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Adoption, kafala ou recueil légal : Mode d'emploi d'un calvaire à vivre pour le sourire d'un enfant
Publié dans La Gazette du Maroc le 01 - 04 - 2002

D'une rive, ils sont plusieurs à guetter le sourire d'un enfant. Ils sont plusieurs à désirer l'adopter, l'élever et le chérir en enfant légitime. De l'autre rive, ils sont aussi plusieurs à attendre père et mère. Ils sont plusieurs à invoquer le tendre regard d'un parent adoptif.
Sept années de mariage se sont écoulées sans que le cri d'un enfant ne brise le silence du foyer, sans que sa joie n'illumine la vie de ce couple de ressortissants marocains en France. Pourtant l'espoir n'était plus au rendez-vous: l'homme était “stérile” et la femme est devenue une terre asséchée. A eux deux, ils couvaient tout l'instinct maternel et paternel qui ne devait jamais être comblé.
Au cours d'un voyage au Maroc, alors que leur espoir d'adopter un enfant marocain via le MAI (Mission de l'adoption internationale) s'estompait, Salma l'épouse rencontre une mère célibataire, enceinte de sept mois et qui ne désirait ni la grossesse, ni le bébé témoin.
La famille de Salma accueillit dès lors la mère, la prit en charge et assura un accouchement sans complications. Entre temps, le couple (Ahmed et Salma), prolonge son séjour au Maroc en attendant l'arrivée du bébé, qui sera désormais et selon la loi leur fils unique et légitime.
Frauduleuse action! Nous ne pourrons en juger. Ce couple qui témoigne un fervent désir d'adopter un enfant abandonné marocain, de subvenir à ses besoins, d'assurer son éducation, de l'aimer, de le chérir, s'est constamment heurté aux rouages de l'administration. Rendant ainsi la procédure d'adoption lente , pénible voire intolérable.
Ayant l'agrément du service de l'Aide Socialeà l'Enfance de leur département (qui procède à une enquête sociale et à des investigations psychologiques), le couple se renseigna auprès de la MAI et prépara un dossier complet et légalisé, adressé à une institution du pays.
S'arrêtant à la 5ème phase de la procédure d'adoption, qui en compte 8, le couple a retrouvé “le bonheur en hébergeant, en soutenant et en dédomageant une mère naturelle qui comptait léguer sa progéniture aux vents du hasard”, renchérit Salma.
Adopter un enfant marocain, les embûches juridiques internationales
Ce choix s'explique par la lente et difficile procédure et par les délicats problèmes que soulèvent l'adoption d'un enfant étranger par des MRE ou par des Français en France, à titre d'exemple : la sortie de l'enfant de son pays d'origine doit être conforme au pays de son entrée à savoir la France, et doit être par conséquent conforme au droit français.
Trois voies se présentent aux futurs adoptants. La première consiste à engager à l'étranger une instance directe visant le prononcé de l'adoption et à demander par la suite sa reconnaissance en France, mais cette voie n'a pas la faveur de la pratique. La seconde consiste à engager directement en France une instance directe visant le prononcé de l'adoption. Quant à la troisième, elle cumule deux instances directes : les adoptants obtiennent d'abord, dans le pays d'origine de l'enfant, une décision prononçant l'adoption et engagent ensuite sur la base de cette décision, une deuxième action devant les tribunaux français ayant pour but le prononcé de l'adoption.
Par ailleurs, le développement d'une jurisprudence française récente relative à l'adoption en France d'enfants marocains montre qu'elle pose des problèmes juridiques spécifiques, puisque l'articulation du droit marocain, et conformément au droit musulman, interdit de manière expresse et non équivoque la filiation adoptive.
En effet l'article 83, alinéa 3 du dahir marocain du 18 décembre 1957 dispose que “l'adoption n'a aucune valeur juridique et n'entraîne aucun des efffets de la filiation”. L'adoption est donc prohibée et seul existe le “Recueil légal”, défini par le dahir marocain du 10 septembre 1993 et qui stipule: “La personne assurant la kafala ou l'institution concernée veille à l'exécution des obligations relatives à la protection de l'enfant abandonné et doit assurer son éducation dans une ambiance familiale saine, tout en subvenant à ses besoins essentiels jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de la majorité”.
Or, l'étude de la jurisprudence française, qui concerne essentiellement l'adoption en France d'enfants marocains, montre que malgré une certaine résistance des juges du fond, la Cour de cassation admet que le juge puisse s'affranchir des limites de la loi nationale pour apprécier le consentement même.
En effet, montrant un respect scrupuleux de la loi nationale de l'adopté et considérant que le consentement ne pouvait s'en détacher, certaines décisions des juges du fond ont refusé de prononcer l'adoptin simple d'enfants marocains.
