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Ce qu'endurent les Marocains
Publié dans La Gazette du Maroc le 05 - 07 - 2004

Vols divers, coups et blessures, humiliations de tous genres... Voilà ce qu'endurent les clandestins marocains arrêtés en Espagne avant d'être illico presto rapatriés vers le port de Tanger. Des exactions abassourdissantes qui peuvent aller dans certaines affaires jusqu'à l'hospitalisation des blessés tabassés comme il se doit par les forces de l'ordre ibériques. Un scandale qui lève le voile sur des comportements abusifs et anticonstitutionnels introduits et encouragés sous l'ère Aznar et qui risquent de tourner au vinaigre si le nouveau gouvernement espagnol n'y met pas une fin résolue.
«Lorsque les Espagnols t'attrapent, il faut espérer que ton séjour parmi eux se fasse sans trop d'accrochage» dit ce jeune homme fraîchement relâché à Tanger par le Procureur du Roi. C'est un harrague, un damné qui ne sait plus où donner de la tête. «Quand j'ai vu le bateau de la compagnie marocaine et les gens de chez nous, j'ai crié Alhamdoulillah... J'ai cru que ça n'allait jamais cesser !» Placé sur la liaison Algésiras-Tanger en un rien de temps, «48 heures après» qu'on l'ait chopé sur une route isolée de l'arrière-pays andalou, Mehdi vient de Kalaâ Seraghna et c'est déjà son «premier voyage qui finit mal». En parlant, le jeune homme qui se dit agriculteur ruiné par la sécheresse, montre une bosse conséquente qui brille sur son front. Une chute ? Une bagarre avec un pote qui tourne mal ? Non, même pas. La vérité est plus spectaculaire : tabassé par la guardia civile lors de son rapatriement. Malmené durement pendant la garde-à-vue qui le destinera au retour forcé, il crie son ignominie : «c'est un scandale, la guardia civile commet des dérapages graves. Ils vont jusqu'à insulter, frapper et commettre d'autres méfaits vis-à-vis des clandestins marocains». Sur place, la grogne est générale. Tout le port de Tanger connaît ces exactions dont la cible est constituée principalement de citoyens marocains. Pour ce gardien de la paix : «Ils ne font jamais ça avec les Subsahariens. Ils les traitent beaucoup mieux que les nôtres. On n'a jamais compris pourquoi.» Même déclarations ailleurs dans les parages du port où rodent les harraguas du désespoir. Les télévisions espagnoles et européennes nous ont servi à longueur d'années des scènes d'interpellations montées de toutes pièces. Dans les spots les guardias ibériques sont toujours souriants et donnent l'air d'avoir pitié des illégaux. Ils les prennent par la main ou les épaules, suggérant un début d'accolades fraternelles et se révèlent entourés de symboles reluisants de la société civile. Il ne manque plus que le bisou...
La marque au feu des passeurs
Ce n'est pas un mythe de vieux marins nostalgiques des siècles passés. Tous ceux qui ont été arrêtés par la guardia espagnole en mer, sur des pateras, ont entendu parler de la marque au feu des passeurs. Ces derniers préfèrent se taire et ne jamais aborder le sujet entre eux dans les villages et les cafés de la région. Ils prient que leurs voyages incertains au milieu des eaux finissent toujours bien. La marque au feu est crainte comme la peste par les passeurs qui agissent en haute mer. Ces derniers la connaissent bien et savent que s'ils viennent à la recevoir sur leurs corps, ils sont bon pour la moisissure et l'oubli dans les geôles espagnoles. Comme nous l'explique ce haut fonctionnaire du port : «Lorsque les Espagnols interceptent des pateras, ils cherchent vite à identifier le passeur, le conducteur du bateau. Ce n'est pas une mince affaire. Dès qu'ils l'ont trouvé, ils se mettent à plusieurs, immobilisent le criminel, tendent son bras gauche ou droit et frappent violemment à plusieurs reprises avec une matraque sur la chair nue. Ce qui a pour effet de signaler pendant quelques jours, avec un gros bleu tout enflé, celui qui aura conduit la patera jusqu'à la rive de leur pays». Grâce à ce bleu, une signature commode pour les flics, les passeurs ne peuvent plus se dérober à leur triste sort. On ne les aime pas beaucoup