Pierre Marset, directeur général de l'Agence française de développement (AFD) au Maroc Présente au Maroc depuis une dizaine d'années, l'Agence française de développement (AFD) a fait du royaume un des tout premiers pays à profiter de son engagement financier à l'étranger. Durant cette période, plusieurs centaines de millions de dh ont été investis dans les infrastructures de base, mais également pour une meilleure compétitivité du marché financier marocain. Pierre Marset, directeur général de l'AFD au Maroc, nous livre dans cet entretien les ambitions de son agence pour le développement du royaume. La Gazette du Maroc : cela fait 10 ans que l'AFD est présente au Maroc. Pourriez-vous nous dresser le bilan de son action ? - Pierre Marset : en plus de 10 années de présence, l'AFD est devenue un instrument déterminant du soutien apporté par la France au Maroc. Avec un engagement total cumulé qui dépasse 1 milliard de dh, le Maroc se situe au tout premier rang des partenaires de notre institution. Bien que modeste au regard des besoins du Maroc, ce montant est cependant très important à l'échelle de notre groupe et de l'ensemble du dispositif français de coopération au Maroc. Sur le plan qualitatif, le ciblage de nos interventions répond bel et bien aux priorités du gouvernement marocain et aux contraintes de développement du pays. L'exécution des projets et leur rythme de décaissement sont en nette progression. Il est bien entendu que ce bilan positif doit être mis au crédit de plusieurs acteurs, notamment des maîtres d'ouvrages de qualité. Quel est le niveau de l'investissement cumulé durant cette période ? Et comment a-t-il été réparti ? - Si l'on fait abstraction des opérations de garantie d'emprunts obligataires, soit 380 millions de dh, lancées en 1996 et 1999 par le Maroc sur les marchés financiers internationaux, le montant cumulé des engagements du groupe AFD sous forme de prêts-projets s'élève aujourd'hui à 645 millions de dh. Ce montant se répartit entre l'AFD à hauteur de 485 millions, qui finance le secteur public et para-public, et sa filiale Proparco, qui appuie le secteur privé avec près de 160 millions. Trois activités profitent de ces engagements. Tout d'abord, l'eau et l'environnement qui représentent 37 % de nos interventions. Dans ce secteur crucial pour l'économie, nos actions couvrent l'ensemble de la problématique de l'eau : eau potable, assainissement et irrigation. A ces actions s'ajoutent celles du Fonds français pour l'environnement mondial (FFEM) dont le secrétariat a été confié à l'AFD et dont l'activité au Maroc porte sur 5 opérations en faveur de la lutte contre l'effet de serre, la biodiversité et la protection des eaux internationales. Ensuite, nous ciblons les infrastructures socio-économiques, un secteur qui représente 28 % de nos financements. Nos interventions touchent l'eau, l'électricité, les pistes en milieu rural, l'habitat insalubre et le secteur de la santé primaire. Enfin, la mise à niveau de l'économie est le troisième axe-clé de nos interventions. Il constitue, bien sûr, le champ d'action privilégié de notre filiale Proparco, qui intervient en faveur du secteur privé à travers de multiples instruments. L'appui que nous portons à un programme ambitieux de formation professionnelle relève aussi des actions de mise à niveau. Quel est l'impact de votre action sur ces trois créneaux et comment comptez-vous procéder en matière d'investissement dans le court et moyen terme ? - Le ciblage de nos activités sur trois axes répond d'abord au choix de nos partenaires qui souhaitent que l'AFD appuie clairement les grandes priorités nationales. Il répond aussi à un souci de concentration permettant d'avoir un impact sectoriel mesurable de nos financements. Il rejoint, enfin les grands thèmes de concentration de l'AFD. L'économie marocaine étant vulnérable aux chocs climatiques, toutes les actions de mise à niveau que ce soit à travers l'appui à la formation professionnelle ou par le biais des activités de Proparco, contribuent à améliorer la compétitivité des industries et à réduire la dépendance de l'économie à l'égard de l'agriculture. Par