Viol Elles sont violées, torturées et osent parfois en parler et dénoncer leurs agresseurs. Ce sont les victimes du viol collectif. Ce phénomène devient de plus en plus fréquent dans notre société. Plusieurs affaires ont été portées devant la justice marocaine. “Ce n'est plus moi qui suis allongée sur le sol, à supporter leurs mains, leurs peaux, leurs odeurs, leurs souillures et leur sauvagerie, c'est juste mon corps, devenu chose inerte, insensible (...). Ils ont profité de moi toute la nuit, lâchant leurs plus bas instincts, le contact avec le sol est répugnant. C'est froid, humide. Ça pue. Je suis absente de mon corps. Je me sauve de là, je me sauve de lui, d'eux. J'arrive enfin à me séparer de ma chair, je flotte au-dessus. Ils continuent à se relayer. Je suis dégoûtée de ce corps qui, sans que je le veuille, est le mien. Ils se sont assouvis enfin, mais ce n'est pas fini pour moi, car on décida de vendre cette chair qui gisait par terre. 10 dh c'était le prix de ma personne, de ma dignité. La contrepartie de toutes ces années où j'ai choisi de rester vierge”. Ce n'est pas l'extrait d'un roman, mais c'est bien un témoignage réel. Celui d'une jeune Marocaine qui a vu sa vie bouleversée en l'espace d'une nuit ou de douze heures plus précisément. Amina a été violée le premier du mois de juillet. Elle a été violée et torturée par vingt individus à la fois. Ces hommes l'ont obligée à pratiquer le sexe sous toutes ses formes. Et à chaque refus, on la torturait. On lui tire les cheveux, on déchire ses habits et on l'entraîne toute nue par terre. Aujourd'hui, Amina accepte de témoigner. Mais elle le fait par écrit. Car elle refuse de nous rencontrer. Est-ce la déception, le désarroi ou la “ hchouma” qui l'en empêche ? C'est peut-être tout ça à la fois. En tout cas pour le moment, cette femme, âgée de 36 ans, ne voit plus la vie de la même manière. Elle est convaincue que son avenir a été brisé en mille morceaux pour toujours... Pourtant cette femme n'a jamais imaginé que cela pourrait lui arriver. Ce scénario dramatique s'est passé pendant une journée d'été. Amina avait décidé d'aller se promener à la lisière de la voie ferroviaire avec son fiancé. Il faisait beau et l'air sentait le parfum des arbres de la forêt Zeytoune juste à côté. Elle était heureuse de pouvoir rencon-trer ce futur mari pour discuter des détails de son mariage. Mais brusquement trois jeunes “chamkara”, comme elle les décrit (vagabonds), surgissent de nulle part brandissant un couteau. A la vue de l'arme tranchante, le futur élu prend la fuite et l'abandonne à son sort. C'est en ce moment que le film d'horreur commence. On la viole toute l'après-midi. Puis la nuit tombante d'autres amis arrivent et réclament leur part du gâteau. 10 dh la passe... On l'exposa ensuite à une vente aux enchères lorsque d'autres malfaiteurs débarquèrent à minuit et essayèrent de transgresser les règles imposées par le violeur. Ce dernier cassa une bouteille de bière déjà vide et menaça de tuer celui qui s'approchera de sa proie sans payer. Après avoir assouvis leurs besoins bestiaux, les délinquants décidèrent de la jeter dans une rivière à côté, mais Amina réussit à se détacher de leurs griffes. Elle se sauva et retrouva la police qui la transporta à l'hôpital dans un état déplorable. Les médecins refusèrent de la toucher. “Il faut une autorisation de la part du procureur”, expliquèrent-ils. En attendant l'autorisation, Amina resta dans les urgences 8 heures sans soins. Sa sœur arriva avec des membres de l'association du travail féminin et la dirigea vers une clinique privée. A la fin du mois, un autre cas de viol collectif défraye la chronique. La victime, cette fois, est une jeune fille de 18 ans. C'était le jour de la fête du Trône. Assia habitait Salé mais insistait pour assister aux festivités qui se déroulaient à Rabat. Sa mère, convaincue enfin, accepta de la laisser partir avec une amie à condition de rentrer avant 20 heures. Mais la jeune fille ne revint jamais... A Rabat, elle rencontra un jeune qui lui plaisait. Il lui proposa de rester ensemble. Elle accepta. Sa copine se retira. Une fois loin de la foule, le jeune brandi un couteau et appela ses copains qu'il venait de quitter. Le jeune groupe, composé d'adolescents de dix-huit ans, l'entraîna dans une forêt. Assia est violée par ses cinq agresseurs l'un après l'autre jusqu'à ce qu'elle perde