dans les commissariats et on les considère comme des gens importants dans les organisations de trafic de clandestins. A coup de matraque sur le bras, ils subissent dès lors les foudres de la nouvelle loi amandée par Madrid récemment : plus de cinq ans d'emprisonnement. Notre source explique encore : «cette loi est bizarre. Elle prend en compte les conditions de voyage des clandestins pour juger les passeurs. C'est-à-dire que le passeur de la patera risque beaucoup moins qu'un passeur qui place son clandestin dans le coffre de sa voiture ou dans la remorque à marchandises des camions. C'est-à-dire aussi qu'un passeur qui cache un clandestin dans un camion de tomates risque beaucoup moins que celui qui le placera dans un camion d'engrais ou de produits pharmaceutiques...» Pour éviter d'être pris en flagrant délit, les passeurs des pateras ne veulent plus être reconnus par les clandestins qu'ils transportent. Ils usent de mille artifices pour conserver l'anonymat durant la traversée. Ils se faufilent au moindre danger parmi l'équipage et deviennent le plus souvent, au moment des interpellations, de simples clandestins parmi les autres. Les passeurs sont les derniers à monter sur le bateau, juste avant le grand départ et interdisent aux clandestins, sous peine de grave sanction comme la mort ou être jetés à la mer, de se retourner pour voir qui conduit la barque.
Plusieurs vols commis par la guardia civile espagnole
Les clandestins marocains arrêtés sur les pateras subissent le même sort que ceux qui sont refoulés à la frontière terrestre des ports espagnols. Ils restent 48 heures en Espagne, le temps de rédiger leurs procès-verbaux, avant de se voir refoulés selon un schéma immuable. C'est l'Espagne qui paie le voyage. Ils embarquent sur un bateau, avec des places payées par nos voisins ibériques, jusqu'à la ville de Tanger qui est leur destination finale. Les petits convois expédiés par voie maritime ne sont jamais importants. Ils comprennent deux, trois ou quatre clandestins à chaque fois. Des petits groupes qui restent maîtrisables. On ne prévient même plus. Pratiquement chaque jour, l'un des bateaux du détroit de Gibraltar contient quelques irréguliers remis à Algésiras ou Cadiz aux services de sécurité marocains du bateau. Selon cet officier du port : «d'autres convois maritimes peuvent occasionnellement être dirigés vers le port de Sebta. Les Espagnols le font lorsque beaucoup de clandestins sont arrêtés en quelques jours, quand il y a des vagues. Sur Sebta, ils sortent la grosse artillerie. Autocar ultra surveillé et mesures de sécurité exceptionnelles. Ils sont remis à la police marocaine de la frontière de Sebta.» Mais le plus grave, attestent plusieurs personnes du service d'immigration clandestine du port, c'est que beaucoup de Marocains réclament, en arrivant devant la police de Tanger, des objets de valeur et autre argent qui leur auraient été dérobés lors de leur détention par les Espagnols. Cela va du portable jusqu'à l'habillement (sic !), comme cette jaquette en cuir dont on a délesté ce pauvre diable il y a quelques mois. Le vol aurait même été commis, selon lui, par un chef, un gradé de l'équipe. Ce qui pousse à poser bien des questions sur les conditions de détention des clandestins et l'attitude de la police espagnole face aux illégaux de notre pays. «Ils sont vaches, hautains et surtout méchants avec les illégaux qu'ils détestent par-dessus tout. Ils pensent que les moros et les Noirs d'Afrique vont se reproduire partout sur leur territoire et faire disparaître leur race chrétienne blanche. En tout les cas, ils aiment bien les portables des clandestins. C'est surtout ça que l'on pique aux pauvres gourdes qui se font pincés à la frontière espagnole. Quand ils viennent ici, certains pleurent, d'autres sont sous le silence, choqués, d'autres enfin
donnent libre cours à leur révolte et parlent del'humiliation qu'ils ont subi durant leurs interpellations. Nous, on les présente devant le Procureur du Roi, ils passent généralement une nuit à l'ombre avant d'être relachés. C'est la procédure», dira encore le responsable.
