Ce n'est guère que coïncidence. Au moment où circule une information de la fin très proche du travail d'une commission compétente chargée de présenter au Roi la copie finale sur la « commission de la fatwa», Ahmed Raïssouni monte au créneau. On est loin d'un hasard du calendrier, surtout que l'ancien chef du très rigoriste Mouvement de l'unification et de la réforme (MUR) est souvent attendu dans ce registre-là. On s'en souvient encore : il y a presque deux ans, Ahmed Raïssouni qui a été par ailleurs le premier des idéologues de la mouvance islamiste à donner une causerie religieuse ramadanienne devant le Roi, a payé le prix fort de sa sortie concernant la Commanderie des croyants et l'aptitude de Amir El Mouminine à décréter des fatwas, voire de trancher des questions d'ordre œcuménique. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, et Raïssouni a commencé sa descente aux enfers. Entre temps, le discours du 30 avril 2004, un moment fort dans le débat national de rationaliser l'espace confessionnel, a accéléré le processus de restructuration que nécessitait le champ religieux. Plus d'un an après, S.M le Roi annonce « le parachèvement du processus de structuration ». On en retient surtout que désormais la fatwa a son instance qui relève de la compétence de Amir Al Mouminine. Le but déclaré par le Souverain est de faire front aux pseudo-clergés, aux tendances et personnes « instrumentalisant la religion », et surtout aux propagateurs «d'allégations mystificatrices ». Il était temps de « recadrer la fonction » de la fatwa et faire prévaloir les valeurs qui sous-tendent cet exercice à la fois identitaire et périlleux. Un passage obligé : organiser, hiérarchiser, en vue de sauvegarder les décrets religieux. Ahmed Raïssouni ne l'entend pas de cette oreille ; ou à tout le moins, il revendique la nuance. Amir Al Mouminine et la commission de la fatwa émettent pour l'Etat, et les Ulémas, hors de ladite commission, ont conséquemment toute latitude de « décréter » leur avis hors de la sphère publique. « Le décret officiel, déclare l'ancien chef du MUR, porte bien son nom. Seul l'Etat est tenu par l'obligation de le respecter ». Dès lors, les docteurs de foi « sont libres ». Une question, cependant : que faire, une fois les deux fatwas, celle de l'Etat et celle « privée », sont antinomiques, à quel saint le commun des fidèles doit se vouer ? Pour le faqih : « la différence, voire la contradiction a toujours été partie prenante de l'histoire même de la fonction des ulémas ». Résultat : «la fatwa au quotidien émanera toujours de sources innombrables, qu'elles soient au dedans ou au dehors des institutions officielles». Membre de plusieurs organismes religieux de par le monde, Raïssouni qu'on dit sur le départ pour rejoindre Youssef Qaradaoui, le chef spirituel de «l'internationale islamiste, les frères musulmans», lance, à la fin de son interview avec «Al Ayyam», un avis-avertissement : « Gare à ce quadrillage continu du fait religieux, et sa standardisation qui le menace d'écclésiastisme chrétien ! ». Dans la foulée, le professeur se déclare «en porte-à-faux avec certaines clauses de la moudawana». Il n'est, selon ses dires, pas le seul. «Cependant, ceux parmi les Ulémas qui ne pensent qu'aux ors et aux honneurs s'emmurent dans leur silence». Apparemment, il n'a pas besoin de fatwa pour dire tout le mal qu'il pense du clergé dit officiel !