conscience. Les jeunes, croyant qu'elle est morte, la jetèrent dans un fossé. C'est là où Assia rendit l'âme. Ces drames sont survenus à 30 jours d'intervalle. Ce qui nous pousse à poser la question : est-ce que le viol collectif ou les tournantes deviennent un phénomène social au Maroc ? Phénomène Dire que le viol collectif est une mode est trop fort. Pour le moment on peut considérer cet acte comme un nouveau phénomène qui devient de plus en plus fréquent dans notre société. Pourtant, ce sujet relève toujours des grands tabous dont la société marocaine évite de discuter. Parler d'un viol dans une famille reste forcément le synonyme de la “Hchouma”, la fille est condamnée par ses propres proches pour avoir sali l'honneur et ramené la honte pour toujours à la famille. Etant convaincues que la fille est aussi coupable et doit assumer sa part de responsabilité, certaines familles vont plus loin et chassent définitivement leurs filles de la maison après avoir su qu'elles étaient victimes de viol. Les filles qui sont généralement âgées entre 18 et 23 ans finissent souvent dans la rue, enceintes et sans ressources... Les plus courageuses et chanceuses contactent des associations qui, des fois, acceptent de leur apporter le soutien moral et matériel et de les prendre en charge. Autrement, les victimes du viol deviennent généralement des proies faciles entre les mains des proxénètes qui les introduisent dans le monde de la prostitution. Mais il faut dire aussi que les jeunes filles ne sont pas les seules proies du viol collectif. Car ce phénomène commence à ressembler à une épidémie qui peut atteindre toute la gente féminine. C'est un jeu de hasard. Les victimes ne sont pas choisies à la base de certains critères comme la beauté, mais parce que les circonstances permettent de les kidnapper. Mais cela n'est pas toujours le cas, car les victimes peuvent être kidnappées en pleine journée. C'est le cas de Sanaa, une psychologue âgée de 32 ans, qui vient d'être violée au mois d'août dernier par un fonctionnaire dans le tribunal de première instance. La femme a été kidnappée en plein public durant la journée. Le fonctionnaire a commencé à l'insulter dans la rue. Personne ne pouvait intervenir parce que le protagoniste criait à la foule que c'était sa femme. Une voiture Renault 18 s'arrêta et le conducteur proposa d'aider Assia qui ne pouvait qu'accepter. Mais une fois dans la voiture, le protagoniste s'installa aussi dans les sièges arrière avec deux autres hommes et l'emmenèrent dans une maison au quartier de “L'océan” à Rabat. Ces amis refusèrent de participer au viol, mais le kidnappeur ne se résigna pas et la viola toute la nuit. Assia refusa aussi de témoigner de nous parler. C'est son avocat, puisqu'elle a décidé de poursuivre les protagonistes en justice, qui le fit à sa place. Il faut dire aussi que les victimes qui acceptent de parler et de raconter les sévices qu'elles ont endurés sont très rares. La plupart des femmes qui subissent une tournante gardent le silence... Statistiques... Le néant absolu Afin d'avoir des statistiques sur le nombre des viols collectifs enregistrés cette année, nous avons contacté quelques-unes des associations qui ont accepté de nous communiquer les quelques cas enregistrés. Le Centre d'écoute et d'orientation à l'Ermitage a enregistré cette année, par exemple, trois cas de viols collectifs. Les trois victimes sont âgées entre 18 et 22 ans. La première Asmaâ, 17 ans, sortait de l'usine où elle travaillait comme ouvrière, lorsqu'elle a été kidnappée par 5 personnes âgées entre 18 et 23 ans qui l'ont entraînée dans une voiture et l'ont emmenée sur une pelouse d'un terrain de football pour la violer toute la nuit. Le lendemain, les violeurs lui ont pris un taxi pour la ramener à l'endroit où ils l'avaient kidnappée. La deuxième victime, Halima, est âgée de 22 ans. Elle a été kidnappée et violée par trois personnes, sauf qu'elle connaissait l'un de ses violeurs puisqu'il la suivait chaque jour une fois sortie de la faculté et lui demandait de nouer une relation avec lui. Mais comme elle a refusé, il s'est arrangé avec deux autres de ses amis (l'un d'eux possédait une voiture) pour la kidnapper et l'emmener dans un site dépeuplé pour pouvoir la violer “en sécurité”. La troisième victime du viol collectif qui a reçu une aide psychologique et juridique du centre est Soumia. Cette jeune