L'admission en urgence du président Bouteflika à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce a suscité trop d'interrogations. La manière avec laquelle on avait géré la santé du chef de l'Etat algérien au plan de la communication n'a fait qu'augmenter les doutes. Anticipant sur toutes éventualités, l'armée a déjà pris les dispositions nécessaires, prouvant qu'elle n'a jamais cessé d'être le «pouvoir réel». L'agitation, discrète certes, à l'Académie militaire inter-armes de Cherchell, également au Cercle national de l'armée, lieu de rencontre des généraux algériens, laisse comprendre que des préparatifs hors du commun sont en train de se mettre de place. Dès les premières heures qui ont suivi l'admission du président à l'hôpital Aïn Naâdja, le chef d'état-major, Ahmed Gaïd Salah, a appelé tous les commandants des forces et des régions ainsi que les patrons des services de sécurité, la DRS et la DCE, pour concertation; et, par là, prendre les mesures nécessaires sur le terrain. En même temps, ils ont demandé au premier ministre, Ahmed Ouyehia, de coordonner avec la présidence de la République concernant toute com-munication sur l'état de santé du chef de l'Etat. C'est pour la première fois depuis 1991, date de l'interdiction par la force de l'arrivée du FIS (Front islamique du Salut) au pouvoir, qu'une telle messe au sommet du pouvoir militaire vient de se tenir. Un ancien général-corps de l'APN (Armée Nationale Populaire), de passage à Paris jeudi dernier, a indiqué à La Gazette du Maroc, qu'une réunion entre les quatre piliers de l'armée et de la sécurité, à savoir, Ahmed Gaïd Salah, Mohamed Mediane (Tewfic), Abdelmalek Guenaïzia et Smaïn Lamari, a été à l'origine de l'appel du chef de l'état-major. Conscients plus que quiconque de la réalité de la situation prévalant, ces ténors de l'armée mesurent mieux que quiconque la dimension du danger qui pourrait résulter d'un vide soudain au sommet. Surtout que Bouteflika avait tenu depuis sa réélection pour un deuxième mandat à affaiblir, d'une part, et à écarter, de l'autre, toutes les personnes qui pourraient lui barrer la route pour briguer un troisième mandat. D'autant, qu'il n'était aucunement prêt à voir se reproduire l'expérience d'Ali Benflis, son ancien premier ministre et ex-homme de confiance à qui il avait confié à l'époque la direction du FLN. Avec ce vide politique créé, l'armée redevient le seul et unique décideur au niveau de la désignation du prochain président de la République ; bien entendu, si l'état de santé de Bouteflika ne lui permettra pas de poursuivre sa mission. Au sein de l'APN, on dément fermement aussi bien la gravité de l'état de santé du président que les transactions en cours portant sur le choix d'un nouveau chef de l'Etat. Malgré ces affirmations, les indices du terrain montrent, en revanche, le contraire. Autour du 3ème mandat Les observateurs sur place évoquent des redéploiements des unités des différents commandements des régions. Actions justifiées par les nécessités de contrecarrer d'éventuels agitations des islamistes dans les universités. Notamment après celle de Constantine où, plus de 2.000 étudiants ont favorablement répondu à l'appel de grève lancé en début de ce mois de décembre. Le même ancien général corps a fait savoir qu ‘un fort tiraillement au sommet, plus particulièrement entre le président de la République et des représentants de l'armée, a commencé dès les premiers jours qui avaient suivi le récent référendum sur le projet de réconciliation nationale avec les islamistes. Ces derniers se sont opposés à l'initiative de Bouteflika visant à modifier la Constitution afin qu'il puisse ainsi de briguer un troisième mandat. Ils sont allés jusqu'à mettre en garde, Mohamed Bedjaoui, proche conseiller du président de la République et actuel ministre des affaires étrangères, à qui a été confiée cette modification des articles de la Constitution, de participer à ce jeu risqué. Cette contestation de l'armée a beaucoup surpris le chef de l'Etat qui croyait avoir déblayé le terrain avec le remaniement significatif opéré le 4 mai 2005, qui a concerné la haute chaîne de commandement de l'ANP. Un changement qui a touché 6 postes clés, dont celui des Forces de défense aérienne du territoire (CFDAT). Force est de souligner dans ce contexte, que c'est le second remodelage qu'apporte Abdel Aziz Bouteflika à l'encadrement de l'armée en moins d'une année. Ce qui lui apparaissait suffisant pour avoir les mains presque libres pour imposer son 3ème mandat. Le nouveau rapprochement entre les véritables patrons de l'armée et ceux de l'appareil sécuritaire, notamment Tewfic Mediane, qui s'était rallié à un moment donné au président de la République, a pris ce dernier de court d'autant qu'il l'a laissé perplexe. Toutes les tentatives prises pour convaincre le patron de la DRS ont été vouées à l'échec. Dans les milieux qui suivent de près le dossier relations armée-présidence