Liban Alors que le Parlement européen demande de “mettre un terme” aux activités “terroristes” du Hezbollah, le secrétaire d'Etat américain, Condoleezza Rice, évite toute accusation dans ce sens. Est-ce le début d'un changement d'attitude de la part Washington, notamment après qu'elle ait découvert, sur le tard certes, l'énorme force politique de ce mouvement au Liban ? Récit d'un Parti qui n'est pas comme les autres. Lors de son passage à Bruxelles, la semaine dernière, le leader druze, Walid Joumblat, une des figures de proue de l'opposition libanaise, a conseillé à ses interlocuteurs, Solana en premier, de ne pas exiger le retrait des armes du Hezbollah avant la libération des fermes de Chebaâ occupées jusqu'ici par Israël et de détailler : “Ne montez pas une grande partie du peuple libanais et arabe contre vous. Car ce Parti représente pour eux la seule fierté qui reste”. Le conseil de Joumblat ne vient pas d'un vide, notamment après que le quotidien américain, New York Times, ait qualifié la dernière manifestation du Hezbollah, mardi dernier, regroupant environ un million et demi de personnes, comme étant “la plus grande de l'histoire contemporaine du Liban”. Cet événement choc aurait probablement poussé l'administration Bush à réviser ses calculs dans le pays du Cèdre. En effet, les déclarations nuancées de ces derniers jours, émanant de différents responsables américains, n'ont pas réussi à minimiser l'impact de ce qui s'est qui s'est déroulé à la place Riad al-Solh, au centre ville de Beyrouth. Certains d'entre eux n'ont pas caché leur amertume, au moment où d'autres ont laissé entendre que le pragmatisme devra nous inciter à réfléchir différemment. Dans ce contexte, le spécialiste de la région, l'ancien ambassadeur américain à Damas, Edward Djerdjian, a déclaré à La Gazette du Maroc que nombreux de ceux qui ont convaincu le président Bush d'accompagner ce qu'ils avaient baptisé “révolution du cèdre”, sont désormais obligés de se poser des questions et de reconnaître qu'ils sont allés très vite en croyant transformer le Liban en pôle de restructuration de la région au nom de la liberté et de la démocratie. De son côté, l'ancien ambassadeur des Etats-Unis au Liban et l'actuel secrétaire adjoint aux Affaires étrangères, David Satterfield- qui a, il y a quelques semaines, supervisé sur place l'action de l'opposition à Beyrouth- a été, après la manifestation, le premier à appeler à effectuer la révision nécessaire de la thèse américaine. Dans un témoignage devant le comité des relations extérieures du Sénat, ce diplomate arrogant a souligné “qu'après la manifestation du Hezbollah, la donne a changé et c'est à Washington de prendre en compte les réalités sur le terrain si elle tient à faire réussir son projet au Moyen-Orient”. En bref, tout le monde est en train d'affirmer, sans pour autant le dire explicitement, que le Hezbollah n'est pas seulement aujourd'hui incontournable au Liban ; mais, en plus, il est devenu une des cartes maîtresses du “domino moyen-oriental”. Dessous d'un éventuel virage Dans l'avion qui l'amenait à Mexico, Condoleezza Rice a précisé aux journalistes qui l'accompagnaient que les Etats-Unis ne changeront pas leur position envers Hezbollah. En revanche, elle n'a plus répété les accusations contre ce parti selon lesquelles elle le considérait, il y a moins d'une semaine, comme étant une organisation terroriste. Pis, elle a fait marche arrière sur la demande de le démilitariser, rejoignant ainsi les efforts déployés par l'Onu et la France, visant à orienter cette mouvance chiite vers l'intégration au sein de la vie politique libanaise. Dans ce même ordre de changement qui reste cependant flou, le porte-parole du State department, Adam Ereli, a reconnu que Hezbollah a une importante présence politique au Liban, laissant comprendre que Washington devra traiter avec les réalités et les faits et non avec les sentiments et les amitiés. Ce qui confirme