TRIBUNAUX Devant la Chambre correctionnelle Le seul acquittement prononcé pendant presque deux semaines par la Chambre correctionnelle du tribunal de première instance de la wilaya du Grand Casablanca a concerné un jeune homme, employé de l'ONCF, accusé de complicité dans une affaire d'escroquerie relative aux visas. Mêmes les aveux d'une chevronnée n'ont pas réussi à le mettre au trou comme elle le souhaitait tant. Les flagrants délits sont une machine à presser les hommes dans un système judiciaire pressé de liquider les affaires dont les dossiers s'empilent telles des montagnes. Les quatre jeunes lycéens et universitaires, poursuivis pour détention, consommation et trafic de drogues à l'échelle internationale attendent leur jugement qui tombera, sauf imprévu, le soir du 9 novembre. La liberté provisoire leur a été refusée par la Cour, malgré les garanties et la caution. Une famille hors du commun a vu les trois frères condamnés à la prison ferme pour deux et avec sursis pour un troisième. L'inspecteur des impôts de la rue d'Agadir a écopé de quatre mois de prison ferme. Mais Fatna Abbou, une fière paysanne de Sidi Slimane, bien qu'elle soit partie bredouille après sa tentative de coffrer son amant, a rejoint Oukacha où elle purge une peine d'emprisonnement pour escroquerie. Des trafiquants de stupéfiants, il y en avait de tous les âges…Un défilé sans fanfare ! L'assistance et sûrement l'accusé lui-même auraient souhaité qu'on en finisse. Assez de va-et-vient, assez d'être montré du doigt sous une averse de clins d'œil, à chaque audience, et désigné du fonctionnaire accusé de corruption. Car, après tout, pourquoi ce procès, comme le dira l'un des avocats. D'autres sont accusés d'avoir détourné des deniers publics par centaines de milliards et ils sont en liberté provisoire. L'affaire a connu un dénouement. Le jugement a été rendu mercredi, tard dans l'après-midi. Le corrupteur n'a pas été inquiété. Pour mieux remuer le couteau dans la plaie de l'inspecteur des impôts, le "corrupteur", un certain Ahmed Cheâali, un allumeur qui porte bien son nom s'est effectivement constitué partie civile, lundi 31 octobre dernier, en demandant la restitution de son bien qui dépasse les 8.000 DH. Il a payé les taxes afférentes à sa requête et désigné même un avocat pour sa défense. L'audience a été reportée au mercredi 2 novembre. Pris en flagrant délit de corruption et ne bénéficiant pas, malgré les garanties et la caution, de la liberté provisoire, l'inspecteur des impôts de la rue d'Agadir à Casablanca a dû savoir que son cas est sans espoir. C'est du moins ce que ses collègues affaiblis et son épouse en larmes ont dû comprendre ce lundi-là, à la sortie de la salle d'audiences. Le topo était déjà tracé, mais que faire de l'espoir. Allal, sa famille, ses amis et ses avocats plaident plutôt pour l'innocence de cet homme qui a sacrifié, répète-t-on plus de 30 ans de sa vie au service de l'Administration et qui est encore locataire d'un appartement à 500 DH. Mercredi 2 novembre, Allal est appelé à la barre. Pour commencer le traitement du dossier, le président déclare que le plaignant s'est désisté mais qu'il a présenté une requête visant la restitution des 3000 DH saisis. Commence l'interrogatoire. Allal, un homme assez âgé, proprement habillé, bien portant répond aux questions. Aucun accusé n'a été cuisiné comme lui. Si le président de l'audience a démontré à plusieurs reprises qu'il connaissait le fond de chaque dossier, malgré le caractère rapide et expéditif de la procédure du flagrant délit, il donnera aussi le temps nécessaire à Allal pour qu'il se remémore la scène par laquelle il était passé, ces fameux 14 et 18 octobre dernier. Tout est passé au crible. Le bureau, la disposition et la forme de la table, le nombre des chaises, la proximité