Interview avec Fatiha Mohamed Taher Housni épouse de Abdelkrim Thami El On a pu dire que l'information menait à tout, à condition de ne pas y rester. Sauf que l'information peut mener très loin tout en y restant. Dans l'exercice de ce métier un peu trop particulier, on se retrouve parfois face à des questions et à des personnes dont on connaissait l'existence, mais que l'on ne pensait jamais rencontrer directement. Exemple : l'intégrisme marocain, dont ses formes les plus violentes et ses ramifications nationales et internationales, personne n'en ignore plus le degré de dangerosité et les visages qui le personnifient. Encore moins les journalistes. L'une de ces figures a pour nom Abdelkrim Thami El Mejjati, présumé impliqué dans les attentats de Casablanca, du 16 mai 2003, ceux de Madrid du 11 mars 2004 et ceux de Riyad où il a trouvé la mort en avril 2005 ; mais auparavant, il était recherché par pas moins de cinq pays. L'épouse de Abdelkrim Thami El Mejatti est venue, plusieurs fois, au siège de La Gazette du Maroc pour donner sa version et son appréciation personnelles sur le parcours de son mari, la nature de son engagement meurtrier ainsi que son propre rapport à l'intégrisme et à la violence qu'il peut engendrer. Dans l'entretien que l'on a eu avec elle, Fatiha Mohamed Taher Housni, qualifie son mari de " jihadiste ". Il épouse totalement ce qu'elle appelle sa cause à lui. Au point qu'elle l'a accompagné en Afghanistan sous le régime des Talibans et dans les contacts que son mari a pu avoir avec le Mollah Omar ainsi qu'avec les grandes figures d'Al Qaïda d'Oussama Ben Laden aussi bien à Kandahar qu'à Kaboul. Son adhésion à ce mouvement mondial d'intégrisme radical était donc parfaitement avéré. Fatiha Mohamed Taher Housni ne le cache d'ailleurs pas. Aussi, ces déclarations dans la présente interview accordée à LGM n'engagent qu'elle. Pour notre part, il ne s'agit, ni plus ni moins, que d'informer, sans aucun autre commentaire. Son engagement aux côtés de son époux, Fatiha Mohamed Taher Housni dit en avoir largement payé le prix en Arabie Saoudite comme au Maroc où elle a été incarcérée. De même ses deux fils ont subi les conséquences des tribulations dangereuses de leur père. Le cadet, Adam, a été tué en même temps que son père à Rass en Arabie saoudite, alors qu'il n'avait que onze ans et demi, lors des derniers affrontements avec les services d'ordre saoudiens. L'aîné, Ilyass 12 ans et demi, a partagé la prison avec sa mère en Arabie Saoudite puis au Maroc pour une période d'à peu près une année au point de perdre la raison. Aujourd'hui, Oum Adam réclame les dépouilles de son mari et de son fils pour un enterrement à La Mecque avec des tombes reconnaissables. Elle voudrait bien, dit-elle, aller vivre en compagnie de son fils Ilyass en Afghanistan. Interview. La Gazette du Maroc : votre mari ainsi que votre fils auraient été tués en avril dernier par les services de l'ordre en Arabie Saoudite. Aujourd'hui, on dit que vous avez adressé deux missives aux gouvernements marocain et saoudien. Pourquoi une telle démarche ? Fatiha Mohamed Taher Hassani : effectivement, j'ai envoyé deux lettres le 10 avril 2005 au ministère de l'Intérieur marocain et à son homologue saoudien pour qu'ils m'informent officiellement sur le sort de mon mari Abdelkrim Thami El Mejjati et mon fils Adam que l'on dit tués à Rass, en Arabie Saoudite, lors des affrontements avec les services de l'ordre Saoudiens. Dans les deux lettres, j'ai demandé aux deux responsables sécuritaires de m'informer officiellement, et avec preuves à l'appui (un test d'ADN), de la mort de mes deux proches. Je leur ai également demandé de me permettre de me rendre à Riyad avec sa deuxième épouse qui habite à l'étranger pour voir de nos propres yeux les deux corps et les enterrer, si c'est possible, à La Mecque là où tout bon Musulman souhaite y finir ses jours. Ma requête est très simple et se justifie d'elle même. Tant que je n'ai pas vu de mes propres yeux les dépouilles de mon mari et mon fils Adam, je ne peux jamais faire leur deuil. Si j'ai décidé d'en parler aujourd'hui, c'est parce que tout simplement je veux en avoir le cœur net pour que je puisse, comme toute veuve qui a perdu également son fils, tourner cette page. Comment avez-vous appris que votre mari et votre fils ont été tués en Arabie Saoudite? J'ai appris la nouvelle grâce à une amie qui m'a appelée le soir même de l'annonce de la mort de Abdelkrim Thami El Mejjati sur la chaîne Al Arabiya. Ma première réaction, une fois le coup encaissé, a été de dire " Al Hamdoulilah " (Dieu merci). Vous ne pouvez pas imaginer le fardeau que je