Circuits parallèles La vente de la drogue rapporte aux gros bonnets de Tétouan et de Tanger près de 10 milliards d'euros, soit 25% du PIB de 2003. Cet argent n'est pas toujours mis à l'abri dans des paradis fiscaux, mais bel et bien ramené au Maroc et blanchi. Les scandales, saisies et procès qui ont éclaté au cours de la dernière décennie, illustrent parfaitement une réalité. Investir dans l'immobilier s'avère discret, mais ne peut pas absorber tous les flux de l'argent sale. Les trafiquants redoublent d'ingéniosité et multiplient les sociétés écrans, les opérations entre banques et parfois entre pays pour brouiller les pistes. La piste traditionnelle de l'immobilier laisse de plus en plus la place à l'or et au diamant. La législation marocaine, laxiste, tarde à cerner le problème. Les banques, elles, respectent certes leur devoir de vigilance, mais leur marge d'interprétation reste réduite malgré le pouvoir discrétionnaire. Les circuits parallèles sont des blanchisseries qui lavent plus blanc que le blanc. Plusieurs organismes internationaux se sont penchés sur la question. Le Groupe d'action financière internationale (GAFI) a même dressé une typologie des méthodes de blanchiment. Qu'en est-il au Maroc ? Le rapport publié par l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) en 2003 a estimé la manne rapportée par la vente de drogue à 100 milliards dh (10 milliards d'euros). À supposer qu'une bonne partie reste à l'étranger, où va l'argent qui rentre au pays ? Profitant des failles du système tant bancaire que douanier, les barons de la drogue privilégient les projets capitalistiques, travaillent derrière une façade respectable et engagent avocats, notaires et autres pour brouiller les pistes. Le projet de loi contre le blanchiment a listé une kyrielle d'établissements, professions et corporations pouvant être mêlés au blanchiment. À commencer par les sociétés de gestion de patrimoine et en terminant par les sociétés de bourse. Restreindre la gestion de l'argent sale de la drogue à la seule région du Nord relève de l'euphémisme. Des sociétés respectables travaillant dans l'agroalimentaire, la pêche hauturière, le transport et l'import-export basées à Casablanca, Rabat, Agadir ou dans le Sud sont observées de près. A Rabat, on affiche volontiers son engagement de mettre de l'ordre et d'assainir les comptes. Cependant, la tâche ne s'avère pas aisée en raison des accointances avec le politique et la pénétration de l'argent de la drogue dans le circuit bancaire. Quoi qu'il en soit, les frontières passoires que crée la mondialisation en marche, le manque de coopération internationale, les négligences, les faiblesses et les lacunes des divers systèmes de justice et de police des différents pays impliqués, créent des brèches par où s'infiltrent les trafiquants. La complexité croissante des techniques financières, des flux de capitaux profitent aux délinquants. Les statistiques du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux (AGFI) concernant les déclarations d'opérations suspectes présentées par les membres du groupe, ont fait apparaître une augmentation tendancielle dans la plupart des membres, et cela avant même les attentats du 11 septembre. Selon les membres qui ont présenté des informations sur ce point, le nombre de déclarations a augmenté d'un quart à plus du double après les attentats, par rapport à l'année précédente. Cette tendance semble également avoir persisté dans beaucoup de pays et territoires, au lieu de s'estomper progres-sivement comme on aurait pu s'y attendre. Certaines analyses ont attribué la première vague de déclarations, à la fin de 2001 et au début de 2002, à une réaction directe aux attentats, c'est-à-dire à une plus grande sensibilisation à la menace d'une utilisation abusive du système financier à des fins terroristes, plutôt qu'à une augmentation soudaine de cette utilisation