réussite de la gestion déléguée ? M. K. : L'adoption du projet de loi n'est pas suffisante en soi. Néanmoins, l'application de cette loi renforce les conditions de réussite du choix de ce mode de gestion. En effet, la loi 54-05 qui entrera bientôt en vigueur et qui s'appliquera aux contrats de gestion déléguée de services et d'ouvrages publics passés par les Collectivités Locales ou leurs groupements et par les Etablissements Publics vient combler le vide juridique en explicitant les principes généraux de la gestion déléguée (respect des principes du service public, équilibre du contrat, appel à la concurrence), Ce texte encadre également les contrats de gestion déléguées par l'obligation de mentionner certaines clauses essentielles liées à la durée du contrat, aux obligations du délégant et du délégataire, au dispositif d'information et suivi, aux révisions périodiques, au règlement des litiges, aux sanctions et aux modalités de fin de contrat. Cette loi-cadre qui fixe les grands principes habilite le gouvernement à fixer les clauses obligatoires des contrats et à établir des contrats types propres à chaque secteurs. Toutes ces mesures devront certainement améliorer la pratique des gestions déléguées en tirant les leçons de l'expérience accumulée dans ce domaine. D'autres mesures pourront contribuer à cet objectif notamment à travers le renforcement de la capacité des délégataires en matière d'élaboration des contrats de gestion déléguées et le suivi de ces délégations.