Coups et blessures, humiliations et agressivité
C'est la panoplie du bon guardia civil qui veut se faire valoir devant l'équipe et faire long feu dans sa carrière. C'est la méthode d'emploi qui circule entre les rangs des flics des ports et des commissariats qui s'en donnent à cœur joie pour mater les méchants clandestins. Durant leurs arrestations et jusqu'au retour au bercail, ces derniers n'ont droit, en terme de nourriture, qu'à du lait froid, du pain et de la margarine... Ils sont obligés d'en bouffer du matin au soir et en rations contenues jusqu'à leur arrivée au Maroc. Mais les Espagnols déversent sur eux les pires angoisses ressenties à l'encontre du fléau de l'immigration clandestine. Leur attitude vis-à-vis des irréguliers du Royaume est qualifiée de «dure» et décrite comme une méthode «dissuasive» et «agressive». Alors qu'il ne s'agit là que d'arrestations de réfugiés économiques qui fuient la pauvreté et ne demandent qu'à travailler comme main-d'œuvre. «On nous traite comme des criminels, sans aucun respect» racontent tous ceux qui reviennent de l'enfer des rapatriements. Les interpellations et les acheminements des convois ne font pas dans la dentelle. La police espagnole s'assure de la pleine coopération des clandestins en leur faisant miroiter d'un côté la peur d'être gardés en prison et d'un autre la provocation, la brutalité dont ils pourraient faire l'objet en cas de révolte. Aussi, il n'est pas inhabituel de voir sur le port de Tanger des clandestins rapatriés fraîchement amochés par la police andalouse. Les coups, enflures et autres stries de combats sont devenus routiniers. On parle aussi de cas plus graves, qui peuvent survenir quatre ou cinq fois par an.
Par Abdelhak Najib & Karim Serraj
Dans la fournaise des harraguas
Chaque jour, pas moins de quinze candidats à l'émigration clandestine tentent de rejoindre l'Espagne en passant par le port de Tanger. Au bout de la journée, entre trois et quatre auront réussi à déjouer les deux postes frontaliers du Maroc et de l'Espagne et à se retrouver, sans avoir déboursé un sou pour leur voyage, sur une route anonyme de la campagne espagnole. Leur modus opérandi s'est affiné au cours des années en utilisant les failles et autres anomalies du port de la ville jusqu'à devenir un système de traversée prisé par les plus misérables des harraguas qui tournent le dos aux pateras par manque d'argent. Enquête sur une route du bonheur jonchée de mille dangers.
C'est un grand port plein de failles et de rainures qui permet aux clandestins de mettre le voile vers le large azuré du détroit, un gruyère poreux et perméable où se faufilent les «rats» des bateaux de la Méditerranée. Le port de Tanger, qui s'évase en forme de demi-cercle, abrite chaque jour une cinquantaine de candidats qui rode dans les alentours des débarcadères, parfois «pendant des semaines» apprend-on sur place, en attente de la bonne occasion pour tenter le passage vers l'autre rive. Cette forme concave est déjà un inconvénient pour ce port de taille respectable qui paraît mal protégé. «Regardez là-bas, les murs blancs qui entourent le port. Ils peuvent être escaladés facilement. Il y a même un mur qui longe la plage publique du centre-ville, poursuit notre hôte. Les clandestins vivent dans les parages, entrent dans le port en se mêlant facilement aux gens. Le port comporte une zone franche avec un va-et-vient ininterrompu d'ouvriers et de personnels, ainsi qu'un port de pêche artisanal. Il est relativement aisé de se fondre dans la masse... Beaucoup d'entre eux s'habillent comme des gens quelconques que l'on croiserait dans un port ordinaire marocain.» Ce fonctionnaire du port nous invite à aller voir du côté des barrages frontaliers.
