Vol de roquettes dans la caserne d'Aïn-Harrouda L'information a fait l'effet d'une traînée de poudre dans les milieux sécuritaires du pays. Toutefois, une fois passé l'effet d'annonce, l'information s'est dégonflée comme une baudruche. Selon des sources dignes de foi, les deux roquettes “disparues” de la caserne d'Aïn-Harrouda à Casabanca, n'auraient pas été dérobées, mais elles n'auraient tout simplement pas été fournies. En plus clair, les deux roquettes n'auraient jamais été livrées par les Soviétiques à l'armée marocaine. Une erreur qui arrive souvent dans ce genre de transactions. D'emblée le constat. Une caserne militaire n'est pas faite pour être médiatisée. Encore moins lorsqu'elle abrite un dépôt d'armes et de munitions de grandes sensibilités sécuritaires et stratégiques. La caserne de Aïn-Harrouda à Casablanca a été l'exception qui confirme cette règle. Une exception évidemment non recherchée, non désirée, mais dont elle a fait les frais aux corps défendant de sa hiérarchie militaire. Même si "l'affaire" a fait long feu, elle a comme même été étalée sur la place publique. Le "scoop" tel qu'il a été présenté pousse à croire que des roquettes auraient été dérobées pour un soi-disant usage pour le moins alarmant pour le pays. L'information a vite fait l'effet d'une traînée de poudre dans les milieux sécuritaires suscitant l'intervention des différents services d'inspection militaires. Mais, une fois passé l'effet d'annonce, une fois faites les vérifications de rigueur par les services d'administrations concernés, l'information s'est dégonflée comme une baudruche. "L'affaire" explosive allait se transformer en pétard mouillé au fur et à mesure que l'enquête avançait. De quoi s'agit-il en fait ? Récit détaillé des faits. Au début de la deuxième semaine de ce mois de février, le général Mourad Belahcen de la Place d'armes de Casablanca signe un message faisant état du transfert, sous-haute surveillance militaire, d'une partie de l'armement de la caserne d'Aïn-Harrouda à destination du dépôt d'armes de Benslimane. En fait, une procédure de routine à laquelle sont soumises toutes les casernes et les différentes bases militaires du pays. Le lieutenant-colonel Boutaleb, chef de corps du bataillon du transport à Aïn-Harrouda prend note du message le 8 février et donne ses instructions dans ce sens à ses subalternes pour appliquer la procédure. Jusque-là, rien que du travail de routine. Le convoi prend sa route vers Benslimane et le court trajet entre Aïn-Harrouda et la province se fait sans encombre. Les militaires rompus à ce genre d'exercice depuis longtemps exécutent l'opération dans les règles de l'art. Arrivés sur place, ils remettent les caisses de munitions aux artificiers qui s'occupent de l'entretien de l'armement. Au fait, les munitions dont il est question sont composées principalement de roquettes de type RPG7 (Reaktivniy Protivotankoviy Granatomet 7) de fabrication russe, utilisées dans pratiquement tous les champs de bataille depuis plus d'une quarantaine d'années, qui obéissent à un certain règlement d'entretien qui se fait en trois étapes. Les deux premières sont effectuées sur place dans la caserne et consistent à un nettoyage de surface pour aboutir finalement à l'étape finale qui est le démontage de l'arme qui, lui, se fait exclusivement au dépôt d'armes de Benslimane. Concernant les roquettes, le premier échelon correspond à la première étape. Le second échelon, lui, est réservé à un nettoyage beaucoup plus minutieux. Et le troisième échelon qui exige une certaine expertise s'effectue impérativement au dépôt d'armes. C'est justement au moment où les spécialistes s'affairent pour dégager les roquettes de leurs caisses plombées qu'ils se rendent compte de la disparition de deux pièces. Une mauvaise nouvelle qui met en état d'alerte la base de Benslimane. Deux roquettes qui manquaient à l'appel. La fameuse “affaire”éclate. Deux caisses supposées contenir les roquettes RPG7 étaient vides. Précisons que chaque caisse contient une seule roquette placée dans un emballage approprié avec un dispositif de stabilisation. Or, les caisses qui arrivent plombées devaient en principe être déjà soumises à un contrôle au cours de la première et de la seconde vérification qui se fait dans la caserne sous la supervision du premier responsable de l'unité qui n'est autre que le lieutenant-colonel Boutaleb. Toute l'affaire est donc là. Dès que l'information a été répercutée au niveau de la hiérarchie à Rabat, la surprise fut de taille. Le fait était rare, voire incroyable. Le chef suprême des armées, en l'occurrence S.M le Roi Mohammed VI, est mis en courant. Les instructions royales sont claires et sans appel. Erreure fatale !