A la veille de l'adhésion de dix nouveaux membres A peine quelques jours nous séparent de la date de l'entrée de dix nouveaux pays à l'Union européenne. Mais, si la population globale augmentera de 20%, les richesses cumulées ne dépasseront pas 5%. Ce qui fait dire aux analystes économiques et aux Eurosceptiques que l'élargissement de l'Union vers l'Est et vers le Centre de l'Europe contribuera à baisser le revenu moyen par habitant de 10% environ. Cette contre-performance conduira, donc, à élargir le fossé avec les Etats-Unis d'Amérique. Cependant, les défenseurs du projet rétorquent que cet élargissement aspire à créer un énorme marché de 455 millions de consommateurs et aboutira à une plus forte création de richesses qui est le préalable à l'émergence d'une superpuissance économique. A la veille de l'entrée de dix nouveaux candidats à l'adhésion à l'Union européenne, il demeure difficile de convaincre les Quinze que ces pays réussiront, depuis le début, leur examen de passage. En effet, il est peu probable que ces Etats puissent améliorer leurs performances économiques pour dépasser leur sous-développement. Mais, leur seul espoir réside dans les subventions européennes qui constitueront une sorte de soupape, à l'instar de l'Espagne qui, depuis son adhésion en 1986, a réussi à franchir des pas de géant sur la voie du développement. C'est pour cela que les observateurs estiment que la date historique du 1er mai 2004 mettra fin à une rupture qui a duré plus de cinquante ans et générera une situation politique inédite puisque huit nouveaux Etats de l'Union sont issus de l'ancien bloc communiste.D'un autre côté, deux îles méditerranéennes (Chypre et Malte) seront également de la partie. Tous ces nouveaux venus contribueront à modifier le rapport des forces au sein de l'Union et feront en sorte que l'aspect économique de la démarche demeure secondaire au début. Ainsi et en dépit de la campagne médiatique accompagnant l'élargissement, certaines personnalités, dont le président de la Commission européenne, Romano Prodi, qui a suivi méticuleusement tous les préparatifs de cette adhésion en masse, considèrent que les zones d'ombre qui persistent renforcent le doute exprimé, par les opposants, quant à l'opportunité de cette brusque ouverture. Ces sceptiques craignent que leur rêve s'effondre à cause d'une aventure aux risques incalculables. Mais, cette thèse est vite réfutée par Jean Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Shuman, qui est l'un des plus fervents défenseurs de cette ouverture et qui estime que l'élargissement à l'Est est une réalité qui s'est imposée d'elle-même, après l'effondrement de l'URSS. Il estime, également, qu'il est déplacé de considérer que ces Etats soient incapables de rejoindre le peloton, d'autant plus qu'ils ont six mois devant eux pour rectifier le tir, après avoir déployé d'énormes efforts durant la période transitoire. Si le rapport publié par la Commission européenne en novembre 2003 a révélé 39 points noirs au sein des nouveaux candidats, dont 9 pour la seule Pologne, il n'en demeure pas moins que l'enjeu réside dans l'intégration progressive et dans la hausse des indices de développement. A cet égard, il faut rappeler que toutes les adhésions antérieures ont généré des succès économiques indéniables grâce aux transferts de capitaux opérés par les anciens membres. A titre d'exemple, l'Irlande avait bénéficié, depuis son adhésion, de 30 milliards d'euros, c'est-à-dire près de 2,5% de son PIB. Mais pour les nouveaux membres, il est à craindre que le niveau des investissements extérieurs soit moins important que prévu. Excepté la Slovénie, tous les autres Etats de l'Europe de l'Est ont vendu presque la totalité de leurs entreprises publiques aux investisseurs étrangers. Enjeux et connexions Ainsi, en Tchéquie, le niveau des investissements a reculé de 12,2% du PIB en 2002 à 3% en 2003. En ce qui concerne la Hongrie, il a été constaté qu'un grand nombre d'entreprises, à l'instar d'IBM ou de Philips, l'ont quittée pour s'installer en Chine. Or, ces Etats de l'Europe centrale, plus connus par l'abréviation PECO, ont besoin de plus de capitaux pour financer ne serait-ce que leurs importations. De cette situation découle la rude concurrence qui s'installera entre ces pays au niveau des systèmes fiscaux. Si l'Estonie a pris l'initiative d'instaurer le système de “l'imposition Zéro” sur les bénéfices reconduits vers l'investissement, la Pologne et la Slovaquie n'ont pu faire mieux que de réduire l'impôt sur les sociétés de 27 % et 24% à 19%. Mais, ces motivations ne laisseront pas indifférents les investisseurs. Parmi les meilleurs exemples, la décision prise par Nokia de transférer son siège de Helsinki à Tallin, puisque la capitale estonienne n'est qu'à quelque centaines de kilomètres des côtes scandinaves. Cependant, Nokia devait reconsidérer sa décision après l'intervention du Premier ministre finlandais. De son côté, l'Autriche ne cache pas ses craintes de se voir concurrencer par Bratislava, qui n'est qu'à 60 kilomètres, et décide de baisser le taux d'imposition sur les bénéfices de 34% à 25%.Or, les experts estiment que cette concurrence atteindra, également, les pays de l'Europe de l'Ouest, ce qui compliquera davantage la situation au sein de l'Union européenne, malgré le soutien apporté par la France et l'Allemagne au projet du Commissaire européen Fritz Bolkestein portant sur l'homogénéité fiscale. Mais ce qui est le plus alarmant dans l'affaire, c'est que les nouveaux Etats compteront sur leurs voix pour