L'attention portée au confort des appartements, à leur distribution, leur ensoleillement, la qualité des matériaux, rend encore aujourd'hui cet immeuble très agréable à habiter. La souplesse de circulation et d'articulation des logements voulue par Morandi, y contribue également. Cette vision de l'architecture “du progrès” de l'époque, mériterait d'être mieux explorée. Elle répond parfaitement aux aléas climatiques (humidité ambiante, vents, ensoleillement) de Casablanca. Ce qui est loin d'être le cas d'immeubles récemment construits. Il est donc essentiel de mettre en évidence la qualité d'une telle réalisation architecturale. Ceci nous aiderait à comprendre pourquoi ce patrimoine exceptionnel, s'adapte encore si bien à son environnement et à ses occupants. Madame Ibriza Benouattaf, propriétaire pendant de longues années d'un de ces magnifiques appartements, témoigne : “nous avions de superbes hauteurs sous- plafond. En hiver, mes amis me demandaient de baisser le chauffage, ce qui me faisait sourire car je n'en possédais pas. Je n'ai jamais eu besoin de chauffer la maison. La température y était très agréable en toutes saisons. Nous avions du soleil toute la journée et toutes les pièces en profitaient. L'appartement en demi-cercle, donnait sur la place et nous offrait une vue imprenable”. Des problèmes de syndic sont malheureusement venus ternir le plaisir d'habiter un bâtiment si bien conçu. Encore une fois, ce n'est pas la qualité d'un édifice qui fait fuir ses anciens occupants, mais le manque de civisme et d'entretien (même si l'immeuble Liberté garde encore toute sa valeur architecturale) . Madame Benouattaf a fini par vendre. “Les propriétaires qui habitaient sur place payaient leurs charges. D'autres ne faisaient que spéculer. Ils avaient acheté plusieurs appartements qu'ils louaient. Ne se sentant nullement concernés, ils ne s'acquittaient jamais de leurs charges”. La suite est facile à comprendre. Elle a aussi quitté, à cause du quartier qui a beaucoup changé : trop de bruit, de pollution et de densification. Pourtant, elle se souvient : “des personnes de qualité habitaient cet immeuble: des poètes, une pianiste qui jouait de l'orgue à l'église Notre- Dame à proximité, des diplomates, des artistes, des politiciens…. ”. En somme, du très joli monde, dont certains, occupent encore les lieux. Aujourd'hui, malgré les logements qu'elle a acquis par la suite (tous aussi beaux les uns que les autres), elle regrette encore son appartement de l'immeuble Liberté : “pour moi, il reste encore le plus bel immeuble de Casablanca, jusqu'à aujourd'hui. J'aurais vraiment souhaité ne pas m'en défaire”. Si vous allez sur Internet, sur le célèbre site d'eBay, un des appartements de l'immeuble Liberté est mis à prix à partir de 2, 50 euros (incroyable !). Tout se jouera (au niveau de l'enchère qui ne cessera de monter) jusqu'aux dernières secondes, ce qui promet sans doute des surprises croustillantes. Comme quoi, Le Liberté n'a jamais cessé, d'être de son temps. À vos enchères, messieurs dames. Sources et crédits photos : “Les mille et une villes de Casablanca” de Jean-Louis Cohen et Monique Eleb. Numéro spécial d'“Architecture d'aujourd'hui”, consacré au Maroc en 1951. Revue “Réalités”, janvier 1953.