portais depuis qu'on m'a arrêtée en mars 2003 chez un ophtalmologue à Riyad pour être transférée peu après au Maroc. J'avais peur qu'il lui soit arrivé un malheur surtout qu'il faisait l'objet de cinq avis de recherche émanant de cinq Etats différents : le Maroc, l'Arabie saoudite, la France, les Etats-Unis et l'Espagne. Pour quels motifs et dans quelles circonstances vous a-t-on arrêtée à Riyad ? C'était le 23 mars 2003. Et c'était l'une des rares fois que je me permettais de sortir en ville. Nos déplacements, mon mari et moi-même, sont très limités et nous nesortions qu'en cas d'une éventuelle descente policière où pour changer d'habitation en cas d'alerte. Bref, ce jour-là, je devais me déplacer pour me rendre chez l'ophtalmologue en compagnie d'un frère, sa femme et mon fils Ilyass. Sur place, et après la visite, nous avons été encerclés par les éléments des services secrets saoudiens qui nous ont sommé de les accompagner sans autres explications. Mon long calvaire a débuté à cet instant-là. J'avais très peur pour mon fils qui n'avait que 10 ans et demi, et dont le seul malheur, était de se trouver au mauvais endroit et au mauvais moment. Mais comment ont-ils pu vous capturer alors que c'est votre mari qui était recherché ? Je ne peux pas répondre à cette question, mais par contre ce que je peux vous confirmer c'est qu'à cette époque-là les services de l'ordre saoudiens n'étaient même pas au courant de la présence de Karim Thami El Mejjati sur le territoire saoudien. Le piège qu'ils nous avaient tendu ce jour-là chez l'ophtalmologue était destiné plutôt à un certain Khalid El Jouhani, chez qui nous nous cachions moi et mon mari, qui devait m'accompagner ce jour-là chez l'ophtalmologue. Celui-ci a été localisé depuis qu'il a été identifié sur une casette vidéo dans la maison d'Abou Hafs Al Missri à Kandahar brandissant une arme après l'avoir embrassée. Pour des raisons de santé, Khalid El Jouhani (pourtant le seul chargé de mon dossier médical) a changé d'avis pour confier cette mission à quelqu'un d'autre. Mais, par je ne sais quel moyen (peut-être à cause de son empreinte vocale), les services saoudiens ont pu localiser l'une de ses communications téléphoniques pour nous tendre le piège. Mais le destin en a voulu autrement. Que s'est-il passée par la suite? Une fois que je leur ai donné mon identité, les enquêteurs ont tout de suite compris qu'ils ont mis la main sur un gros poisson. Et ils ont également appris à travers moi que Abdelkrim Thami Mejjati était bel et bien à Riyad. Les interrogatoires se suivaient, se ressemblaient et les enquêteurs voulaient coûte que coûte obtenir des informations sur le parcours jihadiste de mon mari ainsi que ses projets terroristes qu'ils comptait perpétrer en Arabie Saoudite. Je me rappelle beaucoup de ce premier jour d'interrogatoire qui a été pour moi le jour le plus long de ma vie. C'était la pire des choses qui pouvait m'arriver. Je préférais être tuée en Afghanistan que de tomber entre les mains des services de sécurité. Surtout mon fils Ilyass, lui aussi, subissait les affres des interrogatoires musclés. Sur quoi vous ont interrogé les services de l'ordre saoudiens ? Les interrogatoires étaient tous axés sur mon mari Abdelkrim Thami El Mejjati. Les enquêteurs voulaient savoir par tous les moyens où se cachait mon mari. Chose que je ne savais pas puisque je ne pouvais pas contrôler ses mouvements. Ils m'ont alors conseillé de lui écrire une lettre ouverte, qui allait être publiée dans la presse, et lui demander de se rendre aux autorités. Bien évidemment, ils m'ont assuré en contrepartie qu'ils allaient nous relâcher sans aucune condition. J'ai refusé ce deal parce que je ne peux jamais accepter que Abdelkrim Thami El Mejjati soit traité comme un vulgaire criminel ou un terroriste. Je le dis et je le répète : mon mari est un simple moujahid dont le seul tort est de vouloir servir la cause des Musulmans en Bosnie comme en Afghanistan. Vous avez refusé d'ecrire la lettre au détriment de votre fils Illyass qui a été arrêté en votre compagnie. N'est-ce pas là un sacrifice lourd de conséquences pour vous et surtout pour votre fils ? Vous avez raison en quelque sorte, car dès qu'ils ont compris qu'ils n'allaient rien obtenir, ils ont vite changé de méthodes. Et mon fils a été pour moi le point faible qu'ils ont bien exploité. Les interrogatoires sont devenus plus serrés, plus durs. Et tous les moyens étaient bons pour arriver à me faire craquer. Je reconnais que la torture n'a pas été physique, mais elle a été plutôt psychique et morale. Et mon fils n'a pas été épargné pour autant. Au contraire. Ilyass a subi