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“On n'arrête pas la liberté en marche”
Publié dans La Gazette du Maroc le 24 - 05 - 2004

Après un scandale monté de toutes pièces, après les refus des commissions de fonds d'aide à la cinématographie pour " Les Yeux secs ", c'est aujourd'hui une nouvelle claque
que l'on porte à la figure de l'une des cinéastes les plus brillantes de ce pays.
Vendredi 21 mai courant, la dernière commission du fonds d'aide a encore une fois dit non au dernier scénario de la réalisatrice Narjiss Nejjar, “Libres”.
Comment lire le rejet du nouveau scénario de Narjiss Nejjar ? Comment le dissocier des autres refus qui avaient frappé " Les Yeux secs " le jugeant bancal, pas bon et inutile ?
Comment ne pas faire le lien avec la personne de Narjiss Nejjar, qui n'hésite pas à appeler un chat un chat dans une société où l'on prend des gants, où souvent on relifte les choses, on les maquille, on les cache pour les resservir autrement, dans l'hypocrisie et l'artifice ?
Narjiss a essuyé plusieurs refus et a fait ses preuves. Elle a été reconnue par le temple même du septième art alors que chez elle, une poignée de cinémateux avait condamné son travail à l'échec. Après le succès des “Yeux secs”, les langues ont changé de discours. Les détracteurs aveuglés se sont résolus à la vérité suprême.
Et si à Cannes, on a adulé ce film, c'est que c'est un très bon film. Comme s'il nous fallait une lanterne étrangère pour lire les empreintes que nos enfants ont envie de laisser sur le cadran de leur propre pays.
Comme si nous ne voyons la lumière que quand elle est distillée d'ailleurs étant incapable de juger, de prévoir, de lire dans l'avenir et surtout de reconnaître le talent. A moins que ce ne soit justement la peur de ce même talent.
La crainte que fait naître l'intelligence dans notre pays où l'on stigmatise tous ceux qui ont d'autres idées, d'autres aspirations, d'autres horizons de pensées, de fauteurs de troubles, de grandes gueules et autres sobriquets du même acabit. “Libres”, le dernier projet de film de Narjiss Nejjar est donc refusé. Encore un rejet comme si l'on voulait dire à cette femme d'aller voir ailleurs comme on le lui avait bien signifié dans le passé. Cette fois l'affaire prend d'autres tournures : un faux scandale qui a tenté de ternir l'étoile grandissante de la cinéaste et un énième refus qui va contre tous les bons sens. Il faut dire que la nature de son scénario est forte. Un film sur le terrorisme, sur les barbus et sur la société marocaine en pleine mutation. A-t-on peur d'assumer une telle responsabilité ? Le terrorisme serait-il un phantasme ? Le 16 mai 2003 un rêve qui n'a jamais vu le jour ? Non, nous avons connu l'horreur, nous avons tous été touchés dans notre chair. Notre pays a payé le tribut de la haine et de l'obscurantisme. Les politiques font leur travail, et les artistes sont appelés comme la société civile à réagir, à réfléchir, à ouvrir des voies sur l'avenir. Ce film est une magnifique brèche que l'on a oblitérée avec un refus qui a tout au moins des allures bizarres.
Narjiss Nejjar répond à tout cela avec beaucoup de sagesse, mais elle ne cache pas sa colère de créatrice qui voit que dans son propre pays les portes se ferment : " je suis en colère, car il y a un grand homme à la tête de ce pays qui a la volonté ferme de nous tirer vers le haut et de fausses forces progressistes censées accompagner son élan sabotent insidieusement ce projet de société."
Il y a un mois, elle a fait partie de l'un des plus prestigieux ateliers d'écriture de scénario dans le monde, organisé cette année au Maroc, à Marrakech. Oui, elle a été lauréate des ateliers Equinoxe, là où des grandes figures du cinéma comme Jim Hart ou Charles Random, des scénaristes qui écrivent pour Martin Scorsese, Francis, Ford Coppola et Steven Spielberg ont salué la force de son scénario “Libres”, l'ont porté aux nues, l'ont cautionné, comme " un brillant travail et une griffe de génie ". Pourtant, la commission nationale du fonds d'aide trouve que c'est un scénario qui n'en vaut pas la peine. Allez comprendre ?
Quoi qu'il en soit, pour Narjiss, c'est l'avenir qui compte, c'est demain qui est plus important. " A qui fais-je peur ?, se dit-elle. Aux faux poètes, aux faux penseurs, à tous ces pseudos idéologues sans idéologie, sauf peut-être celle de l'aigreur et de la frustration de ne pouvoir dire tout haut ce qu'ils murmurent tout bas comme un secret d'alcôve. Et s'il y avait une image pour qualifier le Maroc, elle ressemblerait à cet enfant aux yeux rieurs et remplis de vie qui aurait par inadvertance dans une ruelle sombre, pris une entaille au travers de la figure. Moi, en faisant des films, je prends la peine de le regarder, de lui parler, de l'inciter à ne plus avoir honte, passer mon doigt sur sa balafre, tandis que tous ces détracteurs préfèrent lui tourner le dos, ne pas croiser son regard, l'ignorer. Quel insatiable mépris et quelle honteuse démission ! Et dire qu'ils prétendent me donner une leçon d'amour et de patriotisme ! Mais nous savons tous à travers l'histoire que les grands hommes ne sont pas ceux qui ont courbé l'échine et je ne suis pas une pâte à modeler au gré des brises. Et mon pays au soleil couchant aura son zénith si tous ces pantins aux bonnes figures ne fomentent plus d'éclipse. Car un Roi ne peut se battre seul contre des forces d'inertie. Le Maroc nous appartient tous, alors aidons-le à avancer vers l'avenir digne et libre. Car grand, il l'est déjà. On n'arrête pas la liberté en marche ".


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