Arrestation d'un lieutenant de l'armée à Fès M. K. a récemment été arrêté à Fès pendant qu'il écoulait de faux billets de banque de 200 dh dans des lieux nocturnes. Ses déclarations devant la police ne laissent planer aucun doute sur sa culpabilité. Mais l'enquête a été incapable de déterminer la provenance des faux billets ni l'ampleur des activités du militaire. C'est la première affaire de contrefaçon de billets au sein de l'armée. On ne savait plus quoi en faire à Fès. Un dossier explosif, émaillé de moult bizarreries et incohérences. Après plusieurs rounds d'interrogatoires, de "face-à-face sans issue" dit-on à la brigade, de va-et-vient incessants entre le commissariat et la garnison militaire où il dormait chaque soir, le Lieutenant M. K. a été remis définitivement à l'armée. Il est emprisonné en ce moment à Salé en attente d'être jugé par un tribunal militaire. Né en 1952, le lieutenant arrêté il y a quelques semaines à Fès, en flagrant délit d'écoulement de gros billets de banque contrefaits, résidait bien dans cette ville, mais il travaillait, depuis belle lurette, à la garnison de Kénitra. Il s'était arrangé, curieusement, pour passer au statut 29/29, ce qui signifie en jargon militaire un congé de maladie indéterminé, dont M. K. profitait depuis de nombreuses années. A Fès, M. K. ne passait pas inaperçu. Bon vivant, il vivait avec opulence et menait un train de vie démesuré qui contrastait avec son salaire de militaire. Il fréquentait assidûment les boîtes de nuit, aimait les fritures de fin de soirée et l'alcool, ce qui le perdra en mettant la police de Fès sur la piste de faussaires. Un auto-stoppeur, des filles de joie et une discothèque La chute du Lieutenant se prépare sournoisement un matin froid de septembre dernier. Ce père de famille raccompagne sa fille jusqu'à Ifrane où elle poursuit ses études universitaires et, de retour sur la route, décide de prendre un auto-stoppeur à hauteur du village d'Immouzzer. M. K. sympathise avec l'inconnu en un rien de temps et le trajet ressemble plutôt à des retrouvailles de vieux potes qui en ont vu et qui ont fait les mille coups ensemble. Un trait de caractère chez M. K. qui, selon les conclusions des enquêteurs, fait de lui "un homme sociable, liant", qui s'ouvre d'un coup et paraît ne pas avoir de fond ; en apparence seulement puisque le militaire était un parfait comédien, enclin à la mythomanie, quelque peu dérangé, "sans doute parce qu'il était alcoolique et très dépendant" ajoute-t-on encore. Les deux compères débarquent à Fès et décident de faire la bringue. Ils ne se quittent plus. De bar en bar, jusqu'au soir où on les voit dans un grand hôtel de la ville, réputé pour sa discothèque branchée. Comme à son habitude, M. K. se fait remarquer et sollicite les faveurs des filles de joie qui fréquentent la place et qui ont tôt fait d'envahir sa table. De tournée en tournée, le militaire chauffe d'un cran et s'oublie dans la vapeur de la nuit ; chaque fois que le serveur apporte les commandes, M.K. lui jette des billets de 200 dh, avec des largesses de pourboire que le jeune homme apprécie. Dans l'obscurité, il ne se rend pas compte qu'il vient d'encaisser 1.600 dh de faux billets, et ce n'est que plus tard, à la caisse, que l'un des responsables du bar découvre la supercherie. En arrivant sur place, la police a procédé à l'arrestation des deux hommes et des filles qui les accompagnaient. Accusé de débauche et d'ivresse, l'auto-stoppeur sera relaxé, mais se verra quelques jours plus tard réembarqué par la police car accusé dans cette affaire et chargé à bloc par M.K. Quant au lieutenant, commença pour lui une longue descente dans les limbes du bluff. Beau parleur et hâbleur, il allait entamer un long bras de force psychologique pendant les interrogatoires, doublant les enquêteurs à maintes reprises, les menant vers de fausses pistes durant des semaines, revenant sur ses dires comme s'il souffrait de trous de mémoire en impliquant plusieurs personnes innocentes (voir encadré). Que cache l'affaire M. K. ? Parce que c'est un lieutenant de l'armée, les interrogatoires ont été "contenus". Alors qu'un enquêteur nous signalait qu'il n'y a eu aucune différence entre M. K. et les suspects civils, l'un de ses responsables nous dira plus tard qu'il "a été impossible à la police de coincer véritablement le suspect durant les interrogatoires" et qu'"avec ses vraies-fausses déclarations et se sachant appartenant à l'armée, il nous a joué le fou tout le temps". Seule certitude à la brigade en charge du dossier, "M. K. n'a pas tout dit, voire il n'a rien dit du tout et il en sait davantage qu'il n'y paraît". Car le lieutenant, cette nuit-là dans la boîte de nuit, n'avait pas l'attitude de celui à qui on avait fourgué quelques milliers de faux dh. Ce n'était point une victime qui payait sans le savoir avec de l'argent falsifié. Preuve en est, il allait plusieurs fois à la caisse, demandait un verre à chaque fois et payait sur place à tous les coups avec un billet de 200 dh. A tel point que le serveur, fatigué de lui rendre la monnaie, lui avait fait remarquer que la caisse lui avait remis beaucoup de billets de 100 dh et de 50 dh provenant de précédentes commandes, et qu'il serait plus simple de les utiliser. M. K. garde bien son secret du fond de sa cellule à Salé. "Nous l'avons accompagné dans ses délires durant les interrogatoires et finalement sur le P.V. il n'y a rien sur la provenance de cet argent. Or c'est capital pour en savoir plus." Lassée par les faux-fuyants de l'accusé, la police de Fès a finalement "bouclé" l'affaire en transmettant le dossier au Tribunal militaire. On ne saura certainement jamais pourquoi M. K. a refusé de parler aux enquêteurs en éclaircissant d'où provenaient les billets. Ce qui aurait ouvert le dossier à d'éventuels complices ou à des falsificateurs qui approvisionnaient le militaire de Kénitra.