Elections palestiniennes Partout dans les territoires occupés, on s'accorde à affirmer que ces élections dont les résultats sont connus d'avance, sont sans âme. Et que, tout a été ficelé afin qu'elles répondent à des besoins conjoncturels, ayant un rapport avec ce qui est en train de se mettre en place dans la région du Moyen-Orient. C'est au nouveau président en la personne de Mahmoud Abbas (Abou Mazen) de prouver le contraire. “Abou Mazen est le candidat de tous, sauf des Palestiniens”. C'est ce qu'a déclaré, vendredi 7 janvier au soir, à la Gazette du Maroc un ancien membre du comité exécutif du Fath et, d'ajouter : “s'il représente une nécessité dans les circonstances actuelles pour les Américains, il ne l'est pas pour les Israéliens. Car ces derniers craignent l'émergence d'une direction palestinienne modérée”. En dépit de ce constat assez critique, les Palestiniens se sont rendus, samedi matin, aux bureaux de vote pour exercer leur droit démocratique en choisissant le président de leur autorité. L'importance de cette échéance, c'est qu'elle se déroule en l'absence du chef historique, Yasser Arafat. Aussi, en présence d'un tas de problèmes aussi bien politiques qu'économiques ardus alors que l'occupant israélien poursuit sa politique de massacres et de destruction. A la fermeture des bureaux de vote, les sondages indiquent que la concurrence la plus significative politiquement a été entre le candidat du Fath, le chef de l'OLP, Mahmoud Abbas et le candidat des indépendants, Moustapha al-Barghouti –qui n'a aucun lien de parenté avec Marwan-, qui est soutenu par les partis de l'opposition notamment le FPLP de Georges Habache. En tout état de cause et malgré les provocations et les incidents initiés par les autorités israéliennes, la campagne a fait apparaître un appétit de démocratie. Un constat partagé par Michel Rocard, chef de la mission d'observation électorale de l'Union européenne, contacté jeudi matin. Ce dernier n'a pas caché son étonnement quant à l'attitude responsable du peuple palestinien, toutes tendances confondues. De son côté, le président du Haut conseil des élections locales, Jamal al-Chawbaki, estime que les Palestiniens participent à ces élections dans l'objectif de recouvrer la liberté et l'indépendance. Mais comment en arriver là alors que l'occupation de leur pays se poursuit. Toutefois, force est de noter que le climat accompagnant les élections est encourageant. Car, il reflète la nécessité de réactiver la vie politique surtout que la situation n'a connu depuis 1996 aucune véritable action dans ce sens. Scénario optimiste du lendemain... Sur ce point les analystes politiques palestiniens, dont Hani Habib, voient qu'Abou Mazen pourrait sauter sur l'occasion qui se présente pour tenter de faire sortir le processus de paix de l'impasse. Il misera sur plusieurs facteurs, plus particulièrement le revers qu'essuie la politique américano-britannique en Irak, à l'heure actuelle. Dans ce contexte, Abou Mazen devra convaincre ses interlocuteurs américains que la relance des négociations de paix pourrait atténuer l'ampleur de l'échec irakien ; surtout que rien n'est certain avec les élections prévues le 30 janvier prochain dans ce pays. Toujours dans ce même ordre d'analyse, le programme clair et modéré d'Abou Mazen pourra avoir des effets positifs sur le plan interne palestinien. Ce qui ne peut que se répercuter sur l'extérieur notamment, l'environnement régional. De ce fait, la situation émanant des élections imposera, en fin de compte, au gouvernement Sharon, une série de nouvelles donnes auxquelles celui-ci a réussi par le passé à se dérober. Le Premier ministre israélien et ses généraux ne peuvent plus désormais dire qu'ils n'ont pas un “partenaire palestinien” ou bien, “les Palestiniens n'ont que la seule politique des kamikazes et le bombardement par le biais des missiles al-Qassam”. Néanmoins, les autorités israéliennes feront de leur mieux pour que le candidat favori, Mahmoud Abbas, ne vienne en force. Au point de faciliter la tâche au principal concurrent, Moustapha al-Barghouti. Son arrestation sur l'esplanade de la mosquée d'Al-Aqsa, vendredi dernier, vise à lui faire de la propagande. En bref, le gouvernement Sharon n'a aucun intérêt de voir une direction modérée aux commandes. Car, il est pour la violence dans une partie palestinienne. Ce qui l'aidera à réaliser sa politique avec une couverture internationale. Et, de-là, continuer son projet du mur de séparation qui constituera dans l'avenir un obstacle difficile à surmonter lorsqu'il s'agira de discuter du statut final. Parmi les autres éléments qui rendent le scénario optimiste le lendemain du scrutin, la désorganisation apparue ces dernières semaines au sein du mouvement islamique Hamas. Les observateurs les plus avertis estiment que les consignes de boycottage données ne seront pas respectées à la lettre. C'est ce qui s'est d'ailleurs passé dans certaines villes et villages de Cisjordanie où les cadres politiques du Hamas sont plus entendus que les responsables d'opérations militaires. Par ailleurs, de sources proches du Premier ministre, Ahmed Qoreih, qui sera apparemment reconduit dans ses fonctions, on apprend qu'Abou Mazen réserve une grande surprise à la population. Celle-ci consiste à payer tous les retards aux fonctionnaires de l'Autorité, indemniser par étapes ceux qui ont perdu leurs maisons, et