le même traitement que moi pour l'unique objectif : avouer l'éventuelle cachette de mon mari Abdelkrim Thami El Mejjati. Toute information, banale soit elle sur mon mari, est capitale aux yeux des enquêteurs saoudiens. Elle est enregistrée, examinée, recoupée, et envoyée aux différents services secrets des pays concernés pour vérification. Pendant tout ce temps-là, nous étions retenus dans l'une des prisons des services secrets saoudiens à Riyad qui porte le nom d'Alicha. Peu après, nous étions transférés à une autre prison dont je ne connais pas le nom exact, mais nous avons fini par lui trouver une appellation : la prison " des interdits ". Interdit de parler aux gardiennes, interdit d'avoir le tapis de prière, interdit de demander quoi que ce soit… Ils ont tout fait pour faire pression sur moi pour que je balance mon mari. Mon fils et moi-même, nous avons vécu de longues journées dans une immense cellule avec près de 16 tubes de néon allumés 24 heures/24. Autres exemples de torture : ils nous réveillaient souvent tard la nuit pour prendre mes empreintes et des photos ainsi que celles de mon fils. J'ai piqué à plusieurs reprises des crises de folies pour des histoires du genre que les gardiennes avaient éteint la climatisation. Avec une cellule hermétique et le temps qu'il faisait à Riyad ( plus de 40 degrés), nous arrivions à peine à respirer. C'était insupportable pour nous dans la mesure où j'étais atteint d'une grave maladie qu'est le cancer. En tout et pour tout, nous sommes restés là-bas plus de trois mois et demi, avant d'être transférés au Maroc. Pourquoi et dans quelles conditions vous a-t-on transféré vers votre pays d'origine ? Le transfert s'est fait dans de bonnes conditions le 20 juin 2003. Sans nous prévenir, les autorités saoudiennes nous ont mis dans une fourgonnette blindée pour aller à l'aéroport de Riyad. Là-bas, nous avons eu un traitement VIP : salle d'honneur, avion Jet privé, une escorte digne des hautes personnalités… Mon fils Illyas était tout heureux croyant que nous allions partir chez sa famille au Maroc. Pour ma part, j'étais très angoissé pendant toute la durée du voyage. L'avion a fait escale au Caire et je me rappelle que nous sommes arrivés la nuit du même jour au Maroc. L'atterrissage s'est fait dans un aéroport qui m'est inconnu. Comme l'endroit où l'on m'a détenue jusqu'au 17 mars 2004, soit 9 mois de détention. On prête à votre mari son implication dans plusieurs attentats terroristes, notamment à Casablanca, Madrid et en Arabie Saoudite. Qu'en dites-vous ? Puisque nous y sommes pourquoi pas Pearl Harbor, Hiroshima, l'assassinat de Kennedy et le Tsunami. Ecoutez. Comment se fait-il que Karim El Mejjati se soit déplacé dans plusieurs pays sans qu'il soit repéré par les services secrets qui étaient à ses traces. Je peux vous le confirmer: mon mari n'a rien à voir avec ce sui s'est passé aussi bien au Maroc qu'à Madrid. Par contre, en ce qui concerne l'Arabie Saoudite, je ne peux ni confirmer, ni infirmer. Peut-être en le privant de sa femme et de son fils Ilyas, les Saoudiens l'ont mis au pied du mur. Où était votre mari en mai 2003, lors des attentats qui ont frappé la ville de Casablanca ? À ce moment-là, j'étais en prison en Arabie Saoudite et mon mari faisait déjà l'objet d'un avis de recherche international. Mesurant 1m95, il ne peut en aucun cas se déguiser dans des vêtements féminins, pour se rendre au Maroc exécuter ses projets puis aller en Espagne pour les mêmes objectifs et regagner le territoire saoudien pour tomber dans les filets des services de l'ordre. C'est un raisonnement ridicule que personne ne peut admettre. À votre avis qui se cache derrière les attentats de Casablanca ? C'est une question qu'il faut poser aux autorités marocaines qui jusqu'à présent n'ont pas trouvé les coupables. À mon avis, il faut exclure la piste d'Al Qaïda dans la mesure où elle ne les a pas revendiqués. Dans ce sens, je cite l'exemple des attentats de Madrid qui ont été revendiqués le soir même par l'organisation d'Oussama Ben Laden, malgré les affirmations du gouvernement Aznar qui les a attribués à l'UTA. Les attentats de Casablanca n'ont jamais été l'œuvre d'Al Qaïda. Et mon mari n'a rien à voir avec l'étiquette qu'on lui a collée. Si on vous demande de qualifier Karim El Mejjati? Quel jugement porteriez-vous sur lui ? Karim Thami Mejjati n'est pas un terroriste. C'est un Moujahid qui s'est déplacé en Bosnie et en Afghanistan pour combattre les ennemis de l'Islam et rendre justice aux Musulmans. Et c'est cette même personne en compagnie de mon fils Adam qui attendent jusqu'à aujourd'hui d'être décemment enterrés.