du bureau de Allal par rapport à la caisse, l'heure exacte des réceptions, le grade et les compétences de l'accusé…Inspecteur régional des impôts, cinq fonctionnaires exercent sous sa coupole. Son bureau est séparé des autres par un local où loge le serveur informatique…Arrive le 14 octobre, c'est le président qui l'y ramène: - Oui, le contribuable était venu au bureau avant le 14 octobre. Mais il lui manquait un document pour transférer l'agrément. Il est parti et a ramené le 14 octobre le document mais piqué une crise ce jour-là, parce qu'il n'était pas d'accord sur le montant de l'enregistrement qui dépassait les 27.000 DH. Il est revenu lundi d'après, vers 14 heures, mais les guichets étaient déjà fermés. Il devait revenir le lendemain. - Mais pouvait-il payer lundi, malgré la fermeture des guichets ? - Si le caissier le voulait, oui. Le contribuable est revenu mardi, vers 9H 30 mn. Je l'ai laissé au bureau et suis sorti chercher le numéro du poste du caissier, chez la secrétaire… - Le Maroc se porterait bien " Bikhir " si tous les responsables faisaient comme vous. Vous recevez le contribuable pour un seul dossier à plusieurs reprises et vous vous déplacez vous-même pour chercher un numéro alors que l'habitude veut que le responsable appelle la secrétaire qui fait le déplacement. - Cela m'arrive souvent, Monsieur le président. - Mais ce que vous ne saviez pas, c'est que le jour où vous prétendiez que la caisse était fermée, le 17 octobre, le contribuable, Ahmed Cheâali, est allé tout de suite après déposer une plainte au bureau du Procureur général qui a ordonné immédiatement à la police judiciaire une enquête. La plainte disait que vous aviez encaissé 1000 DH et exigiez 3000 autres pour avoir réduit le montant de la taxe d'enregistrement de 8000 DH. C'est le montant dont vous aviez demandé le partage à deux. Les 3000 DH restants ont été photocopiés en 15 coupures de 200 DH chacune, les numéros de séries ont été relevés et Ahmed est venu vous voir le 18 octobre, vous a remis le sachet contenant l'argent et est sorti. Accusations ficelées Le procès-verbal dressé par l'officier de la police judiciaire souligne qu'une équipe constituée d'un commissaire, un officier de police et 4 inspecteurs a accompagné le plaignant jusqu'aux bureaux de la rue d'Agadir. Tout un staff constitué pour un simple fonctionnaire, instructions obligent! C'est à se demander si d'autres plaintes ont suivi le même rythme en Formule 1. Dans le couloir, ils se sont confondus aux contribuables qui attendaient leur tour, ils ont vu Ahmed entrer dans le bureau de Allal. Peu de temps après, il l'a quitté laissant Allal seul dans son local. Au moment où celui-ci sortait pour aller chez la secrétaire, les policiers l'ont arrêté pour le fouiller d'abord. Il n'avait pas sur lui l'argent qu'ils cherchaient. Conduit à l'intérieur de son bureau, Allal verra les enquêteurs sortir du tiroir le sachet contenant les 3000 DH. Ils trouveront aussi, comme l'avait déclaré Ahmed, le " corrupteur ", deux bouts de papier sur lesquels Allal avait mentionné les détails du premier montant de la taxe, 28.000 DH et le second à moins de 20.000 DH après accord sur les 4000 DH à cracher. Ainsi Allal a été conduit au commissariat pour interrogatoire. C'est ce qui ressort du procès-verbal de la P.J. Allal reconnaît être l'auteur des deux bouts de papiers, mais déclare ne rien savoir sur le sachet et les 3000 DH qu'il contenait. Après audition de trois témoins des cinq cités par la défense, le réquisitoire du procureur du Roi n'a usé d'aucune souplesse pour demander la condamnation pure et simple de l'accusé, face aux preuves contenues dans le dossier. Cependant, les plaidoiries des deux avocats de la défense ont rejeté presque en bloc les accusations et mettaient en relief les vertus