C'est ce qui ressort d'un arrêt rendu le 19 juin 1992 par la Cour d'appel de Paris. En l'espèce, un ressortissant français domicilié au Maroc accueille à son domicile un enfant âgé de 6 ans. En 1988, les parents marocains de l'enfant consentent à sa kafala par le ressortissant français. En 1989, ils consentent, devant l'officier d'état civil de Sidi Slimane, à son adoption simple. L'adoptant saisit le Tribunal de grande instance de Paris, d'une requête aux fins d'adoption simple de l'enfant. Mais le juge parisien rejette sa demande au motif que la loi nationale de l'adopté ignore l'adoption. Le jugement est confirmé par la Cour d'appel de Paris selon laquelle “ en matière d'adoption internationale, les conditions du consentement et de la représentation de l'adopté sont régies par la loi personnelle de l'adopté”.
Aussi, la position des juges du fond semble cependant critiquable, renchérit Souhayma Ben Achour, assistante en droit privé, qui l'explicite dans son travail sur l'Adoption d'enfants magrhébins en France: “même si la kafala et l'adoption simple produisent des effets différents, le principe reste qu'aucune substitution de filiations n'a lieu dans les deux cas”.
Enfants vendus, paternités achetées
Mais si la procédure d'adoption d'un enfant marocain par des (MRE) ou par des étrangers s'avère difficile et décourageante, elle sauvegarde le même aspect au Maroc. Encourageant ainsi fraudes et transgressions de la loi.
Un nouveau marché se met implicitement en place, celui de la vente des nouveau-nés. Des mères célibataires en détresse trouvent des familles “bienveillantes” qui les dédommagent et qui adoptent leurs enfants. Le prix du bébé varie de 1000 à 25.000 DH.
La floraison de ce marché émane essentiellement de la loi restrictive qui relègue l'adoption à une simple prise en charge “kafala”. La kafala ne crée aucun lien de parenté entre le kafil et le makfoul. Le statut de makfoul ne se rapproche de celui de l'enfant légitime que sur deux points : la tutelle, conférée au kafil et l'obligation alimentaire qui est à sa charge. Aussi, la kafala n'entraîne aucun empêchement à mariage entre le makfoul d'une part, le kafil et sa famille d'autre part. Le makfoul ne prend pas le nom du kafil et porte le nom qui lui est conféré par l'état civil, possédant dès lors un livret de famille particulier.
D'où le recours au contact direct de la mère naturelle, qui assure la filiation sans sombrer dans les rouages administratifs.
Un procédé dont témoigne Karima, mère célibataire prise en charge par son employée qui désirait élever un enfant : “elle savait que j'étais enceinte et que je ne pouvais revenir chez mes parents. Je lui ai tout raconté et elle a accepté avec l'accord de son mari de me garder à la maison jusqu'à la fin de ma grossesse. J'ai enfanté chez elle avec l'aide d'une sage femme. et elle a pris soin de moi, mais je ne pouvais voir ma fille, ni l'allaiter... D'ailleurs, je crois que c'est pour notre bien à tous. Ma fille porte le nom de la famille et vivra certainement aisément, quant à moi, j'ai dû quitter mon travail, moyennant une somme d'argent que mes employés m'ont offerte”
Un autre procédé d'adoption, par voie légale, consiste à présenter une requête au juge d'instruction de première instance, ainsi qu'une copie de la CIN des parents adoptants et des tuteurs de l'enfant, le certificat de résidence des adoptants et l'enquête de la police. Après le verdict positif du juge d'instruction, l'enfant peut intégrer la famille adoptive.
“Ce procédé simplifié, nous explique Maître Fatiha Hssein avocate au barreau, permet à la famille adoptive et à l'enfant d'écourter le “supplice”, sans oublier qu'on doit avant tout préserver l'intérêt de l'enfant. Son intérêt serait de vivre dans un milieu sain où ses différents besoins matériels sont assurés, où éducation et enseignement lui seront inculqués. Aussi, le juge d'instruction prend en considération ces éléments sans oublier que le tuteur, en acceptant l'adoption, se dégage de ses responsabilités”.
Le recueil légal,
une épreuve à vivre
Nouveau-nés emmitouflés dans des journaux, jetés dans les impasses, posés au seuil des portes, livrés aux griffures et aux morsures de chats et de chiens. Ils étaient abandonnés dès leur naissance au froid, à la faim, aux patrouilles de police, à la mort.Orphelins, ou abandonnés par des parents sans ressources, ou encore enfants de parents “drogués” incapables de les élever, ils sont nombreux à être jugés “enfants abandonnés” par le tribunal de première instance après trois mois de leur existence dans les orphelinats et les institutions publiques.
Leur nombre croît crescendo et comble les salles des orphelinats et des institutions publiques. Pourtant, nombreuses sont les demandes d'adoption adressées à ces institutions. Nous ne saurons ni leur nombre, ni le traitement réservé aux enfants et aux familles, puisque vaines étaient nos tentatives d'approcher une institution modèle comme l'institution Lalla Hasna.