l'existence d'un éventuel virage- dont les contours ne sont pas jusqu'à présents définis- au sein de l'administration américaine concernant ce parti. Tout en niant ce fait au niveau de la politique des Etats-Unis vis-à-vis de ce dossier, un diplomate américain en poste dans un pays du Golfe- qui a préféré garder l'anonymat- a indiqué à La Gazette du Maroc que “nous vivons dans un monde réaliste où malheureusement s'imposent parfois des gens qu'on n'aime pas, mais qui sont élus par leurs peuples” ; et de poursuivre : “c'est le cas du Hezbollah et aussi du mouvement Hamas dans les territoires palestiniens”. Cet aveu montre que Washington n'a pas d'inconvénients à traiter avec ces deux organisations qu'elle avait classées, par le passé, parmi les organisations terroristes. De plus, la première est toujours sur la liste du ministère américain des Affaires étrangères qui aujourd'hui, cherche à reconsidérer sa position à son égard. De sources libanaises proches de ce dossier, on apprend que les Etats-Unis n'étaient pas prêts à une négociation avec la Syrie sur la base de l'“Irak contre le Liban”. Mais ils étaient peut-être d'accord sur un compromis qui préserve l'influence de Damas au Liban voire même la présence de son armée et ses Moukhabarates sur son territoire contre la tête du Hezbollah. Ce que le président Bachar al-Assad n'a pas accepté, préférant retirer ses troupes conformément aux termes de l'accord de Taëf. D'ailleurs, c'est pour cette raison, que le secrétaire général de ce Parti a commencé son discours adressé au million et demi de manifestants par les remerciements du chef de l'Etat syrien et d'affirmer que lui et les militants du Hezbollah sont prêts à la “chahada” pour défendre ceux qui n'ont jamais vendu leurs ames ni leurs principes comme le font actuellement beaucoup de ceux qui se prétendent diriger cette Oumma. Du point de vue de cheikh Hassan Nasrallah, comme il nous l'avait répété, le numéro 2 du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, la Syrie a préféré de prendre le risque de se retirer du Liban avec tout ce que comportera une telle décision de dangers sur sa sécurité nationale, au lieu d'effectuer la sale mission demandée et avoir le prix. Politiquement, à travers cette manifestation, “Abou Hadi Nasrallah”, comme l'appelle ses proches, aurait voulu montrer, preuves à l'appui, que le vide laissé par l'armée syrienne est d'ores et déjà comblé par une force libanaise qui considère l'Etat hébreu l'ennemi, les Etats-Unis, l'adversaire, et la France qui ne voit les Libanais que d'un seul œil- en d'autres termes, elle ne s'intéresse qu'aux intérêts des chrétiens, plus particulièrement maronites-, comme étant un “rude” ami qu'il fallait récupérer. En tout état de cause, personne ne pourra accuser Hezbollah de manque de patriotisme ni d'être à la solde de l'étranger. Car, il était le seul parmi toutes les formations politiques libanaises à combattre l'armée israélienne et la contraindre à se retirer du Sud Liban. Les conséquences de la manifestation du mardi dernier iront sans doute au-delà des déclarations faites de part et d'autre. Elles sont liées à la conjoncture régionale. Washington est arrivée à la conclusion que le succès de sa stratégie au Liban implique, du point de vue tactique, à éviter d'utiliser la carte du retrait des armes des mains du Hezbollah, au moins pour l'instant. Et, de montrer qu'il est plus raisonnable de se contenter de dire que la résolution 1559 de l'Onu est une décision qui se concrétise par étapes. Dans cette même approche, l'administration américaines compte passer un message au Hezbollah à travers le patriarche maronite, Nasrallah Sfeir, lors de la rencontre de ce dernier avec le président Bush, le mercredi 16 mars prochain à Washington. Le scénario franco-américain Quel que soit le contenu du message transmis, les Etats-Unis n'arriveront pas à neutraliser Hezbollah et ce dernier n'acceptera pas de rendre les armes avant