Solidarité avec la Palestine et l'Irak En affichant leur force numérique, les islamistes de la mouvance d'Abdeslam Yassine ont fait de la manifestion organisée dimanche 28 novembre dernier, en signe de solidarité avec les peuples palestinien et irakien un enjeu spécial. Décodage. Les signes étaient simples et directs. Présents en quantité massive, les disciples d'Al Adl Wal Ihsan ont retourné une manifestation, sensée organisée en solidarité avec les peuples palestinien et irakien, en un message, à plusieurs variantes. Rabat, 28 novembre 2004. Des milliers de Marocaines et de Marocains ont répondu présents à l'appel du groupe d'action pour la Palestine et l'Irak (G.A.P.I), dont le coordinateur n'est autre que Khalid Soufiani. Ancien membre du comité central de l'USFP, K. Soufiani a été également le président de l'Association marocaine du soutien au peuple palestinien. (AMSPP). Jugée plus proche des partis de la koutla –donc du gouvernement- l'Association a été sciemment "doublée" par le groupe d'action, qui en ratissant large, se voulait plus fédérateur. Un rêve parmi d'autres qui a effleuré nombre d'esprits, de la Gauche radicale de Annahj aux islamistes semi-clandestins d'Al Adl. Ces tendances n'ont pas que le "tempérament catégorique" en commun, mais elles croient déceler dans ce forum un outil pour faire prévaloir, d'une part une certaine idée de la solidarité avec les peuples opprimés, et d'autre part une manière de procéder. Si la formule a, jusqu'ici réussi, tant bien que mal, l'épreuve de Rabat n'est pas de bon augure. Que s'est-il passé au juste ? Au début, tout s'écoulait bien dans la meilleure des marches. Al Adl Wal Ihsane de Yassine a choisi de se démarquer de cette masse diffuse qui défilait dans la capitale. Elle a, de ce fait, fait marche à part en hissant, haut et fort, tout ce qui la distingue des autres formations présentes. A première vue, rien d'alarmant. D'ailleurs K. Soufiani essaie de tempérer: "la marche a réussi, en dépit de toutes les péripéties", commente-t-il. Bon cœur, mauvaise fortune. Car la Jamâa a pris de court les organisateurs, les membres du secrétariat national du Groupe d'Action en premier lieu. Ils étaient pourtant unanimes à rejeter la requête du représentant d'Al Adl de marquer comme les autres de son empreinte distinctive le déroulement de la manifestation. Un refus catégorique qui n'aura pas l'effet escompté : à la barbe de tous ses alliés, et à leur grand dam, il a fait de cette occasion un "moment privé". "C'est notre marche, et nous y tenons” semblent marteler les adeptes du cheikh. Bref : c'est la marche capitale du Cheikh. Les premiers à réagir ont été les islamistes du PJD, dont l'organe "Attajdid" n'y est pas allé par quatre chemins, "la marche spéciale d'Al Adl Wal Ihsane", lit -on dans la livraison du lendemain. Par quoi, il entend un "usage personnel". Apparemment les fidèles n'ont pas la même foi. S'alignant sur les positions des autres composantes et sensibilités au sein du G.A.P.I, le PJD laisse entendre que les autres barbus, déployant un activisme apparemment plus mobilisateur, ont fait cavalier seul pour des "raisons qui rompent avec l'unanimité au sein du Groupe". En filigrane "ils reprennent à leur compte un travail collectif". Au-delà des "principes nobles", les amis de Yassine y trouvent, par contre, une opportunité politique –donc publique- pour s'imposer comme étant la "force majeure". Plus "marcher en déclarant ouvertement, fanions et symboles dans le vent, c'est là la règle partout dans le monde", a déclaré Abdessamad Fathi, membre du secrétariat général du cercle politique du mouvement. Le jeune loup ne cache pas ses intentions: "on a décidé qu'il était grand temps de rompre cette exception qui a toujours prévalu au Maroc". En clair : plus jamais la jamâa ne fera profil bas. Dans son interview, le responsable Adli traduit les faits déjà notés : il refuse l'idée selon laquelle les membres de la Jamâa se réduiraient à une masse "informe, dissoute" dans une marche, somme toute plurielle, alors que les "dividendes" aillent ailleurs. Qui donc ? A parcourir Attajdid, on peut deviner les destinataires des messages. Mais, il y a plus. Réagissant, sous couvert de l'anonymat, les PJDistes ont cru voir dans le choix de leurs "confrères" un enjeu interne. De "Assabah", à "Assahifa", un jeu de clair-obscur entre les deux "pôles islamistes", en dit long sur des rivalités à peine voilées. Pour "Al Adl", "dissoudre tous les partis en un seul magma humain", n'a que ceci de clair et explicite qu'il vise la Jamâa. Politiquement, on faisait le silence sur une force organisatrice et mobilisatrice énorme. Préparation Au-delà des rivalités interislamiques, les autres éléments d'analyse prêtent, dans le contexte actuel, à plusieurs lectures. En déconnectant l'affaire de ses enjeux solidaires et moraux, les responsables de la Jamaâ transcendent les jeux concurrentiels entre barbus, et s'adressent à plusieurs acteurs. D'abord, les acteurs internes, les membres qui trouvent ce dimanche-là une occasion de mobilisation et d'action publique. Et clair : on est là, plus prêt que jamais. Après une certaine période de bras de fer entre le pouvoir et la Jamâa, cette dernière réaffirme sa force inaltérable selon la symbolique de la marche. La Jamâa n'est pas morte, mais elle s'adapte. En se taillant la part du lion, Al Adl n'a pas hésité dans les détails. Sections, secteurs des jeunes et des femmes, unions locales… avec banderoles déclarées, autant dire que la Jamâa insiste pour faire savoir –à qui de droit- que son activisme prosélyte a de profondes racines partout dans le pays. Un parti ? Quoi qu'il en soit, l'organisation dans les règles de l'art de cette démonstration de force, met davantage en évidence cette force même que la volonté de garder les rangs serrés comme le veut le PJD. Néanmoins, Yassine et les siens se gardent d'avancer sans masques. Au lieu de marcher seuls, en choisissant "souverainement" leur propre opportunité politique, ils ont, toutefois, préféré se "dissoudre" sous une bannière collective. On n'en est pas à un paradoxe près !