mettre sur pied un projet visant à soutenir les agriculteurs dont les plantations ont été rasées par les bulldozers israéliens. Egalement, embaucher quelque milliers de jeunes chômeurs. Ces sources affirment que le financement de ces initiatives est déjà assuré. Une telle opération de cette envergure ne peut que consolider les positions de Mahmoud Abbas au lendemain de son élection et laissera en porte-à-faux ses adversaires qui misent sur un échec interne cuisant dès les premières heures. Cependant, ce scénario et ces données n'excluent pas l'existence d'autres obstacles internes de taille qui pourraient affaiblir le successeur de Yasser Arafat voire le déstabiliser. … Et l'autre pessimiste En dépit des sondages qui donnent Abou Mazen vainqueur avec plus de 55 % contre son principal concurrent, Moustapha al-Barghouti, avec moins de 22 %, le nouveau chef de l'autorité palestinienne sera confronté à de nombreuses épreuves internes dont certaines viennent de sa propre organisation, le Fath. Ces difficultés surgiront lorsqu'il tentera d'effectuer des modifications significatives s'adaptant aux circonstances. A ce moment, Mahmoud Abbas devra faire face aux attaques de la part des privilégiés qui n'accepteront guère de céder ou d'accepter le projet “réformiste” de ce dernier. Abou Mazen devra prendre en compte les 22 % de voix réalisés par son adversaire “indépendant”. Surtout lorsqu'on sait que son parrain n'est autre que le Dr Haïdar Abdel Chafi, considéré comme étant la personnalité la plus intègre et la plus populaire de la bande de Gaza. Celui-ci estime que le moment opportun est venu de mettre fin à l'hégémonie du Fath sur la vie politique palestinienne et de-là, créer une organisation qui remplace celle qui s'est essoufflée par environ 40 ans d'existence. Dès le début de la campagne électorale, Israël a libéré 159 détenus palestiniens et arrêté la construction du mur de séparation. Sharon a prétendu faire ce geste pour préparer le terrain à la victoire d'Abou Mazen. Il a même dit qu'il a donné des consignes à son armée pour réduire la pression sur Gaza. Mais Sharon a posé comme condition au leader palestinien de s'opposer aux dirigeants de l'Intifada et aux partis appelant à la poursuite de la résistance armée. Si Abou Mazen a montré une certaine souplesse sur le plan de son discours politique après la libération des prisonniers, il a été contraint par la suite, notamment après les massacres perpétrés, de prendre des positions plus fermes. Ce qui a été considéré par le Premier ministre israélien comme étant un non-respect des engagements pris. Dans ce contexte, les analystes n'excluent pas que le gouvernement israélien revienne à la charge et demande à nouveau au président palestinien de présenter ses excuses pour avoir commis l'erreur monumentale lorsqu'il a parlé de l' “ennemi sioniste”. Cela dit, Mahmoud Abbas sera confronté à un avenir tourmenté après sa victoire aux élections. Car les radicaux du Hamas et du Jihad islamique lui demanderont sans tarder de respecter les sacrifices des martyrs. D'autre part, les faucons du Fath et les brigades des martyrs d'Al-Aqsa lui demanderont, à leur tour, de respecter le testament de son prédécesseur et de tirer les leçons de quarante ans de leadership. Il est certain qu'Ariel Sharon profitera de la situation perturbée du nouveau président pour le pousser à frapper les “terroristes” contre la reprise des négociations. Cette reprise pourrait coïncider avec le vote, courant de ce mois, sur l'autorisation d'entamer le retrait de Gaza. Parallèlement, l'administration américaine espère que l'Egypte jouera un rôle efficace auprès des organisations palestiniennes radicales afin de faciliter la mission d'Abou Mazen. Le Caire a confié cette tâche à un ancien général des services de renseignements égyptiens nommé Abdelkhalek. Ce dernier occupe actuellement le poste d'attaché du bureau de représentation à Gaza. Les initiatives de ce général ont porté leurs fruits suite à l'explosion du tunnel de Rafah Reste à savoir maintenant si le duo Sharon-Perès est prêt à aider Mahmoud Abbas en lui faisant des gestes rapides et concrets ? Lors du congrès d'Hertzilia, plusieurs choix lui ont été proposés dont le dernier est celui du retrait graduel de la bande de Gaza et de la Cisjordanie pendant une période qui prendra fin en 2008. Ce choix sera accompagné par une déclaration israélienne reconnaissant un Etat palestinien avec des frontières provisoires ou des frontières non définies ! Ce jeu de mots sur les frontières du futur Etat palestinien constitue l'épreuve de force entre Mahmoud Abbas et les Israéliens. Si les Etats-Unis et l'Europe ne le soutiennent pas, sa situation interne sera difficile. Surtout si Ariel Sharon et ses généraux terminent la construction du mur de séparation avant la fin de cette année ; continuent à ordonner à leur armée de procéder aux incursions quasi-quotidiennes et consolident le bouclage hermétique des villes. A ce moment-là, le projet modéré d'Abou Mazen tombera à l'eau. Dans tous les cas de figure, les élections palestiniennes auxquelles participent 22 394 observateurs dont 800 étrangers ainsi que l'ancien président américain, Jimmy Carter; et l'ancien candidat des Démocrates, John Kerry, devront attirer l'attention que ce peuple qui peine à recouvrer sa liberté et son indépendance est le dernier à être occupé en ce XXIè siècle.