Bachia et les sans-argent
Des couloirs de voitures et une foule qui attend. Des bateaux gigantesques qui avalent, le ventre ouvert, les files de véhicules qui transitent à un rythme lent et concassé. Voyageurs estivaux en chemisettes et lunettes d'été. Hommes en uniformes qui régentent la circulation, les autorisations de passages, les attentes des uns et des autres devant les rampes des bateaux. Sifflets divers. C'est le flux des Marocains de Belgique, de Hollande d'Allemagne ou d'Italie. Songe d'une nuit d'été à Venise... Quelqu'un fait remarquer que depuis quelques temps
«on ne voit plus de clandestins Subsahariens autour du port. Ils n'osent plus s'approcher car ils sont trop facilement repérables. Pour eux, il ne reste plus que la solution des pateras. La solution des riches». Ce mot de «riches», que l'on entend pour la première fois dans un tel contexte, nous choque. Notre interlocuteur nous lance : «si demain, devant Dieu, vous avez à choisir entre un bateau rapide et une place sous le moteur d'un autocar pour faire la traversée, que décideriez-vous ?» Il nous regarde et lit le fond de notre pensée. «Vous opterez pour le bateau, n'est-ce pas ?» Dans le jargon des fonctionnaires du port et des harraguas eux-mêmes, le port de Tanger représente la solution des pauvres et des plus nécessiteux des candidats au départ vers l'Europe. C'est la voie de passage des aventuriers qui damnent leur existence et se paient un voyage gratis, sans déverser le moindre franc, multipliant les risques et les dangers de mort. Une offre à double tranchant. Les jeunes et moins jeunes qui sont là à attendre, tapis dans l'ombre, qu'une occasion se profile au bout de leurs angoisses, le font nous dit-on «parce qu'ils n'ont pas de quoi payer la patera qui coûte en ce moment entre 12.000 et 15.000 dh.» Au niveau du port de Tanger, «les harraguas n'ont que deux alternatives : soit se faufiler sous un camion ou un autocar en se cachant sous le moteur, soit tomber sur un camion TIR avec un bâche en toile qu'ils déchirent sur la partie supérieure pour pénétrer dans la remorque et se cacher au milieu de la marchandise. Cette méthode comporte plusieurs périls et menaces. Ils doivent, en outre, déjouer les points de contrôle marocains et espagnols. Chez les Espagnols, ce sont des appareils de guerre américains qui sont utilisés pour détecter les clandestins. Je vous expliquerai...» Notre interlocuteur ponctue : «vu de la sorte, le voyage via des réseaux organisés de pateras, avec tous les points noirs qu'il comporte, comme le risque de chavirement ou l'arrestation par les gardes-côtes espagnols, apparaît comme un paradis et une solution de bonne augure.» Affectueusement, les harraguas appellent les camions TIR avec une banne Bachia, en référence à la toile qui recouvre les véhicules. Ils sont tous stationnés dans un parking attenant aux quais d'embarquement que l'on aperçoit plus à droite. C'est un parking TIR à ciel ouvert, sans clos véritable, accessible, avec une porte en grille devant laquelle veille un gardien de paix. «Certaines semaines de l'année, il y a trois cents camions TIR qui transitent chaque jour par ce petit parking. La file d'attente en dehors du port peut aller jusqu'à cent camions quotidiennement. Vous imaginez ce que ça représente pour la fouille ? Jusqu'à il y a quelques temps, on n'avait que deux policiers pour fouiller tout ce monde. Actuellement, il y a quatre hommes chargés des fouilles, mais c'est très très loin des besoins réels du port de Tanger
Des fouilles, des harraguas et des armes de guerre
La fouille recouvre une étrange activité qui entremêle la recherche de la drogue et celle des clandestins. En une seule fois. Un pack pour les quatre policiers de Tanger qui entrent dans le parking qui sert aussi de lieu de contrôle, accomplissent leurs fouilles aléatoires avec les moyens de bord en fouillant quelques camions et délivrent des autorisations pour accéder au pré-embarquement. Ca y est, à ce stade et sans avoir bougé, le poste de contrôle marocain est déjà dans la poche pour ceux qui ont pu se cacher dans les camions ou sous les autocars, dans une autre allée aux mêmes caractéristiques. Ils n'auront plus à essuyer de contrôle jusqu'à Algésiras ou Cadiz où les mèneront les bateaux. Notre interlocuteur surenchérit : «que faire avec quatre hommes sur le terrain ? Cette fouille dite «stup-clandestin» doit vérifier en théorie chaque tonnage, inspecter chaque cale et ouvrir chaque caisson...C'est impossible. Même les Espagnols n'y arrivent pas. Ils ont des