le retrait des Israéliens des fermes de Chebaâ. En attendant, Washington optera pour une multiplication des pressions afin de finaliser le retrait syrien du Liban. Car elle considère que cette présence entrave le déroulement des élections libres. Pourtant les élections en Irak et en Palestine se sont déroulées sous deux occupations, américaine et israélienne. Le scénario américano-français comprend la préparation du terrain pour une victoire à l'ukranienne de l'opposition libanaise. C'est pourquoi Nasrallah a tenu à préciser lors de son discours que les Américains et les Français doivent comprendre, une fois pour toutes, que les équilibres au Liban sont très délicats et fragiles ; d'autant qu'ils ne doivent pas se fier aux apparences ni aux rapports des petits agents locaux. Et de terminer : “Le Liban ne sera jamais L'Ukraine ni la Géorgie”. En dépit de cette mise en garde, les Américains estiment qu'il faut laisser mûrir la situation au Liban pour permettre de transformer Hezbollah, au moins sa branche militaire en une “organisation de voyous”. Car, ils commencent à réaliser que l'estomac libanais ne pourra digérer, en même temps, le retrait syrien, celui des armes du Hezbollah et des camps palestiniens. En dépit de la confiance qu'ils ont dans leur capacité à gérer l'anarchie, comme c'est le cas en Irak, le choix porté, en fin de compte, a été en faveur de reporter cette éventualité jusqu'àprès les élections prévues en mai prochain. Surtout qu'il y a une majorité au sein de l'administration Bush qui croit que ces élections pencheront la balance en faveur des opposants. Et, de là, il serait concevable de calquer l'exemple palestinien. En d'autres termes, le nouveau pouvoir libanais deviendra une copie de l'Autorité palestinienne, notamment en ce qui concerne les tractations et le dialogue avec les organisations résistantes. Plus précisément, les négociations portant sur la responsabilité limitée de la légitimité, l'unification de la stratégie, la centralisation de la sécurité, la permission préservant le droit d'opposition politique et, le consentement autour du non-démantèlement des organisations mais, en contre partie, se contenter de bloquer toutes leurs activités. Face à ce scénario, si Hezbollah a préféré effectuer une démonstration de force sans aucune provocation, il n'a, par contre, dévoilé aucune de ses cartes qui pourraient obliger les acteurs de revoir leurs calculs. A titre d'exemple, le mouvement d'Abou Hadi est capable, pour une raison ou pour une autre, de briser la règle du jeu aux frontières nord d'Israël et, de là, entraîner cette dernière dans un engrenage. Dans une situation tendue où le gouvernement Sharon sera contraint à riposter, des changements d'ordre stratégique s'imposeront alors sur la région du Moyen-Orient. Ils auront sans doute des répercussions sur les plans mis en place par Washington et Paris pour le Liban. De toute manière, les analystes israéliens estiment que ce changement de donne ne sera pas nécessairement en faveur de Tel Aviv. Israël est jusqu'ici plus ou moins loin du bourbier libanais. Mais les étincelles des flammes pourraient atteindre ses villes et villages. Surtout que celui qui a l'initiative est toujours le Hezbollah. Dans une de ces dernières analyses, l'expert israélien en matière de sécurité et de stratégie, Zaev Cheev, a évoqué l'existence de deux courants à l'égard de la situation libanaise. Le premier est pour la présence syrienne au Liban car elle est un facteur de stabilité et, l'autre voit cette dernière dans le retrait et la démocratie. Mais, selon l'expert, aucun d'entre eux n'a la réponse sur une opération du Hezbollah qui sort de l'ordinaire pour mettre tout le monde au pied du mur. Le calme et le sang froid de cheikh Hassan Nasrallah perturbent tous les concernés du dossier libanais, même si ce dernier a interdit aux manifestants de montrer les drapeaux jaunes du Parti et de les remplacer par le drapeau libanais.