Décidément, cette course à l'investiture suprême transforme l'Algérie en un immense marché populaire où les semblants de projets se proposent à la criée. Entre ceux qui ratissent dans la misère du peuple comme l'inconnu Ali Fawzi Rebbaine et l'islamiste Abdallah Djaballah, ceux qui versent dans l'invective et l'hystérie tels Ali Benflis et Saïd Saâdi, et encore ceux qui s'opposent pour l'instauration du libéralisme à outrance -Abdelaziz Bouteflika- ou le retour au conservatisme -Louisa Hannoune- la politique en Algérie n'est plus cette espèce de poésie comme aimait le décrire le philosophe Amiel. Les lendemains de scrutin s'annoncent sulfureux. Tout au long de la campagne électorale, l'ambiance en Algérie évoque un véritable souk dans lequel chacun des six prétendants se prend pour le chantre de l'espoir. Prise à témoin pour assouvir ce qui prend la forme de quêtes personnelles de pouvoirs, la société civile locale se réserve. A l'exception de la Kabylie qui se mobilise autour de l'enfant du terroir, Saïd Saâdi, dans un réflexe régionaliste et de reniement du système, l'Algérie profonde exprime la méfiance. Ces relents se justifient parce que, ni dupe ni naïve, la population perçoit dans son écrasante majorité silencieuse les intentions sous-jacentes de certains candidats à la magistrature. Les débats politiques n'interpellent la rue qu'en période électoraliste. Ce sentiment d'être “déclenché” pour des ambitions au premier degré va assurément bousculer quelques prétentions. Et ce ne sont pas les séquences répercutant l'intensité des meetings, ou encore les supporters médiatiques rangés aux thèses d'un camp précis qui réussissent à camoufler cette attitude de l'expectative. La peur des sondages Courtisés, quémandés, interpellés, suppliés de toutes parts, les Algériens ne se définiront qu'à l'ultime minute, dans ce qu'on appelle en politique la décision à l'arraché. Cette perception n'échappe pas aux observateurs désintéressés de la place qui remarquent que les publics dans des parterres de campagne aussi différents que ceux de Bouteflika et de Benflis, de Saïd Saâdi et de Louisa Hannoune sont souvent identiques. L'électorat converge dans ces espaces de propagande par curiosité, parfois aussi parce que les staffs de campagne drainent un maximum de gens dociles pour compléter le décor d'une base militante réduite à la peau de chagrin. Ces techniques vieilles comme le monde, génératrices d'illusions désorientent toutes les tentatives de sondages jusque-là initiées en Algérie. Ainsi, l'un des instituts spécialisés en la matière a intenté une procédure judiciaire au journal arabophone “El Bilad” qui lui a attribué l'information selon laquelle Abdelaziz Bouteflika engrangerait 80 % le 8 avril prochain. Question probabilité, aucun repère sérieux et fiable ne se démarque de cette campagne. La confusion systématique qui règne est du reste entretenue par les médias alliés à l'un ou l'autre courant, en refusant notamment d'acquérir et de publier les résultats de quelques sondages réalisés par les opérateurs compétents. Dès qu'il s'agit de présidentielles, les sondages sont évacués. Les discours deviennent amnésiques, décrétant la société algérienne de “sans opinion”. Pourtant des enquêtes existent, portant sur des échantillons allant de 1.500 à 4.500 personnes, mais qui sont précieusement tenues à l'écart afin de préserver les enjeux et de ne pas conditionner les opinions. Ce qui fait dire au “Quotidien d'Oran” que “les sondages ne figurent pas encore dans la sociologie politique algérienne”. Ce déficit de projection illumine les protagonistes. Louisa Hannoune répète: “essayez-moi à la tête de l'Etat”. Ali Benflis ne s'imagine même pas perdre : “si je ne suis pas élu, proclame-t-il, c'est qu'il y a eu fraude”. L'ancien chef de l'exécutif menace aussi de conduire ses fans dans la rue, ce qui l'isole du champ politique. Saïd Saâdi agresse verbalement Bouteflika pour redorer son blason dans une Kabylie qui l'avait pratiquement renié du temps où il s'acoquinait avec le sérail. Fawzi Rebbaine se concentre sur les jeunes et croit pouvoir traduire tout le monde devant les assises. Abdallah Djaballah souffle le chaud et le froid sur le code de la famille et n'avance aucun programme économique cohérent et d'envergure. En face, l'institution militaire respecte ses positions affichées, manière de dire “débrouillez-vous”. En attendant de voir plus clair et réserver son mot pour la fin. Exercices de campagne puérils Dans cette atmosphère où les bookmakers anglais ne se retrouveraient pas, quel sprinter réussirait l'ultime coup de reins ? Cette interrogation suspendue sur les représentations diplomatiques à Alger dévoile des éléments de réponse. Plus précisément depuis qu'au moins deux candidats multiplient les déviations et les diffamations dans leurs prestations de