en Algérie, on laisse entendre que ce pays vit, à l'heure actuelle, le retour graduel de l'armée sur la scène. Un come-back qui sera remarqué plus nettement encore si l'état de santé de Bouteflika se dégradera. En tout état de cause, la récente mobilisation de l'armée et son verrouillage préventif à nouveau de tout le système en l'absence du chef de l'Etat, veut dire que cette dernière a l'intention de montrer à qui de droit qu'elle reste le “pouvoir réel” et la seule et unique soupape de sécurité. Français comme Américains en poste à Alger, s'accordent à dire qu'en fin de compte, c'est l'armée qui sera capable d'assurer la stabilité, la continuité et les “bonnes transitions”. De ce fait, toutes spéculations sont exclues, également les risques d'instabilité. Un constat défini après la rencontre de l'ambassadeur américain avec l'inspecteur général des armées, le colonel Boumédiène Benattou, une des étoiles montantes de l'institution militaire. En tout état de cause, l'état de santé de Bouteflika inquiète les Algériens. Elle montre à la fois qu'il est apprécié par la population. Surtout parce qu'il symbolise le retour de la paix sociale et l'espoir de la relance économique après l'ouverture du pays à l'étranger. Les Algériens ne semblent pas prêts, au moins pour l'instant, à le remplacer dans les circonstances actuelles. C'est pour cette raison, ils critiquent vivement la communication institutionnelle qui ne joue pas la transparence. On se demande toujours pourquoi le président a été transféré en France alors que tous ces prédécesseurs avaient l'habitude de se rendre à Genève et Bruxelles, sauf pour feu Hawari Boumédiène qui avait été hospitalisé à Moscou. Les scénariis L'ancien général corps algérien qui fait toujours partie du cercle des militaires qui n'ont jamais disparu de la scène, affirme que l'APN et les services de sécurité n'accepteront jamais le 3ème mandat. Car cette configuration est hors du marché conclu avec Bouteflika. En bref, ils ne lui donneront pas la chance de rendre l'institution militaire un simple instrument professionnel qui exécute les ordres du ministre de la Défense nationale qui n'est autre que lui. La thèse du «maître absolu» à bord ne marchera pas. «Même Si Boumédiène» ne l'était pas», souligne ce grand retraité militaire. Et à ce dernier de poursuivre : «l'armée acceptera ce sacrifice sauf s'il est avéré que Bouteflika est trop malade». En d'autres termes, elle dirigera à ce moment les affaires de l'Etat d'une manière indirecte. Mais si ce dernier préfère démissionner, le choix sera porté transitoirement sur le général à la retraite, Larbi Belkheir. Tout le monde semble être d'accord pour ce choix. L'homme qui avait refusé à deux reprises par le passé ce poste, préférant rester l'ami de tous, le fabricant des présidents, ne pourra pas cette fois décliner l‘offre vu la gravité de la situation. Autrement dit, l'armée a son propre projet pour endiguer l'avènement du 3ème mandat. En effet, l'idée de choisir un président Kabyle a apparemment déjà mûri à tous les niveaux. Un tel choix mettra fin à un litige qui ne cesse d'envenimer la vie politique du pays, et coupera l'herbe sous les pieds de ceux qui utilisent cette carte pour déstabiliser le régime. Un tel projet ne peut, d'autant plus, que gêner Abdel Aziz Bouteflika, et le pousser, en fin de compte, à céder. Notamment, lorsqu'il trouve qu'il ne pourra pas faire face en même temps à l'armée et aux Kabyles. Un coup de maître, disent les observateurs. Surtout lorsque l'idée provient de l'incontournable Tawfic Mediane, patron de la DRS, lui même originaire de la petite Kabylie. Pour ce qui est de l'homme choisi, le nom de l'actuel premier ministre, Ahmed Ouyahia, est jusque-là le plus favori. Ce dernier ne cesse de répéter : «A chaque fois que l'Algérie a besoin de moi, je répondrai toujours présent» ; et d'ajouter : «Je n'ai aucun problème avec Monsieur le président». Mais pour ceux qui sont dans les secrets du palais d'El-Mouradia, les couacs entre les deux responsables ont atteint ces derniers temps leur apogée. Plus particulièrement, depuis que l'armée a fait savoir qu'elle n'avalisera pas le 3ème mandat coûte que coûte. Le président, qui a déjà son plan pour se débarrasser de celui que les Algériens appellent le sobriquet “d'hommes de sale boulot”, attendait le moment opportun pour annoncer la nouvelle. Le choix porté sur Abdel Aziz Belkhadem de diriger le FLN, et, ensuite de le présenter au Sommet de Barcelone, dévoilent ses intentions. Bouteflika n'attendra sûrement pas à ce qu'on lui impose Ouyehia comme successeur. Si cela devait se faire, il sortira ses lapins de son chapeau et de ses poches. Alors, ou bien un nouveau consentement sera concrétisé, ou bien il ouvrira le jeu démocratique à fond, mettant tout le monde, l'armée en tête, face à la communauté internationale. Dans ce cas, l'Algérie sortira pour la première fois de son histoire de la “logique des compromis”.