moyens très fort maintenant, mais c'est encore insuffisant. Et puis il y a aussi le pré-embarquement qui est un moment propice pour les clandestins. Les bateaux sont fouillés et ils doivent attendre pour monter sur la rampe du bateau. L'attente est d'une heure. Les harraguas en profitent pour passer à l'action.» Devant les rampes des bateaux, il y a un seul gardien de la paix. Il est surtout là pour guider les véhicules qui se hissent, lourds et impressionnants, dans les garages des navires. Il ne prend pas le temps de faire autre chose. Selon nos sources, pas moins de quinze harraguas tentent leur chance chaque jour dans le port de Tanger pour atteindre l'autre rive de la Méditerranée. De ces quinze, neuf réussissent à passer la douane marocaine et arrivent à se terrer dans les bateaux jusqu'à la frontière espagnole pour subir le deuxième contrôle de leur traversée. Une autre paire de manche. Arrivés sur place, ils auront à défier les moyens déroutants mis en place par l'ancien gouvernement espagnol pour détecter les clandestins indésirables. De la technologie associée au béhaviourisme animal qui connaît encore pas mal de succès chez nos voisins ibériques. «Les Espagnols ont d'abord des couloirs spéciaux pour les TIR et les autocars. Ils ont surtout des chiens de flair, des bergers allemands qui reniflent le camion et détectent s'il y a une odeur d'hommes dans la remorque. En plus, ils ont d'autres moyens que vous n'imaginerez même pas». Notre interlocuteur sort un petit miroir de poche qu'il utilise à des fins personnels. Il continue : «ils ont des miroirs géants qu'ils placent sous les camions pour voir si personne n'est accroché au moteur. C'est simple et efficace. Et pour les cales des remorques, ils ont autre chose. C'est impressionnant : une machine ultra perfectionnée que nous rêvons d'avoir à Tanger qui détecte les battements de cœur et la chaleur humaine. Les guardias la pose sur le camion et ils savent s'il y a quelqu'un parmi la marchandise.» Malgré le vis sécuritaire mis en place par les ports espagnols, on sait que sur les neuf clandestins qui arrivent quotidiennement au contrôle frontalier de la rive sud de l'Europe, trois ou quatre d'entre eux réussiront à passer entre les filets, tandis que cinq à six candidats sont arrêtés chaque jour par la guardia civile et refoulés vers le Maroc. «Ce sont les plus chanceux qui réussissent. A ce niveau, il n'y a plus que la chance qui joue. Ils déjouent la méthode et les filets quelque peu poussiéreux du Maroc tout comme les engins sophistiqués de guerre et autres sonars modernes des Européens. Un vrai coup de bol pour ces trois ou quatre individus qui passent chaque jour au nez et à la barbe de tous. Vraiment. Comment ils font ? Et bien, la police espagnole ne peut pas comme nous vérifier chaque camion, chaque tonnage, chaque caisse de marchandise. Ils font aussi dans la sélectivité. Chez eux, ça doit être un camion sur cinq qui est fouillé... Nous c'est un sur dix !»
Refus de prise en charge des clandestins gravement blessés
Tous les trois mois, un rapatriement de clandestin, gravement blessé, par la police espagnole est refusé à bord du bateau où en lieu les échanges des convois. Cette réalité, que l'on susurre à voix basse dans les locaux du port, donne à croire que des exactions dangereuses, et pourquoi pas des dérapages incontrôlés, sont commis en Espagne par les forces de l'ordre. Le silence pesant qui entoure ce fait n'est pas là pour simplifier l'affaire. Que se passe-t-il dans ces cas là ? A la vue du blessé, la police des bateaux refuse catégoriquement la réception du clandestin. Elle reconnaît «avoir peur que le clandestin ne meure entre des mains marocaines», ce qui bouleverserait la donne en compliquant terriblement les choses. Elle fait comprendre aux Espagnols que ladite personne doit séjourner plus de temps en Espagne pour mieux guérir de ses coups et ses lésions. «Ils emmènent le blessé à l'hôpital et veille à ce qu'il soit d'aplomb pour l'expédier rapidement vers le Maroc», confie quelqu'un sur place. Pourtant, rien ne vient changer ces habitudes de dissuasion inacceptables de la police espagnole. Après les enquêtes ouvertes à El Ejido sur des exactions commises par les forces de l'ordre dans les milieux des immigrés, ce nouveau scandale du traitement des rapatriés marocains est à même d'ouvrir une brèche dans les difficiles rapports de bon voisinage que cherchent à reconstruire les deux pays.
Par Abdelhak Najib & Karim Serraj


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