campagne. Tactique oblige, le président Abdelaziz Bouteflika, en sa qualité de candidat à sa propre succession, incarne le souffre-douleur de Ali Benflis et de Saïd Saâdi. Leurs envolées haineuses à l'égard de l'actuel chef de l'Etat expriment des frustrations et des ambitions sans cesse refoulées. Les perpétuelles atteintes à la personne de leur ancien partenaire politique commencent à diviser les rangs des électeurs indécis. Toujours dans le “Quotidien d'Oran”, le plus fort tirage de la presse francophone en Algérie, il est rappelé “la rancœur intimiste à l'égard de Bouteflika de la part de Benflis ex-directeur de campagne de Bouteflika en 1999, son directeur de cabinet puis son chef de gouvernement, vêtu de la tunique de la trahison. Elle lui colle à la peau d'une façon indélébile. Pour s'en débarrasser, il a cru que le meilleur moyen est de noircir, sans retenue, celui contre lequel il l'a endossée”. Le même journal décrit Saïd Saâdi de “président du RCD qui dépeint aujourd'hui Bouteflika sous les traits d'un dictateur aux agissements et réactions dignes de Bokassa de sinistre mémoire”. Par ailleurs, si depuis l'avènement de la campagne, les cinq candidats se sont ligués contre Bouteflika, ils ne se sont pas constitués en force commune. Fawzi Rebbaine, Abdallah Djaballah et Louisa Hannoune dévalorisent le bilan du président sortant, mais sans abonder dans la polémique. Ils n'en rejoignent pas moins le registre des personnalités au statut d'acteurs-clés des époques noires qui suscitent révulsion chez les Algériens. La disparition du joker islamiste Ces éléments du terrain ambiant dispersent considérablement un électorat qui, par le passé, a démontré sa frilosité à se bousculer autour des urnes. A l'exception des franges islamistes qui ne constituent plus le joker de cette compétition depuis que Bouteflika et Louisa Hannoune qui font dans la drague déclarée des fondamentalistes en se ralliant à la “réconciliation nationale” et au pardon. Du coup, derrière son complet-veston, sa barbe et sa chéchia style salafiste, Abdallah Djaballah ne s'approprie plus les trois millions de voix pressenties du terreau islamiste. Mais également des femmes, qui personnifient le tiers de l'électorat et en direction desquelles Louisa Hannoune s'adresse en martelant sa décision, si elle est élue, de réviser le code de la famille, empruntant ainsi la voie démocratique instaurée au Maroc. Au cœur de cette fresque inintelligible, les projets de société sont remisés au placard. Abdelaziz Bouteflika revient sans discontinuité sur ses réalisations qu'il estime conformes à ses promesses de 1999. Ses adversaires se cantonnent, lorsqu'ils n'exacerbent pas la diffamation, dans des généralités, en prenant soin de ne point froisser les appareils qui gèrent le pays. Toutes ces intentions ne pèsent pas lourd en face de la multitude des difficultés attendues et surtout des revendications de la population. Bref, entre ce qui relève objectivement de l'irréalisable mais que s'entêtent à promettre les nouveaux prétendants, et un président candidat qui n'annonce aucun changement, le choix proposé aux Algériens le 8 avril courant se fend dans la haute voltige. «Amabilités» de campagne La campagne des Présidentielles en Algérie ne manque pas de situations et de propos sulfureux. Les différents candidats et acteurs politiques s'en donnent à cœur joie. LGM en a concoctés quelques uns…Edifiant. -Lakhdar Dorbani, ex-ministre du tourisme : «Bourteflika n'est que Nasf bounta» ( moitié de mégot). -Mohamed Bendrihem , ex-député : «Bouteflika ne peut pas gouverner et être responsable parcequ'il n'a pas d'enfants». -Commandant Azeddine : «Bouteflika est un déseteur de l'ALN». -Ali Benflis, candidat : «Bouteflika est un candidat dont la date de péremption a expiré dans les années 70». -Bouteflika, président-sortant : «Lynchez-moi, liquidez-moi, mais avant de rendre mon dernier souffle, je vous demanderai de veiller sur l'Algérie». -Louia Hanoune, candidate : «Nous sommes sur un volcan, le risque d'éclatement du pays est réel». -Saïd Saâdi : «Le seul record de Bouteflika est d'avoir bénéficié de la campagne la plus chère d'Afrique ». -Bouteflika et la presse privée : «Le mal que cette presse a fait au pays est comparable à celui des terroristes. Nous ne pouvons dialoguer qui versent de l'huile par la plume assassine». -Omar Belhouchet, directeur d'Al Watan : «Comparer le travail noble et civilisationnel des journalistes à l'œuvre ignoble et abjecte terroristes intégristes est abject de sa part ». -La presse privée et Bouteflika : «Un président, qui se présente comme le candidat du peuple, qui affirme jouir d'une grande popularité et qui se réclame d'un bilan parfait, ne devrait pas se sentir dérangé par les critiques de la presse», dixit Ghania Khalifi, directrice de la rédaction du Matin. Alger – Fayçal Haffaf