ailleurs, l'appui en faveur des programmes nationaux d'infrastructures d'électricité, d'eau, de routes rurales et de résorption de l'habitat insalubre, en offrant des conditions de vie meilleures et en créant des opportunités d'emplois, contribuent à renforcer la cohésion sociale des populations. Je tiens cependant à rappeler que toutes les interventions du FFEM dans les domaines de la protection de la biodiversité et de la lutte contre l'effet de serre contribuent à soutenir le développement durable. De même, les interventions dans le secteur de l'eau, qui visent à accompagner la mise en œuvre de la gestion intégrée des ressources hydrauliques, à combler les retards en assainissement et en dépollution, participent à la réalisation de cet objectif. Quelle est votre nouvelle stratégie d'appui à la PME-PMI ? Pourriez-vous nous révéler les grandes lignes pour les cinq prochaines années ? - Le groupe de l'AFD intervient au travers de trois instruments complémentaires en faveur des PME: prêts, fonds propres et garanties. Les prêts sont octroyés par le biais de lignes de crédits aux banques locales et les fonds propres sont apportés par les fonds d'investissements dans lesquels Proparco est partenaire. Les garanties relèvent du Fonds de garantie français (FGF), mis en place grâce à une subvention du ministère des Finances français, et qui vient faciliter l'octroi de crédits bancaires aux PME. Ces trois actions seront amplifiées au cours des années à venir. Les lignes de crédits seront renouvelées en fonction des besoins, les fonds d'investissements sont en pleine phase de progression et surtout le FGF, qui vient d'être élargi, répondra mieux aux besoins des PME, mais aussi des TPE. Pour les trois prochaines années et conformément aux décisions du séminaire gouvernemental qui s'est tenu à Rabat le 25 juillet 2003 dans le cadre de la 5ème Rencontre maroco-française, le niveau des engagements de l'AFD devrait doubler. Si cette attente se concrétise, quel en sera le montant exact et quels sont les autres secteurs qui vont en profiter ? Conformément aux déclarations communes des Premiers ministres marocain et français, l'AFD doublera effectivement ses engagements au Maroc, qui atteindront 300 millions d'euros sur la période 2004-2006. La programmation retenue pour ces trois années, qui a fait l'objet d'une large concertation avec nos partenaires, restera conforme aux orientations stratégiques du groupe. L'accent sera mis sur les opérations en faveur du développement urbain et du désenclavement des populations rurales. Les interventions sur le secteur de l'eau seront également poursuivies. Enfin, nous continuerons nos opérations au profit de la formation professionnelle et des grands projets d'infrastructures susceptibles de contribuer à la modernisation de l'économie. Les montants réservés à chacun de ces projets seront, bien entendu, négociés avec nos partenaires, dans le respect de l'enveloppe globale qui nous est fixée. Pour les prochaines années, quelle est la stratégie d'intervention retenue par Proparco ? Proparco a pour mission d'être un partenaire des banques et des entreprises. Elle appuie leur développement par l'octroi de crédits en devises. Il convient de noter que dans un contexte de surliquidité du marché marocain, avec des taux favorables, les banques répondent, sauf exception, à leurs besoins de financement sans faire appel à des ressources en devises. Ceci explique que dans les prochaines années, Proparco interviendra principalement sur d'importantes opérations de financement, nécessitant la mobilisation de plusieurs bailleurs de fonds sur des durées longues et en complémentarité avec le secteur bancaire marocain. Ces opérations pourront concerner le développement des entreprises de taille nationale ainsi que les grands projets d'infrastructures privées. Parallèlement, Proparco poursuivra ses interventions en faveur du développement du capital-investissement, notamment à travers le Fonds régional Averroes qui vient d'être lancé avec plusieurs partenaires, et qui a pour vocation de soutenir la création de nouveaux fonds d'investissement sur le bassin méditerranéen. En