et la droiture de l'accusé tout en ouvrant une brèche sur la mise en détention préventive de l'accusé pour une histoire de 3000 DH, alors que ceux qui ont été derrière la disparition de plus de 14 milliards de centimes des caisses du C.I.H ont bénéficié de la liberté provisoire et juste la semaine dernière, le juge d'instruction dans le dossier du projet Hassan II a aussi accordé la liberté provisoire aux accusés. Pour elle, le Parquet a commis une erreur en laissant le corrupteur libre, parce qu'il n'y a pas de corrompu sans corrupteur. Quant à la version de la police, comme contenue dans les P.V, la défense souligne qu'il s'agit d'un grave manquement à la profession. C'est le caissier, M. Fertat qui était surveillé par les éléments de la police et non Allal. Fertat vous l'a dit dans son témoignage sous serment, répétait l'avocat. La police ne peut pas avouer son tort, a-t-il conclu. Malgré cet élément douteux, après délibération, Allal a été condamné à 4 mois de prison ferme et 1000 DH d'amende. Les 3000 DH seront restitués à Ahmed Cheâali. Accusé ? C'est donc mon frère… Hassan et Noureddine se présentent à la barre en état d'arrestation. M'Hamed est en liberté provisoire. Les trois accusés, adultes, dont un en cheveux blancs, vêtus de haillons, ressemblaient aux intouchables, excepté M'Hamed qui a dû porter une chemise après l'avoir arraché du fil de linge avant d'arriver au tribunal. Hassan assure sa défense par un avocat. Les deux autres se défendent eux-mêmes. Ils sont tous accusés de coups et blessures. Hassan nie avoir frappé Noureddine M'Hamed dit avoir vu Hassan frapper avec un lustre. Ses coups étaient dirigés vers le torse de Noureddine Celui-ci montre au président les traces bleuâtres d'une morsure sur le bras gauche, il montre une plaie sur la tête fermée avec au moins 20 points de sutures. Il enlève son pull, soulève son pantalon pour montrer encore et encore des blessures à l'arme blanche. Il montre même sa dentition pour dire au président qu'il ne pouvait pas se mordre lui-même… - Mais sur les P.V, la mère déclare que Hassan n'a pas frappé Noureddine, s'exclame le président. - Elle l'a fait pour ne pas causer du tort à son fils, répond M'Hamed. Les trois accusés sont des frères qui habitent ensemble avec leur mère dans une maisonnette. Quand Noureddine se fâche, parce qu'on ne lui a pas servi ce qu'il voulait, il descend crier, hurler voire menacer. Hassan, prenant la défense de sa mère, entre en conflit avec Noureddine. La bagarre éclate. Les autres s'y mêlent. Les autres ? Ce sont les neveux. Trois neveux qui ne jouent pas le rôle de figurants. Ils frappent. Hassan porte un pansement sur l'œil droit, Noureddine est tout raccommodé et lorsque la mère a été appelée pour témoigner contre certains de ses enfants, elle avait le bras suspendu par une bande au cou. Ni Hassan ni les neveux n'ont frappé. C'est lui, Noureddine qui s'est blessé et c'est lui qui m'a blessée au bras, dit la mère qui a, en plus, désigné un avocat pour défendre Hassan seul, à côté de ses deux autres fils. Les interrogatoires et les débats qui ont suivi ont dû convaincre la Cour de la " justesse " des poursuites, mais les peines pénales convaincront-elles toute une famille dont les frères ignorent la fraternité, la mère oublie ses grossesses et ses accouchements, les peines que ressentent les vraies mères à voir leur progéniture finir en prison…Il ne fallait surtout pas voir comment l'un enfonce l'autre, avec art et doigtée, dans une audience plénière. On a honte d'être là, en face de faux vrais-frères. Hassan et Noureddine Farah, comparaissant en état d'arrestation, ont été condamnés respectivement à six et quatre mois de prison ferme et 1000 DH d'amende. M'Hamed, comparaissant en liberté provisoire, a écopé de 4 mois de prison avec sursis