/B D'abord, suspendre les responsables directs de leurs fonctions. L'enquête démarre. Les premiers à se déplacer sur les lieux ne sont que les hauts gradés du 2ème bureau (renseignement militaire), ceux du 4ème bureau ( gestion du matériel et d'armement ) et le 5ème bureau (chargé de la sécurité défense sous le contrôle du général Belbachir) sans oublier la gendarmerie royale sous le commandement du colonel Hamdaoui. De fil en aiguille, on délimite les responsabilités avant de procéder aux interpellations. Le lieutenant-colonel Boutaleb ainsi que ses préposés, le chef de service armement, l'officier de sécurité défense, le maître chargé de munition, vont faire les frais de l'enquête préliminaire. L'inspecteur de l'arme train, au grade de colonel major, Aït Alla en l'occurrence, lui, sera mis à la retraite forcée jusqu'à nouvel ordre. Peu après, il s'avérera rapidement que le matériel manquant n'aurait pas été dérobé, mais il n'aurait tout simplement pas été fourni. En d'autres termes, les deux roquettes n'auraient jamais été livrées par les Soviétiques à l'armée marocaine, une erreur qui arrive souvent dans ce genre de transactions. En effet, et selon des sources proches du dossier, le phénomène est courant dans toutes les livraisons d'armement partout dans le monde. En effet, il arrive que dans une grande quantité de munitions interceptée par l'armée marocaine, on se rend compte qu'il manque quelques pièces. C'est la thèse la plus plausible que retiennent pour l'instant les enquêteurs ainsi que les hauts gradés de l'Etat major des FAR ( Forces armées royales ). Ceci n'exclut pas la responsabilité du lieutenant-colonel Boutaleb, premier responsable de la caserne d'Aïn Harrouda, qui aurait dû, au cours de la livraison déjà s'assurer que le compte était bon. En clair, qu'il ne manquait aucune pièce qu'on lui a livrée. Rappelons que le circuit classique de la livraison d'armes, pour la région de Casablanca, démarre du port de la ville vers le dépôt d'armes de Benslimane. Une commission désignée au niveau de l'Etat major à Rabat, présidée par le général Tamdi du 4ème bureau, décide alors de la quantité d'armement et munitions à fournir à chaque unité. L'inspection de la place d'armes de Casablanca intervient par la suite pour contrôler les démarches de livraisons des différentes unités et casernes (Matériel, Marine royale, Aviation, Transports, Génie, transmissions…) implantées à Casablanca. Le malheureux incident est d'autant plus sensible que la question d'armement, à l'instar de ce qui se fait ailleurs, est soumise à un règlement draconien en la matière. À titre d'exemple, lors des exercices de tirs opérés au champ de Médiouna, auxquels doit se soumettre les unités de Casablanca, les munitions utilisées sont distribuées au compte-gouttes par les armuriers des casernes. Rien à signaler… De surcroît, chaque soldat doit remettre les douilles des cartouches ou les étuis de roquettes à son superviseur avant même de regagner son poste. Les étuis et les douilles sont ainsi comptabilisées, avant d'être envoyées au dépôt d'armes de Benslimane qui alimente au fur et à mesure les casernes en munitions. Chaque opération obéit donc à ce règlement très strict qui impose une rigueur en matière de contrôle et de supervision de l'armement du pays. Le lieutenant-colonel Boutaleb et ses préposés ont donc commis une grosse erreur professionnelle. Une erreur pour laquelle ils devront passer, une fois l'enquête achevée, devant le tribunal permanent militaire, à Rabat, seul habilité à trancher dans ce genre d'affaires. Erreur professionnelle d'autant plus grave que les rapports mensuels de l'officier supérieur de la caserne d'Aïn-Harrouda adressés à son Etat-major était toujours suivis de la mention RAS : Rien à signaler. Ainsi chaque mois, le lieutenant-colonel Boutaleb rend compte de la situation de son armement conjointement à son chef hiérarchique qu'est le général Mourad Belahcen de la place d'armes de Casablanca, également responsable de la direction de réception et de transit sis Bd Hassan II à Casablanca, ainsi qu'aux hauts responsables du 4ème bureau à Rabat. Au jour d'aujourd'hui, on en est là. Les principaux concernés sont aux arrêts, d'autres sont relevés de leurs fonctions, et l'enquête suit son cours dans la discrétion la plus