matière de “Capital-risque”, pourquoi Proparco, en plus des NTIC, n'élargit pas sa source de financement à d'autres secteurs porteurs pour l'économie marocaine ? - Depuis plusieurs années, Proparco s'est engagée dans une action résolue de soutien au développement du capital-risque marocain. Nous sommes ainsi partenaire actif de quatre fonds d'investissement. Trois de ces fonds sont multisectoriels, et peuvent donc intervenir dans tous les secteurs porteurs de l'économie marocaine, l'industrie, les services, le commerce. Leur portefeuille de participation est d'ailleurs très diversifié ce qui constitue un gage de qualité et de succès. En tant qu'expert en matière de développement, quelle est votre analyse sur le caractère émergent de l'économie marocaine ? Nous portons un jugement positif sur l'évolution macroéconomique du Maroc, jugement d'ailleurs partagé par les experts des institutions de Bretton Woods et les grandes agences internationales de notation. Les grands équilibres macroéconomiques sont relativement bons. En 2002, le déficit budgétaire a été limité à 4,4% du PIB contre 6% prévus dans la loi de Finances 2002, hors recettes des privatisations. La banque centrale a, par ailleurs, continué à accumuler des réserves extérieures.Ces dernières représentent aujourd'hui 12 mois d'importations, soit un matelas appréciable en cette période d'incertitude internationale caractérisée notamment par la baisse de l'activité touristique et la hausse des cours du pétrole. Il est à présent nécessaire de dynamiser la croissance. Le déficit de croissance accumulé au cours de la précédente décennie est encore loin d'avoir été comblé. Possédant une forte composante rurale avec 46 % de la population qui vit dans la campagne et génère 16% du PIB, l'économie marocaine reste encore étroitement tributaire des conditions climatiques et d'un secteur agricole qui doit être modernisé, et les investissements directs étrangers sont encore insuffisants. Dans ce contexte, le principal défi que devra relever l'économie marocaine sera de retrouver un sentier de croissance économique soutenue, moins sensible aux aléas climatiques, capable de combler les retards sociaux et de résorber le chômage dans un contexte de forte croissance de la population en âge de travailler. Le défi sera de concilier cet objectif de croissance, qui nécessite une relance de l'investissement privé et public, tout en poursuivant une politique budgétaire prudente et ce, dans un contexte d'ouverture progressive à l'économie mondiale qui implique d'accélérer la modernisation des entreprises pour leur permettre d'affronter, dans les meilleures conditions, la concurrence étrangère. Le dernier rapport de Davos sur la compétitivité dans le monde place le Maroc un peu loin du Botswana, premier pays africain et 36ème mondial. Que faut-il encore au royaume pour améliorer le niveau de sa productivité et, par voie de fait, son rang ? - Des efforts importants sont déployés en faveur de la mise à niveau de l'économie. Au-delà de la maîtrise du cadre macro-économique qui constitue un enjeu majeur pour le développement de l'initiative privée, le gouvernement marocain a mis en place une palette d'instruments diversifiés pour soutenir la modernisation des entreprises les plus exposées : lignes de crédits bonifiées aux PME/PMI, fonds de garanties, appuis aux diagnostics d'entreprises, fonds de mise à niveau, centres régionaux d'investissement… Des mesures d'accompagnement sont également mises en œuvre en faveur des entreprises, mais beaucoup reste à faire. L'accélération des réformes visant à améliorer le climat des affaires pour attirer les investissements étrangers est évidemment cruciale, de même qu'il est indispensable de renforcer le système de filet social pour contrebalancer les effets de l'ouverture à la concurrence et éviter un développement excessif de la précarité et de l'exclusion sociale. Je ne doute pas que l'économie marocaine, qui dispose de nombreux atouts notamment liés à sa proximité au marché européen, soit en mesure de relever le défi de la croissance et du développement. Propos recueillis par Tandia Anthioumane