Le volet agricole L'agriculture constitue le dossier le plus épineux des négociations pour la finalisation de l'ALE Maroc-USA. Les céréales et les viandes rouge et blanche risquent, en effet, de pâtir sérieusement de l'ouverture des frontières aux produits américains. Dès l'ouverture des négociations sur l'Accord de libre-échange, le Maroc avait demandé et obtenu que le dossier agricole soit dissocié des autres secteurs dans le cadre de “l'exception agricole”. Afin d'activer le travail, les deux parties ont tout d'abord convenu de classer les produits agricoles en quatre listes. La liste A comprenant les produits qui seront totalement exemptés de droits de douane dès l'entrée en vigueur de l'ALE; les listes B et C bénéficieront de cet avantage après une période de transition respectivement de 5 et 10 ans et, enfin, la liste D pour laquelle la franchise douanière ne pourrait être instaurée qu'au-delà de 10 ans. C'est justement les listes D respectives qui posent problème. Ainsi, la liste marocaine comprend des produits jugés “extrêmement sensibles” côté marocain, mais “juteux” côté américain. Sur cette liste figurent notamment les céréales (blé dur et blé tendre), les viandes rouges et l'aviculture. De son côté, la liste D américaine regroupe des produits dans lesquels les opérateurs marocains sont très compétitifs, notamment les jus d'orange et les conserves de fruits et légumes. Par ailleurs, un autre frein aux exportations agricoles marocaines relatif à la question de la certification des exportations s'est révélé impossible à desserrer. Alors que l'Union européenne accepte sur son territoire les produits estampillés par l'organisme marocain concerné qui est l'Etablissement autonome de contrôle et de coordination des exportations (EACCE), les Américains demeurent intransigeants sur ce sujet. L'admission de tout produit agricole sur le sol américain ne peut se faire sans l'aval de la sévère Food and drugs administration. Le compromis des cuisses de poulet Pour revenir à la liste D marocaine, le point qui bloque également les négociations concerne la formulation marocaine de période de transition “d'au-delà” de 10 ans. Les Américains, rigoureux comme ils sont, réclament une date précise. Une responsabilité qu'aucun négociateur marocain n'ose assumer. Et pour cause, une ouverture des frontières nationales aux céréales ou aux viandes américaines est une condamnation sans appel des producteurs marocains. Le blé américain coûte 120 dh le quintal contre un prix de 250 dh que garantit actuellement l'Etat au paysan marocain. Une protection qui disparaîtrait évidemment avec l'ALE. Pour ce qui est de l'aviculture, les Américains sont prêts à inonder le marché marocain à un prix inférieur à 5 dh le kilo du poulet prêt à la consommation! Au sujet de la viande blanche, justement, une source proche des négociateurs marocains nous a déclaré sous couvert de l'anonymat qu'un compromis a été trouvé la semaine dernière. Les Américains approvisionneraient exclusivement les casernes militaires marocaines en cuisses de poulet, une partie de la volaille qui n'est guère appréciée par le consommateur américain à cause de sa teneur élevée en graisse. En tout état de cause, les agriculteurs et éleveurs marocains n'ont pas manqué de manifester leurs inquiétudes. Le dossier agricole est donc remonté au niveau de la Primature et le Premier ministre a réuni une commission ministérielle afin de tracer des lignes rouges aux négociateurs marocains dans le cadre des tractations sur l'ALE. Il a fait plus puisqu'il s'est déplacé à Washington pour sensibiliser les hauts responsables américains précisément aux préoccupations marocaines dans le domaine agricole. De son côté, le ministre de l'Agriculture s'est senti obligé de monter au créneau pour apaiser les inquiétudes du secteur. Dans un entretien avec l'agence MAP, publié le 9 courant, Mohand Laenser a ainsi déclaré que “le gouvernement déploie de grands efforts pour la protection de l'agriculteur marocain dans le cadre des négociations en cours”. Après avoir cité les céréales et les viandes rouge et blanche parmi les produits qui pourraient être affectés par l'ALE, Mohand Laenser a souligné que le gouvernement marocain “allait se pencher, dans les prochaines semaines, sur un programme de mise à niveau du secteur agricole marocain destiné à préparer les agriculteurs à la concurrence. Ce programme comprend la formation des agriculteurs - qui sont analphabètes à l'exception d'une infime minorité- et la révision du statut des terres agricoles.” Selon Mohand. Laenser, 70 % des agriculteurs marocains ne disposent que de 5 hectares chacun dispersés en plusieurs lots (…) “un handicap qui ne permet pas l'exploitation rationnelle”, a-t-il estimé. Ajoutant qu' “une réflexion est en cours pour la révision de certaines lois dans le but de permettre la mise en application d'un programme de remembrement des terres”. Mais, si côté marocain on est encore au stade de la réflexion, côté américain, la déferlante de l'agriculture extensive est si puissante qu'elle bouleversera nécessairement de fond en comble la face du monde rural marocain. Autant engager tout de suite la réflexion dans ce sens pour accompagner le mouvement, et non pas se contenter d'attendre de le subir.