totale. C'est le tribunal militaire de Rabat qui tranchera finalement à la fin de l'instruction, une instruction où les accusés ont le droit, comme le stipule la loi, d'être défendus par des avocats militaires. Si dans ce cas de figure, il n'y a pas lieu de s'alarmer, puisqu'il s'agit bel et bien d'une fausse alerte, “l'affaire” en elle-même donne sérieusement à réfléchir. Elle a prêté, dans un sens, à interprétation et spéculation. Particulièrement dans le contexte actuel, aussi bien national qu'international. Au niveau local, le syndrome terroriste qu'a vécu ( et que vit toujours ) le Maroc bien avant le 16 mai et après le 11 septembre des Etats-Unis. L'éclatement d'une telle affaire permet ni plus ni moins qu'à renforcer le syndrome et à échafauder des scénarios alarmistes et craintifs au pays et à la population. Rappelons que la préoccupation sécuritaire centrale du pays a été et est toujours les armes. Les terroristes, présumés ou réels, disposent-ils d'armes pour perpétrer des attentats style 16 mai à Casablanca. On a beaucoup parlé de sabres et d'armes blanches, mais depuis cette date, le Maroc s'est vu confronté à un danger imminent qui permettait à des individus fanatisés de disposer d'un matériel certes artisanal mais dangereux. Donc, l'environnement prête à croire ce genre d'information de vol de roquettes surtout après l'incident de la caserne de Taza. Rappel rapide des faits: En 2003, un contrôle de routine à la caserne militaire de Taza faisait état de la disparition d'une kalachnikov et de 15 boîtes de cartouches. L'alerte donnée, la gendarmerie, qui a placé des barrages sur tous les points d'accès de la région a réussi à arrêter le jeune soldat le lendemain du vol chez lui, à Meknès, et par la même occasion a mis la main sur le pistolet-mitrailleur. L'interrogatoire du soldat a levé le voile sur des complicités au sein de la caserne, une dizaine de militaires seraient impliqués dans l'organisation de ce vol. Pour ce qui est des véritables commanditaires de l'opération, selon les déclarations du militaire arrêté, ces armes étaient destinées à être vendues à un repris de justice, recherché pour meurtre, qui projetait le braquage d'une banque. Mais les arrestations opérées dans le cadre de l'enquête montrent bien que les autorités soupçonnaient les milieux extrémistes islamistes. L'arrestation de Abdelwahab Rabiï et de trois autres activistes islamistes à Meknès a mis effectivement les enquêteurs sur la piste islamiste. Selon les dires du soldat incarcéré, qui lui-même flirtait avec la mouvance islamiste d'après les enquêteurs, Rabiï devait récupérer l'arme dans un premier temps et la cacher avant de l'acheminer vers Casablanca. Bien avant cette histoire, le Maroc a connu bien meilleur. C'était en août 1994. Lorsqu'une bande d'Algériens naturalisés Français, conduite par un certain Stéphane Aït Idder, ont attaqué l'hôtel Atlas-Asni à Marrakech, le 24 août 1994. Un coup de main sanglant qui avait fait deux morts parmi des touristes espagnols. Les apprentis déstabilisateurs venaient de France, mais l'implication de la sécurité militaire (SM) algérienne était patente. Elle sera magistralement démontrée lors du procès des poseurs de bombes au métro Port-Royal, devant le tribunal de grande instance de Paris à partir du 9 décembre 1996. Durant ce procès, les ramifications du terrorisme sous couvert intégriste et sous contrôle de la SM, sont méticuleusement disséquées. Les commanditaires de l'attentat de Marrakech y sont largement évoqués et certaines recrues, cyniquement manipulées, fermement condamnées. Deux mois avant le forfait d'Atlas-Asni, en juin 1994, une autre bande, celle de Hassan Ighiri, est démantelée et jugée. Cette association de malfaiteurs en service commandé, comprenait deux Algériens, Hamez Saïd et Cheblal Omar. Deux tentatives rapprochées d'infiltration armée, avec passage à l'acte criminel à Marrakech. Le supposé lien entre la vraie fausse-affaire de la caserne de Aïn-Harrouda et des deux autres cas soulevés saute aux yeux, mais il reste sans intérêt aux yeux des militaires interrogés pour la circonstance. Au contraire, disent-ils. Pour éviter ce genre de spéculation médiatique, il faut se pencher plutôt sur ceux à qui profite le crime. En plus direct, ils mettent le doigt sur les courants islamistes qui peuvent très bien exploiter ce non-événement à des fins purement politiques. Le reste, tous les militaires s'accordent à dire qu'il en faut un peu plus pour ébranler toute une armée qui en a vu d'autres.