“Marketing” judiciaire Rien ne sera plus comme avant au Maroc avec un département de la Justice qui opère sa révolution tranquille pour s'ouvrir tous azimuts. Les Journées de communication, organisées du 3 au 6 janvier au Parlement, ont manifestement renforcé la culture sociale de l'Etat de droit et balisé la voie d'une indépendance effective de l'appareil judiciaire. D'abord, la réhabilitation des aptitudes créatives et d'intelligence des détenus qui ont vu leurs ouvrages exposés tout au long des trois journées dans le hall du Parlement; un événement qui a suscité l'admiration et le respect de ceux qui voyaient en la population carcérale des «bannis» de la société, incapables de se réinsérer après avoir purgé leur peine. Au contraire, et la Fondation Mohammed VI pour la réinsertion des détenus est passée par là, les formations adéquates accordées aux prisonniers ont permis a ceux-ci de donner naissance à des productions qui ne laissent pas insensibles. Décidément, le département coiffé par Mohamed Bouzoubaâ, est traversé par un vent de changement qui trahit son impatience à opérer les mutations et réajustements nécessaires pour rééquilibrer un système judiciaire national qui ne fait pas encore l'unanimité. En communiquant avec les parlementaires, la société civile militante des droits de l'homme et les médias sur la politique pénale, la lutte contre les fraudes financières et administratives et la situation carcérale, le ton est bien donné pour une révision déchirante des mœurs et des pratiques anciennes et l'engagement dans une culture d'un authentique Etat de droit et de respect des droits de l'homme. Grand déballage de chiffres Selon un exposé détaillé de Taïeb Charkaoui, directeur des Affaires pénales au ministère de la Justice, la nouvelle politique pénale du Royaume a été déclinée en une «série de décisions, de dispositions et de mesures concrètes constituant une réponse effective au phénomène de criminalité». Les grandes lignes de la réforme judiciaire orientée vers la moralisation, la modernisation et la formation des magistrats ont été présentées aux participants. Les chiffres sont accablants : 2 446 523 affaires, dont plus de 13% dans la seule région du Grand Casablanca, ont été jugées en 2004 dans les diverses juridictions du Royaume. Le recul des affaires criminelles enregistrées par rapport à 2003 s'explique, principalement, par la mise en œuvre des nouvelles dispositions du code pénal privilégiant les règlements à l'amiable et l'application des mesures de contrôle judiciaire. La criminalité financière est, également, en recul et l'Etat devrait récupérer 39 millions DH dans le cadre de l'instruction d'une quarantaine de dossiers jugés par la Cour spéciale de justice, tandis que 50 autres affaires de même nature sont en cours d'examen par différentes juridictions d'appel héritant des dossiers de l'ex-CSJ. «Le pays connaît surtoutle crime traditionnel qui ne constitue pas un grand danger pour la société, à l'exception des crimes de terrorisme et de cybercriminalité», précisent les responsables du département gouvernemental. Les affaires de corruption jugées sont au nombre de 4.838, en baisse certes, mais le nombre de personnes poursuivies connaît, quant à lui, une hausse inquiétante, passant de 3.537 en 2003 à 5.051 en 2004; soit une augmentation de près de 145% ! Des assassinats par milliers aux viols par centaines, des actes innombrables de violences contre les femmes et les enfants en passant par l'émigration clandestine et le trafic de stupéfiants, les dérapages de notre société ont de quoi nous alarmer même si un recul sensible y est observé annuellement. La principale leçon de ces faits est que la justice coercitive ou privative n'est pas la panacée. La population carcérale dépasse 50.000 personnes (dont 90% d'hommes, 2% de femmes et 8% de mineurs), réparties sur 59 établissements pénitentiaires à travers le Royaume. Le surpeuplement des prisons laisse un espace de 1,85 mètre carré pour chaque détenu selon Abdou Nabawi, Directeur des établissements pénitentiaires et de la réinsertion. D'autres voies et moyens doivent être recherchés pour en atténuer le fardeau et le ministre Mohamed Bouzoubaâ est déterminé à jouer les nouvelles règles du jeu jusqu'au bout. Refonte de la justice pénale C'est dans cette perspective que s'inscrit la refonte des législations pénales qui s'inspirent des principes de préservation des droits et des libertés individuelles, du droit de la société à la sécurité et à la stabilité, de la conformité de la législation marocaine avec les conventions internationales, la promotion d'une justice de conciliation et d'arbitrage, des alternatives aux peines d'emprisonnement et, surtout, le développement de la culture de l'Etat de droit en réhabilitant la confiance des citoyens envers la justice de leur pays. Le ministre de la Justice a insisté sur «l'impératif de mettre en place une politique préventive» relevant que des études attestent que le crime est souvent lié au célibat, surtout en milieu urbain «fréquent en grande partie chez les personnes de sexe masculin et pas obligatoirement en liaison avec le chômage». Les principaux axes de cette réforme se traduisent, par exemple, via des mesures d'incitation à la dénonciation d'actes de corruption ou de marchés publics ou privés, illégaux, sous forme de récompense pécuniaire en pourcentage sur le montant des dommages et indemnités récupérés par la justice en exécution des jugements rendus. Aussi, pour les cas d'enrichissement d'origine inconnue ou inexpliquée, l'obligation est-elle faite pour ordonner des enquêtes et prouver le bien-fondé des sources de richesses personnelles. Autre réforme majeure espérée : l'abandon des peines d'amendes et d'emprisonnement inférieures à 2 années pour les délits mineurs qui représentent 35% de la «production pénale» de la société dans l'année et leur substitution par des mesures de prévention ou de contrôle plus éducatives et plus efficaces. Concrètement, nous assistons, sur ce chapitre, à un revirement à 380 degrés de la politique pénale du Royaume. Celle-ci, au regard de cette réforme, devient une Justice préventive, réparatrice, éducative, conciliatrite… et non une justice exclusivement punitive. Comme l'ont bien dit les responsables du ministère de tutelle, le but de ces réformes est de «réconcilier la société et les citoyens avec la nouvelle politique pénale».