influer sur le cours des événements, d'autant plus que parmi les Quinze, ils comptent pas mal d'alliés, surtout l'Irlande qui a mis en œuvre sa politique de développement sur la base de la concurrence fiscale. A partir de cette réalité, les experts de Bruxelles estiment que deux modèles de capitalisme ne manqueront pas de se confronter. En effet, il y a d'un côté le modèle basé sur l'entente et le succès collectif et il y a le modèle anglo-saxon basé sur l'effort individuel et la compétence. Par conséquent, c'est le choix entre ces deux visions qui constituera le grand défi de cet élargissement. Les craintes de l'Europe de l'Ouest Il n'est pas évident que le slogan “tout le monde est gagnant” soit convaincant surtout pour les populations des Quinze. Il en est de même pour les théories sur les marchés émergents et sur les nouveaux horizons qui ne manqueront pas de s'ouvrir après l'adhésion de membres dont le niveau de vie est deux fois inférieur. Cette situation constitue, en effet, un défi devant toute l'Europe. Ainsi, l'espace européen mettra en concurrence les régimes sociaux de tous les Etats, sans parler des orientations générales. Ce qui fait craindre aux responsables européens de voir se déclencher une course effrénée conduisant à des disparités dans des domaines très sensibles. Ainsi, si en Irlande ou en Grande-Bretagne, qui sont les pays les plus libéraux et les plus dynamiques, le marché du travail est resté ouvert devant les nouveaux venus, les autres pays, dont l'Allemagne, la Suède, la Hollande ou la France appliqueront des décisions exceptionnelles en prévision de l'élargissement. Cette démarche maintiendra les mêmes restrictions objectives sur la liberté de mouvement de la main-d'œuvre pour au moins cinq ans voire sept ans. En France par exemple, il n'y aura aucun changement de législation à cause de la pression qu'exercent les syndicats. Ainsi, les entreprises ne pourront embaucher que si elles ne trouvent pas sur le marché une compétence française requise. Dans ce cadre, certains experts en démographie essaient de calmer le jeu en rappelant l'exemple de la réunification de l'Allemagne et où seul 1,5% de la population issue de l'Est a fait le déplacement vers l'Ouest. Mais, malgré cet exemple, les responsables européens préfèrent garder plus de vigilance. Parmi les craintes avancées, il y a celles qui prédisent une plus grande délocalisation des investissements directs et des entreprises vers l'Europe centrale et de l'Est où les coûts de production seront moins chers, en plus du souci de voir déferler vers l'Europe de l'Ouest une main-d'œuvre bon marché qui viendrait supplanter celle des pays de la rive sud de la Méditerranée qui ont conclu avec l'UE des accords d'association et de partenariat. Dans tous les cas, la situation demeure conditionnée par le niveau de développement qu'auront atteint les dix nouveaux membres de l'Union. Aussi, les experts de Bruxelles estiment-ils que l'élargissement ne produira pas nécessairement une révolution au niveau des structures économiques de l'Union européenne, d'autant plus qu'il y a aussi la crainte de voir les nouveaux membres tarder à adopter l'euro comme monnaie nationale. Et même dans ce cas, le passage d'une économie dirigiste à une économie de marché nécessite beaucoup de temps et d'efforts. Par conséquent, l'euro ne pourra être adopté, de façon réaliste, qu'en 2008. Les répercussions possibles sur les pays du Maghreb Malgré les assurances répétées par les responsables européens, les partenaires maghrébins ne voient pas d'un bon œil cet élargissement, d'autant plus que plusieurs dossiers demeurent en suspens. En effet, les Maghrébins craignent l'invasion de l'espace européen par une main-d'œuvre bon marché qui viendrait réduire les chances des communautés nord africaines. D'ailleurs, les Maghrébins avaient tiré la sonnette d'alarme à propos de la réduction des aides pour le développement dans le cadre du programme MEDA et celles allouées par la Banque européenne d'investissement. Dans ce cadre, les dix pays méditerranéens signataires des accords d'association avec l'Union européenne avaient attiré l'attention de cette banque sur la modicité des prêts accordés pour l'exercice 2003 qui se chiffrent à 2,9 milliards d'euros alors que la banque a considéré cette somme comme un record en la matière. En effet, l'Europe centrale et de l'Est a bénéficié du double de cette somme. Mais, à ce propos, le vice-président de la BEI, Philippe de Fontaine Vive, répond que sa banque a mis en œuvre un nouveau mécanisme appelé “facilité euro-méditerranéenne pour l'investissement et le partenariat” qui a pour objectif de renforcer les choix financiers des Etats-partenaires et d'encourager l'intégration régionale en vue de créer une zone euro-méditerranéenne de libre-échange à l'horizon 2010. Dans ce cadre, les informations en provenance de cette banque indiquent que la priorité sera accordée aux pays arabes, pour mieux les séduire et éviter qu'ils ne tombent sous le charme des offres américaines comme c'était le cas pour le Maroc et la Jordanie. Ainsi et pour mieux atténuer les craintes des pays du Maghreb, les responsables de la BEI assurent que suivant les plans préétablis, la banque sera en mesure d'accorder entre 8 et 10 milliards d'euros d'ici 2006 aux Etats méditerranéens partenaires. Mais, malgré ces assurances, ces Etats adopteront des politiques attentistes et suivront de près l'évolution de la situation pour savoir si l'élargissement de l'Union vers l'Est ne s'est pas fait au détriment de leurs intérêts.