Par ailleurs, si la directrice a refusé de nous renseigner pour des raisons qui lui sont personnelles, Bouchaib El Mejdoub, inspecteur à l'état civil de la wilaya de Casablanca, nous a explicité la procédure du “recueil légal” : “ les familles désirant adopter un enfant jugé abandonné, adressent une demande au wali ou à l'institution reconnue par le statut d'utilité publique. Par ailleurs, le dahir du 10 septembre 1993, relatif aux enfants abandonnés, a délimité les critères des parents adoptants au couple de musulmans, mariés depuis au moins 3 ans.”
En effet, le couple doit remplir les conditions suivantes :
être adulte, apte moralement et socialement, en disposant des moyens matériels nécessaires pour la prise en charge d'un enfant.
Ne pas avoir été condamné dans une affaire de moeurs ou pour un crime contre des enfants
Etre sain de toute maladie contagieuse ou ne lui permettant pas d'exercer sa responsabilité.
Les parents adoptants, qui remplissent ces conditions, adressent une demande légalisée au wali ou directement à l'institution. Ces derniers demandent aux autorités locales de procéder à une enquête sociale et à une autre administrative.
La constitution du dossier de la demande d'adoption consiste à présenter différents documents
Attestant l'aptitude morale et financière des parents à savoir : fiches anthropométriques du couple, copies des CIN, attestations de salaire et titres de propriété, certificat de résidence, copie de l'acte de mariage, certificats médicaux.
Après présentation du dossier, une assistante sociale rend visite au domicile des parents et rédige son rapport en notant l'aisance des parents, l'intensité de leur désir d'adoption, l'harmonie familiale, l'âge de la mère... L'examen jugé positif du dossier permettra au wali ou à l'institution d'accorder “le Recueil légal” aux parents.
Notons que le texte du dahir du 10 septembre 1993 confère à une commission administrative la responsabilité de remettre l'enfant à ses parents adoptants. Or, cette commission n'a jamais été constituée selon les dires de B. Elmejdoub, inspecteur à l'état civil de la wilaya de Casablanca.
Quant au suivi de la post-adoption, il relève de l'idéal, puisqu'il nécessite selon B. Elmejdoub “des moyens financiers considérables et dont ne disposent généralement pas les institutions publiques”. Autrement dit, le suivi sur le terrain est pratiquement inexistant.
Ce qui nuit surtout à l'enfant adopté, c'est qu'il peut être victime de maltraitance, d'abus sexuel... sans que l'institution ne remédie à la situation. A l'instar des filles adoptées, reléguées au statut de “bonnes”, et qu'on ne peut traduire en chiffres, puisque le suivi manque.
En outre, le pouvoir des institutions publiques reste restreint. Il est limité par les textes de loi qui stipulent qu'un enfant makfoul “maltraité” est toujours sous la tutelle légale du kafil et l'on ne peut retirer la garde de l'enfant, ou annuler le “recueil légal” sans porter l'affaire devant le tribunal de première instance qui jugera de l'état de l'enfant et des parents adoptants.
La règle basique de “ ce qui est donné par la loi, ne peut être pris que par la loi” ne protège pas les enfants adoptés et maltraités.
Plaidons le projet de la loi d'adoption
Tout en restant fidèle aux préceptes de l'ancienne loi de 1993, le projet de la loi d'adoption, en instance d'étude atuellement au parlement, propose de nouvelles clauses qui simplifient la procédure tout en sauvegardant l'intérêt de l'enfant.
Notons une nouvelle condition de l'article 7, caractérisant les parents adoptants qui ne doivent avoir ni avec l'enfant concerné, ni avec ses parents s'ils existent, aucun conflit judiciaire ou familial pouvant porter atteinte à la prise en charge.
Ces conditions ne s'appliqueront plus seulement au couple, mais notamment à toute femme musulmane, sans définir pour autant son statut (célibataire, veuve, divorcée)
L'article 12 stipule que la prise en charge d'un enfant âgé de plus de 12 ans accomplis, ne peut avoir lieu qu'avec son accord personnel. Quant à l'article 17, il permet au juge, une fois vérifiée la conformité du preneur en charge aux 4 conditions, d'accorder la tutelle à la personne avec application immédiate de cette décision.
Un apport considérable de l'article 20 prévoit en effet “qu'une demande de changement de nom peut être faite au bénéfice d'un enfant mineur, né de père inconnu par la personne l'ayant recueilli légalement dans le cadre de la kafala en vue de faire coordonner le nom patronymique de l'enfant recueilli avec celui de son tuteur” à l'instar du décret exécutif algérien en date du 13 janvier 1992.
Ce projet de loi est en cours d'étude actuellement et pourra certainement alléger la procédure d'adoption en rendant la kafala effective dans les 15 jours qui suivent la décision. Encourageant ainsi le “recueil légal” des enfants abandonnés, qui sont les premiers concernés et qui, de par leur innocence ont le droit à une vie digne, à la vie de famille.


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