L'actualité de l'immigration clandestine à Sebta a fait saillir de nouvelles méthodes de travail au sein des réseaux de passeurs. Depuis fin juillet, un jeune “moteur humain” est écroué dans une prison espagnole. Une liste qui aurait déjà atteint, à ce jour, 101 hommes-grenouilles arrêtés, tous spécialisés dans l'immigration clandestine. L'affaire fait beaucoup de bruit dans la région. Les gens sont choqués. C'était assez attendu vu l'ampleur du débat qu'elle a soulevé de part et d'autre des frontières. Et surtout vu la nature de l'affaire et tous les remous qu'elle a rejetés à la figure des garde-côtes du coin. Nous sommes à Tarajal, la ligne de “démarcation” et de non-retour à Sebta. On ne parle plus que de ce jeune “moteur humain” qui vient d'écoper de six ans de prison ferme et qui n'a pas fini de payer son audace. “Six ans de cachot, c'est trop”, disent ici et là les riverains qui connaissaient bien Rachid, actuellement écroué à la prison centrale de Sebta. Ce dernier est natif de Fnideq, le village-souk limitrophe de la cité portuaire. Il était jeune, la trentaine et chômait à longueur d'année avant de se décider à s'essayer dans l'immigration clandestine. Il ne faisait pas dans n'importe quoi, ni dans les voies traditionnelles. Il a été arrêté sur l'une des criques qui jalonnent Sebta, habillé en homme-grenouille au milieu des rochers et des cavités, traînant derrière lui un pneumatique de fortune transportant deux clandestins d'origine subsaharienne. Ce n'est pas la première fois qu'une action judiciaire est menée contre ce nouveau genre de passeur. Une source policière de la Guardia civile nous certifie que les cas de flagrants délits se chiffrent par dizaines depuis quelques mois dans la zone : “c'est vrai qu'il a pris le max, mais le tribunal voulait donner l'exemple. C'est pas la première fois qu'on met la main sur un “motor humano” pour le juger. Croyez-moi, on tombe de plus en plus régulièrement sur ces pneumatiques avec à bord deux personnes, parfois accompagnées par un enfant, dirigées habilement dans l'entrelacs des rochers par un homme-grenouille”. Selon des sources fiables, Sebta a récemment franchi le cap des cent moteurs humains de nationalité marocaine pris dans les filets de la police en quelques mois. Il s'agit ni plus ni moins que d'un nouveau procédé qui défraie la chronique et laisse abasourdi les associations humanitaires. C'est d'ailleurs pour cette raison, estiment plusieurs d'entre-elles, que Rachid a été sévèrement puni. Ce n'est plus un passeur anodin avec sa patera, mais un gondolier de haut vol doublé d'un marinier qui connaît bien les fonds, qui a pris d'énormes risques avec sa cargaison. Selon le garde espagnol, “les passeurs placent les passagers sur un petit bateau de plastique qui peut chavirer à tout instant. Ils sont équipés pour plonger et font la traversée sous l'eau, allant des côtes marocaines de Fnideq jusqu'à Sebta, en guidant, à l'aide d'une corde, l'embarcation restée à la surface de l'eau. Impossible de les voir et les radars du détroit de Gibraltar sont incapables de détecter un quelconque signal de présence. Ils s'arrangent pour se faufiler au milieu des falaises inaccessibles et atteignent en une heure l'une des plages de la ville”. Après cette flambée soudaine de moteurs humains, comme se plaisent à les appeler les Espagnols, la police de Sebta a décidé de renforcer la vigilance tout au long de la berge méditerranéenne qui borde son territoire. Un renforcement de la surveillance qui entend décourager les passeurs marocains qqui ont trouvé là un nouveau secteur à exploiter dans le cadre des réseaux secrets de l'immigration clandestine. Chaque passeur encaisse près de trois mille dh par personne pour l'aller jusqu'à l'une des plages de Sebta. Mourir avec des raquettes de ping-pong... Mohamed B. n'est plus. Son corps a été retrouvé il y a quelques jours sur la côte de Sebta, à 1,3 miles de Punta Blanca, noyé, la panse pleine d'eau, les yeux exorbités, la figure dilatée et enflée. Il avait quarante-deux ans et essayait d'atteindre l'Andalousie de l'autre côté de la rive. Il était natif, selon les premiers témoignages, de la zone de Fnideq, à quelques centaines de mètres de la ville occupée espagnole. Le corps est toujours retenu à la morgue de Sebta en attente des conclusions de l'enquête. La mort de ce père de famille qui, selon certains habitants, avait cinq enfants, a finalement constitué une énigme. Plus que la nouvelle de son décès, ce sont les circonstances de l'accident qui laissent songeur et ont ébruité l'affaire comme un cas à part dans les annales de l'immigration clandestine. Mohamed B. a, en effet, choisi d'émigrer de sa terre natale pour tenter de forcer le destin et rejoindre l'Espagne à bord d'un canot pneumatique de plage. Il s'était attaché, à l'aide d'un cordon, à l'embarcation pour éviter d'être séparé de son radeau de sauvetage. Mais le plus frappant, c'est qu'il utilisait en guise de rames des raquettes de ping-pong que les agents du Groupe spécial Subaquatique de la Garde civile (GEAS) ont retrouvé, également attachés au corps du défunt. Dans le pneumatique, on a pu mettre la main sur un sac de voyage qui contenait des vêtements, de la nourriture et les papiers du clandestin. Les premières hypothèses laissent envisager que Mohamed B. utilisait le pneumatique pour se reposer lors de sa traversée du détroit de Gibraltar qu'il voulait effectuer à la nage. Resté sans force au milieu des eaux, pris dans d'éventuels courants qui lui ont barré à tout jamais la route, il est mort d'épuisement en luttant jusqu'au bout contre les vents et les marées. Le résultat de l'autopsie pratiquée a permis de déclarer que le décès est dû à une asphyxie par immersion. Selon des sources concordantes, deux autres Marocains ont été arrêtés il y a quinze jours en tentant de traverser le détroit de Gibraltar dans les mêmes conditions que Mohamed B. Ils ont eu la chance d'être interceptés sur des embarcations de plage (pour deux personnes) utilisées comme flotteurs de fortune.