fille, âgée de 18 ans, était venue à Casablanca juste pour rendre visite à sa famille. Mais Soumia n'arrivait pas à retrouver la maison de sa famille. Un quadragénaire proposa de l'aider. Elle accepta et le suivit mais ce dernier l'entraîna dans une villa, lui ligota les mains et les pieds et appela quatre autres amis pour partager le grand bonheur toute une nuit. Enfin, à l'aube, les violeurs acceptèrent de la relâcher à condition de marcher tout droit et de ne jamais se retourner pour ne pas reconnaître la demeure. Quant aux autres associations contactées pour avoir des statistiques, en l'occurrence l'Association d'action féminine, la Ligue démocratique des droits des femmes, l'Association du travail féminin et l'Association solidarité féminine, ces associations ne détiennent pas de statistiques actualisées. Néanmoins, l'absence de statistiques où la rareté des cas enregistrés ne veulent pas dire que ce phénomène est absent de la société pour autant car selon Zineb, la responsable d'écoute dans un centre d'orientation, certaines victimes acceptent de monter dans la voiture de leurs copains ou même d'aller chez eux. Mais une fois tombées dans le piège et violées par plusieurs personnes (en général les amis de leurs copains) elles refusent de parler parce qu'elles se sentent coupables. Dans tous les cas, coupables ou non coupables, les victimes préfèrent garder le silence. Et contribuent par ce mutisme à la non-répression de ce phénomène qui continue de sévir en silence... C'est bien dommage.. Trois questions à Me Yassine Krari Quelle définition donne la loi au viol collectif ? C'est un crime qui se passe dans les mêmes conditions qu'un simple viol avec la participation de plusieurs personnes. Et c'est cette pluralité des auteurs de l'infraction qui peut aggraver la peine. En général, le juge s'appuie sur ces circonstances aggravantes pour ne pas faire bénéficier les auteurs de réduction de peine. Quelle peine a prévu la loi contre le viol collectif ? Le viol collectif n'est pas un crime particulier. C'est un crime aggravé par les circonstances car, à la base, la peine a été prévue pour l'infraction du viol. Mais quand certaines conditions s'imposent, la peine peut devenir plus lourde. L'article 486 du code pénal, tel qu'il a été complété et modifié par la loi 03, définit le simple viol comme l'acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme con-tre sans gré. Ainsi une fois l'infraction prouvée, l'homme est puni d'une réclusion de 5 à 10 ans. Comment peut-on prouver que la victime a subi un viol collectif ? La preuve est les déclarations mêmes de la victime qui doivent être précises. La victime doit expliquer les circonstances de son viol tant au niveau de la police judiciaire que devant le juge d'instruction. Le viol peut être prouvé aussi par des témoins, les aveux du prévenu ou bien les recoupements d'indices. Troubles psychologiques après le viol Selon le psychiatre Benabdeljlil Najib, la victime d'un viol peut ne pas présenter des symptômes psychologiques qui soient pathologiques. Ceci dit, la victime peut dépasser la crise subie après le viol toute seule en s'appuyant sur ses propres capacités de “reconstruction” ainsi que le soutien de sa famille et son entourage s'ils sont compréhensifs. Certaines victimes peuvent par contre présenter des symptômes “post traumatique stress désordre”. Ce symptôme est détecté également chez les victimes qui ont affronté un traumatisme psychologique de manière générale notamment un tremblement de terre ou même un décès d'un membre cher de la famille etc... Les victimes qui peuvent présenter ce genre de complications sont dans la plupart des cas déjà fragilisées. Par conséquent, ces patients antérieurement fragilisées peuvent présenter à la suite de l'agression des névroses post traumatiques (syndrome de répétition) voir même des psychoses post traumatiques : dans certains cas, on a observé de véritable cas de mutisme où la victime apparaît renfermée sur elle-même, refusant ainsi tout contact avec son entourage, ce qui l'amène à développer le syndrome de “répétition”. Ce syndrome fait que la victime garde le souvenir de la scène qui, au fil du temps, devient répétitive et omniprésente dans les cauchemars que la victime commence à développer. Ils sont suivis par un réveil brutal, des tremblements, des sueurs et des palpitations (syndrome neurovégétatif).