Pas évident de trouver un coin tranquille pour discuter chez «Solidarité Féminine». Jusqu'au bureau de sa présidente, l'association grouille de jeunes mamans portant leur bébé. Comme une vraie mère de famille, Aïcha Ech-Chenna leur procure confiance et sécurité… La Gazette du Maroc : qu'est ce qui vous inspire autant la solidarité ? Aïcha Ech-Channa : La solidarité a toujours été très présente dans ma propre vie. J'en ai bénéficié depuis toute petite. J'ai perdu mon père à l'âge de 3 ans et demi. Tout de suite, il y a eu l'apport de la solidarité dans ma vie et celle de ma mère. D'abord de la part des amis de notre famille qui ont tenu à m'inscrire dans les mêmes écoles que leurs propres enfants. Ensuite, le deuxième acte de solidarité qui a fait démarrer ma carrière est celui d'une assistante sociale préfectorale qui m'a aidée, à l'âge de 16 ans, à être engagée comme aide sanitaire tout en faisant mes études à l'école d'Etat d'infirmière. C'est pas trop jeune 16 ans pour travailler? C'est jeune oui, mais à cet âge là déjà, je devais nous prendre en charge ma mère et moi. A 16 ans, avec mes grosses nattes je travaillais déjà au sein de la ligue anti-tuberculose et je payais un loyer ! C'est un peu le conte de cendrillon mais en moderne… Mais à quel moment avez-vous commencé le travail associatif ? Déjà en intégrant la ligue anti-tuberculose, j'ai eu à faire un travail à la fois médical et social. Une année plus tard, je me suis inscrite en tant que bénévole dans la ligue de protection de l'enfance à sa création en 1959. A cette période j'avais commencé à comprendre l'importance de la solidarité, mais ce n'est qu'en ayant moi-même des enfants que je me suis rendu compte de ce qu'était vraiment un enfant abandonné. Je suis allée m'inscrire à l'association marocaine de planning familial puis à l'union nationale des femmes marocaines. J'avais commencé à attraper le virus de l'associatif… C'était quoi, le déclic ? Ma première réaction dans ce sens a eu lieu avant mon mariage. Un jour, je vois arriver à la ligue de la protection de l'enfance une jeune fille enceinte à son neuvième mois. Sa mère lui avait dit : “Tu sors vider ton ventre et tu reviens !” A l'époque l'association n'avait pas les moyens matériels pour aider cette jeune fille, mais avec un petit groupe de femmes, nous avons décidé d'aider cette jeune maman à accoucher. Récemment, j'ai rencontré cette maman dans une réunion à Rabat, elle est venue vers moi pour m'apprendre que son bébé est devenu médecin… Et Solidarité Féminine ? Après cet événement, j'étais de plus en plus sensibilisée au phénomène des mères célibataires. En 1981, alors que je rentrais d'un congé de maternité, j'ai croisé dans le bureau d'une assistante sociale une jeune maman qui abandonnait son petit enfant. J'étais révoltée, surtout que j'étais moi- même fraîchement maman. C'est cela qui va déclencher la création de solidarité féminine en 1985. Sans résistance ? Le Maroc n'était pas encore complètement sorti des années de plomb et ne connaissait pas encore l'ouverture d'aujourd'hui. Nous avons dû un peu “tricher” en mentionnant sur la demande que nous voulions créer cette association pour aider les femmes seules et démunies chargées de enfants en bas âge. Nous avons mentionné d'abord les veuves, les divorcées, abandonnées et nous n'avons qu'en quatrième position les mères célibataires. Alors que ce sont celles-là qui nous intéressaient le plus… On l'aura bien compris plus tard… Comment avez-vous donc réussi à résister aux critiques, des islamistes notamment ? Pour ne pas jeter la pierre sur le dos des islamistes seulement, j'ai été critiquée dès le départ pour “vouloir encourager la prostitution”, et cela je l'ai entendu de la bouche de médecins, de personnes censément ouvertes… Les gens ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. On va quand même baisser la tête, on a beaucoup travaillé avec beaucoup de foi et je pense que notre solidarité fait que nous arrivons toujours à dépasser les difficultés. Vous avez déjà été physiquement menacée. Comment vit-on cette angoisse? J'ai été à plusieurs reprises menacée verbalement et par écrit. Mon nom a été cité dans les mosquées et que j'étais la cible de certains qui se croient plus musulmans que d'autres. On a estimé que je prônais la prostitution, que je l'encourageais. Ech-channa c'est aussi le nom de mon mari et de mes enfants. Je perd la voix sous le coup de chaque nouvelle menace, j'ai souvent envie de jeter l'éponge… Mais je suis profondément croyante, je rentre chez moi, je prie et je continue… Les hommes seraient-ils trop machos pour adhérer à votre association ? Nous n'avons pas fait exprès de se retrouver entre femmes. C'est venu comme ça, mais avec le temps, nous avons pris l'habitude d'être entre femmes. De plus, nous sommes souvent en contact avec des populations très spécifiques et nous traitons des situations extrêmement sensibles qui seraient mieux gérées par des femmes. N'empêche que nous avons un grand nombre d'amis hommes qui nous soutiennent de l'extérieur…