et une amende ferme de 1000 DH aussi. Fatna qui dit " non " est celle qui dit " oui " Fatna Abbou. La cinquantaine, forme paysanne camouflée dans une djellaba rose-terni. Elle a été citée la semaine dernière dans une affaire d'escroquerie. L'histoire des visas en Espagne et en Italie… Rappelons que H. Said, employé à l'ONCF, avait rencontré une contrebandière dans le train et lui aurait proposé par la suite une connaissance à Sidi Slimane, Fatna. Puisque l'interrogatoire n'a cessé de souligner son nom, le président avait ordonné sa comparution. Une semaine après l'arrestation de Said, Fatna Abbou qui purge une peine d'emprisonnement ferme à Oukacha, comparaissait mercredi 2 novembre pour répondre de la complicité dans une affaire d'escroquerie. Et, au fur et à mesure que son interrogatoire avançait, elle niait s'être passé pour un fonctionnaire de la D.G.S.N, avoir touché les 15.000 DH contre une promesse de visa, mais débitait des expressions du genre " un ami ", parlant de H. Said, l'employé de l'ONCF, poursuivi dans le même dossier, avec un léger retard, qui se faisait passer pour son mari. - Le procureur veut savoir ce que veut dire " ami ", vous avez couché ensemble?, demande le président. - Oui, juste deux fois. Fatna est retournée bredouille à Oukacha, seule, parce que Said Hajli a été acquitté. Salah et Fatima ont fait la chose A l'appel du président, la fille n'était pas là, le tuteur non plus. Le père a désigné un avocat pour défendre les intérêts de sa fille, mineure. Mais Salah a répondu présent. Il est en détention préventive et comparait devant le box des accusés pour répondre de 6 poursuites, toutes stipulées par le code pénal. - Connais-tu Fatima ? - Oui, c'est ma copine. On était copains. - C'est quoi copains ? - On sortait ensemble, on voyageait… - Tu couchais avec elle ? - Oui… - Tu lui a demandé d'avorter quand tu as su qu'elle était enceinte ? - Oui… - Mais tu savais qu'elle était mineure ? - Elle m'avait dit qu'elle est née en 1982. Le président ordonne au greffier d'inscrire chaque aveu. Salah était gentil comme un agneau. Il était plutôt coule. Tout lui paraissait normal. D'ailleurs, dans sa plaidoirie, son avocat n'a pas manqué de souligner cette attitude innocente et spontanée de l'accusé. Salah, un jeune garçon, a connu Fatima et ont tissé une relation amoureuse qui les conduisait souvent à dépasser le permissif. Ils voyageaient à Moulay Abdellah, El Haouzia…Evidemment, quand il leur arrive de passer plus de quinze jours ensemble, dans une pièce louée à la nuit, doit sursauter la pulsion sexuelle. Fatima tombe enceinte et ne peut le cacher à sa mère qui se précipite vers Salah pour le mettre devant le fait accompli. Dans ce milieu-là, on ne joue pas avec la virginité, mais on ne demande pas non plus après une jeune fille qui s'absente par quinzaine du domicile parental. C'est le paradoxe lui-même. L'avocat de la défense remettra à la Cour une série de photos où posaient en amoureux, Fatima et Salah. Prises de vues différentes, vêtements différents…Tout allait pour le bien jusqu'au jour où les serviettes hygiéniques de Fatima ont été laissées pour compte. Après la mère, c'est le père qui sera mis au courant. L'histoire devient affaire judiciaire avec pas moins de six chefs d'inculpation. Refusant d'être désarmée devant cette montagne d'accusations, la défense rejette la responsabilité des actes commis sur les parents de la jeune fille qui voyageait à sa guise et menait une vie qui ignorait les normes qu'imposent la famille et le tribunal en ce jour-là. - La jeune fille mineure, Monsieur le président, ne passe pas des dizaines et des quinzaines de nuits en dehors de chez elle, dans une ville autre que la sienne, ajoute l'avocat de la défense. Le substitut du Procureur a demandé l'application de la loi.