L'armée espagnole et le trafic de haschich L'armée espagnole stationnée à Sebta et Melilla n'est point épargnée par les sales affaires de trafic de drogue. Du kilo au tonnage, les convois militaires accompagnent à bon port la cargaison qui atteint sans pépin sa destination en Espagne, avant d'être acheminée parfois dans le reste de l'Europe. Ce n'est pas la première fois que cela arrive. Dans des affaires proches, au début du mois de décembre 2004, la police des ports de Melilla avait intercepté quelques kilos épars de haschich, cachés ici et là dans des véhicules de l'armée. Cela s'est passé au même moment que la grosse prise des 150 kilos qui paraît plus importante sur l'échiquier et pousse à quelques interrogations. En remontant dans les mois, jusqu'en 2002, on a d'un côté 40 kilos de haschich trouvés chez l'armée stationnant à Melilla, puis, le même mois, dans le port, la police était tombée sur 760 kilos de haschich enfouis dans un véhicule militaire… Des affaires qui traînent sans coupables depuis des années pour ne pas fustiger tout un corps, pour ne pas damner deux villes, poreuses et presque irréelles dans le Détroit, par où transiteraient des tonnes et des tonnes de drogue chaque saison. L'affaire de novembre 2002 (lire encadré), étouffée comme il se doit, augure des quantités pouvant transiter sans ombrage dans des convois officiels de l'armée espagnole… Des affaires jetées aux oubliettes On se demande aussi combien il y a eu de cas passés sous silence dans les ports de Melilla, et certainement Sebta, et combien de militaires espagnols ont réussi à faire passer du haschich, soit pour leur propre compte, soit pour le compte de trafiquants ? Ce qui signifie plus gravement dans la seconde occurrence que les frontières et moyens de transport de l'armée étaient monnayés par certaines autorités militaires. Il est à signaler que tous les militaires qui partent en permission vers la péninsule sont soumis à une fouille personnalisée pour éviter que de petites quantités de haschich ne voyagent avec eux. Aujourd'hui, dans une affaire liée à l'armée stationnant à Melilla, 150 kilos de haschich viennent d'être interceptés dans le port de la cité, samedi 4 décembre courant, au même moment que les petites prises de centaines de grammes ou de quelques kilos. Les différentes saisies ont été faites dans une file de véhicules appartenant à l'armée s'apprêtant à embarquer sur le navire militaire «Pizarro», à destination d'Alméria pour y effectuer des manœuvres militaires. Les 150 kilos de haschich étaient cachés à l'intérieur de quatre sacoches dissimulées dans un camion Pegaso, dépendant du bataillon du quartier général. Des militaires ont été arrêtés dans la foulée et placés en garde à vue. Ce qui ne lève pas le voile sur les agissements de l'armée qui maintient dans un flou grandissant les tenants et les aboutissants de cette enquête. Sur le port, cette visite inopinée de la police ressemblait davantage à une descente en bonne et due forme. Sur la place, il y avait plusieurs militaires trafiquants qui avaient choisi le même moyen pour faire passer la camelote de l'autre côté de la rive. A côté de la grosse prise des 150 kilos, les autres prises dans d'autres véhicules, allant jusqu'à quelques kilos, ne sont pas pour l'instant évoquées. Ce qui pousse à dire que le moment choisi par ces militaires –la traversée en convois du Détroit de Gibraltar- est un rendez-vous habituel qu'utilisent plusieurs soldats et autres galonnés pour faire acheminer la drogue vers l'Espagne. Ouvrir la boîte de Pandore On se demande alors pourquoi l'Espagne peut tolérer autant de banditisme dans les rangs de son armée ou de sa police, comme dans l'affaire des quinze officiers de la garde civile melillaise trempant dans le trafic de drogue? Des affaires qui pourront être tournées en procès contre une poignée de flics ripoux. Les villes de Sebta et Melilla, villes gangsters dans lesquelles se font et se défont les affaires du Détroit, préservent leur immunité de «colonies» où tous les crimes sont tolérés. Ce qui est risible, c'est que l'Espagne se soit payé, via des fonds provenant de l'Union européenne, un système de défense ultrasophistiqué fait de radars maritimes (décrits comme une véritable toile électronique recouvrant les bras du Détroit), de grillages électriques protégeant Sebta, d'appareils thermiques qui détectent le haschich dans les véhicules ; une manne d'argent qui a servi à peu de choses, notamment lorsque ceux qui ont instauré le système se font un devoir de le contourner, en profitant au passage. Ces quelques affaires connues, et bien d'autres jetées dans les ramées du silence, laissent entendre qu'il y a anguille sous roche et que la grande muette espagnole cache bien son jeu. Le cas non élucidé des 760 kilos de haschich 18 novembre 2002. 760 kilos de haschich apparaissent cachés dans 22 grands sacs découverts dans le port de Melilla, camouflés dans un camion appartenant au Régiment d'ingénierie n° 8. Le camion avait été inspecté avant son départ pour le port, comme de coutume, dans la base militaire, sans que rien de suspect ne soit signalé. Les camions en partance pour des manœuvres militaires, transportant des outils de guerre et autre matériel servant les exercices, sont soumis à une vérification de routine. On peut penser que la marchandise, près d'une tonne, avait été introduite dans le camion pendant le trajet de quelques kilomètres qui séparent la base militaire du port de la ville. Il se pourrait même, vu que les véhicules se suivent dans un convoi, que la drogue ait été placée dans le terminal du port peu avant l'embarquement sur le bateau de l'armée qui partait pour Alméria, pour le camp d'entraînement militaire Alvarez de Sotomayor où a l'habitude de s'exercer l'armée de terre espagnole. Un trafic de cette envergure nécessite un réseau en amont, en tout premier lieu des relais qui entrent en contact avec les grossistes marocains, achètent la marchandise et paient des passeurs qui l'achemine jusqu'à Melilla. La drogue passe sans ennui la frontière, avec peut-être des complicités sur place, avant d'être entreposée dans un lieu sûr. Là aussi et avant que la drogue ne soit placée à bord des camions militaires, plusieurs personnes sont nécessaires pour agir dans les règles de l'art, transporter la marchandise dans la ville, la placer dans son lieu de partance et surtout passer les contrôles du port. En aval, sur le territoire espagnol, une autre logistique prend le relais pour récupérer la camelote –peut-être en cours de route entre le port d'Alméria et la base militaire-, pour la transporter et la remettre aux grossistes espagnols. A l'époque, le ministre de la Défense, Federico Trillo, avait refusé de voir l'ampleur du phénomène et avait tordu le coup aux deux ou trois voix qui avaient vaguement ébruité l'affaire. Il avait déclaré alors qu'il était impossible de savoir d'où provenait la drogue, allusion faite aux 760 kilos de haschich du Régiment d'ingénierie n° 8. La brève investigation qui avait été ouverte, officiellement, avait conclu que la drogue aurait pu être placée dans le camion par n'importe qui pendant le trajet jusqu'au port. Mais il paraît invraisemblable que des trafiquants n'appartenant pas à l'armée espagnole, puissent décider de se servir des convois de l'armée, prennent le risque, au milieu d'une foule de militaires, d'y camoufler à chaque fois leur cargaison pour la récupérer quelques heures plus tard, à Alméria ; il est inopportun de penser à un tel scénario, ridicule du reste. Le trafic qui utilise, vraisemblablement depuis de très nombreuses années, les moyens terrestres et maritimes de l'armée, est inspiré de ses rangs, est poussé et organisé par ses pontes.