Million Dollar Baby Le dernier film du réalisateur américain Clint Eastwood est un exemple de virtuosité. À travers le rapport entre une boxeuse et son vieil entraîneur, le cinéaste glisse une réflexion sur l'humain. Sublime. C'est une belle voix, à la fois chaude et sereine, aussi gorgée de vie et de compassion, qui lance le film. Tout est vu à travers le prisme de cet homme, ami fidèle de Frankie (Clint Eastwood), entraîneur de boxe, qui surveille la salle de gym, monte la garde devant le ring et rumine un passé lourd. Il s'appelle Scrap (admirable Morgan Freeman) et c'est lui qui nous dit ce que nous voyons. Il s'agit dans cette narration en voix off de l'histoire de Frankie et Maggie (Hilary Swank), jeune boxeuse, qui trime et qui a envie d'en découdre avec elle-même, le monde, la poisse et le destin. 26 films, un cinéaste Million Dollar Baby est un virage, dans ce sens que Eastwood se penche sur ce que souvent une certaine culture cinématographique américaine a considéré comme un sous-genre. Les films de boxe faisaient écho à des séries B, très approximatives sur le thème du héros solitaire qui monte sur un ring, décoche des droites, des gauches, des uppercuts et allonge l'addition. Après le merveilleux Mystic River, c'est un réel défi de se frotter à un type filmique qui, en somme, n'est pas très loin de ses réussites Western avec Pâle Rider et Impitoyable. La même dynamique du retrait qui fait du personnage central une espèce d'anti-héros qui répond parfaitement à la conscience de Eastwood, lui-même, conscient de la vacuité d'un tel vocable et de ses signifiances. Quand on fait un tour d'horizon dans la filmographie de l'ex-star des Western Spaghettis de Sergio Leone, on est frappé par la constance d'une même thématique sur la désillusion et la quête de soi au-delà du conformisme habituel et le formatage pseudo-individualiste à l'américaine. En s'attaquant à la boxe, il s'installe davantage dans la marginalité. Et elle est d'autant plus extrême (la marginalité) que c'est d'une boxeuse qu'il est question. Fait étrange et d'autant plus attachant, on s'attend à retrouver sur ce ring eastwoodien des odeurs de Raging Bull, mais il n'en est rien. C'est un film sur la boxe qui ne ressemble à aucun autre sur les gants, la sueur, les filets, les arcades sourcilières éclatées et le sang qui gicle. Nous sommes tout autant loin de Fat City, le classique de John Huston ou encore “Nous avons gagné ce soir”, de Robert Wise, film sage s'il en est mais dont les a priori mangent l'essentiel avant la fin du film. Là avec Eastwood, nous avons intérêt à ne pas attendre le prévu, le cela pourrait avoir ce sens ou ceci finira de cette façon. Rien de tel dans ce drame où l'on bouge comme le temps et l'on esquive d'abord soi pour affronter les autres mieux appareillé. Une femme tient le rang On pourrait longuement épiloguer sur la force de caractère de ce personnage de femme qui boxe non comme un homme mais comme le meilleur des poids sûrs de la boxe mondial. Mais ceci est le premier volet à retirer pour pénetrer dans les profondeurs de ce gymnase comme dans un corps humain doublé d'une âme en peine qui tente de trouver la brèche. Frankie tergiverse. Il refuse puis accepte, sur les conseils de Scrap, de montrer à Maggie les rouages du métier de puncheur. L'histoire prend corps et une relation d'une grande profondeur se précise. Ses contours peuvent être ceux d'un père avec sa fille, mais le jeu de la séduction, le défi du vouloir plaire, impressionner l'autre et par là même se faire accepter par soi dans le regard de l'autre font que cette romance relance l'intérêt du lien. Le jeu est ici complexe et Clint sait comment distiller l'âme de ses personnages par une force créatrice qui met l'être humain devant sa nudité primale. Hilary Swank ressemblera, par moments, à Clint lui-même comme elle endosse, par fragments l'air d'un Sean Penn pris par la douleur mystique de la rivière de la perte. Clint ne joue pas à l'acteur. Il est là presque loin de jouer, préférant son naturel anti-jeu à l'approche cabotine d'un rôle que l'on montre qu'on a travaillé. Hilary Swank dépasse son registre et montre que l'épisode Boy's Don't Cry n'était pas un joli pas et basta. Quand Clint filme, la caméra devient un personnage qui circule, flirte avec les autres caractères, leur apporte à la fois le soutien nécessaire et cette discrétion qui fait que Eastwood est l'un des rares cinéastes aujourd'hui capables de dire beaucoup de choses en peu d'images et surtout sans mots . Alors, pourquoi un ring et une femme et puis un tas de souvenirs jetés sur le plancher en sueur des jours ? C'est une réflexion sereine sur la condition humaine dans des termes simples. L'homme peut s'en tirer à moindre frais, sans trop laisser de plumes dans cette longue ascension vers soi à condition qu'il ait un second souffle. En fait, quand on boxe sur un ring et que l'adversaire vous en allonge dans les côtes et perfore votre rein, il faut savoir respirer par des voies secrètes. Aussi bête que cela, la vie : savoir encaisser et se mettre debout avant que l'arbitre ne fasse le tour de ses dix doigts et que votre coach ne jette l'éponge.